INTRODUCTION

En ce XXIème siècle embouteillé par ce semi oxymore qu'est la "culture de consommation", qu'est-ce que l'Art ? En ce siècle souillé par moult usurpateurs qui prétendent sans honte faire de leurs selles des œuvres admirables, qu'est devenu ce qui fut jadis la respectabilité par excellence, la noblesse spirituelle, la quasi seule progéniture dont l'Homme puisse légitimement se vanter auprès de ses dieux ? N'est-il par révoltant de constater qu'aujourd'hui, l'Art n'est plus qu'un mot insignifiant, qui veut tout dire tout en ne disant rien ?

Le temps passe, et peintres, sculpteurs, musiciens et poètes se voient prendre des rides, quand ce ne sont pas les traces d'érosion qui gravent leur cercueil. Il faut se rendre à l'évidence : désormais, les formes traditionnelles de l'art appartiennent à une autre époque. A présent, créativité, esthétisme et émotions s'expriment au travers de tous les matériaux possibles et imaginables. Les arts plastiques, la télévision, le web, le cinéma... On assiste à une véritable explosion d'amalgames artistiques, où toutes les formes d'expression se mélangent pour donner vie à des solutés drôlement bâtards, ce toujours histoire de faire avancer le schmilblick, empiriquement néanmoins. Car force est de constater que chacune de ces œuvres nées d'unions souvent absurdes et folkloriques, s'en trouvent être disparates pour ne pas dire approximatives. Le problème étant que personne ne se fixe vraiment de limite, exception faite de celle de l'avancée technologique desdits médias, ou de celle de la folie humaine... Dénué d'apparence, privé de définition précise, l'art se fait trimballer ici et là. Il est improvisé, clamé, revendiqué, car il rassure. En un mot, l'art d'aujourd'hui se cherche encore.

Le jeu vidéo, puisque c'est ce sur quoi porte cet article, a toujours eu une certaine affinité obsessionnelle avec le monde de l'art. Déjà désireux depuis ses débuts de rompre avec son statut de "sous-culture", ce n'est véritablement qu'à partir des années 2000, lorsque l'avènement de l'ère Playstation 2 fait grimper son chiffre d'affaire au-dessus de celui du cinéma, que poussé par l'orgueil de son public de longue date, le jeu vidéo ne s'accepte plus en tant que simple divertissement. Alors commence la fameuse "quête de sens" à laquelle tant de créateurs contribuent au fil des générations qui suivent cette période. Qu'il s'agisse de Keiichiro Toyama, Hideo Kojima, Tetsuya Mizuguchi, Suda Goichi, David Cage ou même d'Arnt Jensen, Jenova Chen et Jonathan Blow pour les plus récents, tous ont le même but. Donner du sens au jeu vidéo, et s'en servir pour véhiculer des émotions, une histoire. Cet élan fait-il du jeu vidéo un art à part entière ? Beaucoup se sont posé cette question mais peu y ont répondu puisqu'elle fut tantôt jugée trop vaste, tantôt considérée comme carrément inutile parce que sans but précis. Bien sûr, il serait fort lâche de tenir cette dernière opinion car il est évident que les enjeux qu'implique ce débat sont bien plus profonds qu'un piteux caprice piaulant seulement pour l'appellation d'"art".

Depuis des lustres, tout joueur passionné tient à juste titre le même discours : "le jeu vidéo est un média sectaire et bourré de complexes". Cela est on ne peut plus vrai ! Emprisonné dans ses propres codes et la connotation historiquement enfantine ou adolescente qu'induit sa dénomination de "jeu", le jeu vidéo ne parvient pas à s'assumer comme tel, et demeure cloitré dans une honteuse autarcie, un horrible cocon d'immaturité qui pour le coup, fait effectivement preuve d'inintelligence. Pour qu'ouverture aux profanes il y ait, il faut au contraire prendre ses racines à bras le corps et les brandir fièrement ! Il faut conter les périples vidéoludiques qui ont forgé cet art de demain, vanter les mérites de tous les auteurs sans qui ô grand jamais ne pourrait être comblé ce besoin vital d'être reconnu à sa juste valeur ! Alors certes, le jeu vidéo est ce qu'il est, à savoir un "presqu'art", un fils renié par ses influences et un goujat parmi les formes d'expression artistique contemporaines. Mais cela ne l'empêche pourtant pas de couver des œuvres qui elles, sont d'une puissance et d'une pensée sans commune mesure. C'est pourquoi l'exposition, le partage, la transmission voire la propagande, sont des impératifs si l'on veut un tant soit peu ne pas être trop irrévérencieux envers ceux qui, en dépit d'un matériau prosaïque dans lequel sculpter qui les surplombent, usent de tout leur être pour donner vie à des émotions et des poésies d'une beauté nouvelle.

Fumito Ueda, game designer, auteur d'ICO, Shadow of the Colossus et The Last Guardian, est de ces hommes qui ont fait de leur romantisme un sacerdoce. Son histoire, aussi jolie qu'elle est injuste, vous la découvrirez dans cet écrit qui se destine à toute personne douée d'émotivité, et qui s'octroie la noble tâche de dévoiler en prose un monument du game design, et un des artistes les plus marquants de ce début de siècle. Voici un portrait, une biographie, une analyse mais avant tout un témoignage qui, sous la forme d'un recueil de trois fables qui traduisent les expériences interactives de Ueda en la langue de la poésie littéraire, se veut être un combat pour la reconnaissance de cet homme qui a eu la malchance mais aussi le courage d'exprimer son art à travers ce qui n'est qu'une sous-culture pour beaucoup.

SOMMAIRE