...car le jeu vidéo est malade, vous le savez, je le sais, nous le savons, et surtout, surtout ils le savent. Mais ils ne font rien. Et c'est la raison pour laquelle notre association est née. Qui, parmi nous, n'a jamais vu sa sensibilité heurtée par des incohérences narratives, des coffres bonus tombés du ciel ou des pieds de personnages à l'horizontale alors qu'ils se trouvent debout sur une pente ? Non, des études sérieuses l'ont prouvé, même avec la meilleure volonté et tout le savoir-faire du monde, un plombier ne peut pas passer dans les canalisations, c'est de la physique élémentaire. Et quand bien même le pourrait-il, rien, j'ai bien dit rien, vous m'avez bien entendu, ne prouve qu'il y découvrirait un monde gouverné par des tortues-dinosaures-mutants-cracheurs-de-feu. Contrairement à ce que prétendent les frères Bogdanov, tout-ça-n'est-que-spé-cu-la-tions. Je n'invente rien. C'est un constat. Aussi avons-nous jugé judicieux, à l'ABJVPM, de proposer une série d'articles destinés à pointer du doigt ces insuffisances scénaristiques et ces mécaniques éculées qui nous gâchent l'immersion à nous, joueurs, et qui empêchent le média d'accéder au statut d'œuvre d'art.

 

C'est pourquoi ce premier article traitera du manque le plus évident et le plus élémentaire, en la matière : le caca. Pas question cependant ici de faire dans le potache ou dans le www.9gag4chanYoutube.com. Non ! Il-n'en-est-pas-question ! Nous nous appliquerons à aborder cette question de manière mature et rationnelle, comme des gens civilisés.

 

Car bien qu'il s'agisse d'un besoin naturel et universe, le jeu vidéo n'ose pas le caca. C'est un constat. Même David Cage ose le cul, le cul-cul, éventuellement le concon, mais jamais le caca. Je n'invente rien. C'est un constat. Les personnages mangent, on le voit fréquemment, mais-ils-ne-font-pas-caca. De qui se moque-t-on ? C'est que nous allons essayer de savoir.

 

Mais d'abord, le caca, c'est quoi ?

 

Hé bien Jamy, c'est une ex-cel-lente question, qui nous concerne tous, à un moment ou à un autre de la journée. Mais bien que nous ayons chacun notre propre expérience de la chose, notre propre vécu (paradoxalement, pas toujours très propre, d'ailleurs), il nous manque souvent les connaissances encyclopédiques permettant d'en appréhender tous les tenants et les aboutissants. Car si l'origine du caca remonte à l'aube des temps, depuis le XIIIème siècle, les alchimistes les plus aguerris savent que tout ce qui entre par devant doit ressortir par derrière. Ou plus communément, par le cucul. Cucul, caca, c'est mnémotechnique. Un processus physiologique simple, qu'ils appelaient entre eux « principe de l'échange équivalent ».

 

Le caca est en effet un des principes les plus égalitaires du monde. Tout le monde fait caca, même des badass comme Solid Snake ou Liquid Snake - dont les pseudonymes, d'ailleurs, et ça on ne le sait que trop peu, font à mots couverts référence à leurs transits respectifs. Ne nous leurrons pas. Je n'invente rien. Ce pauvre Acid Snake pourra le confirmer.

 

Par conséquent, comment croire à un personnage qui ne fait pas caca ? C'est im-pos-sible. On n'y croit pas ! C'est un constat. On sait qu'on est dans la fiction, on ne s'immerge pas. Surtout quand l'aventure s'étale sur plusieurs milliers d'heures - comme dans les RPGs. Parce que même si les longs voyages s'accompagnent souvent de constipation et qu'on peut tenir deux ou trois jours sans aller « à la selle », comme disent nos amis cowboy, quand l'aventure s'étend sur des années, voire sur des générations, rien n'y fait, on ne peut pas fermer les yeux sur l'absence de caca. Les personnages mangent, mais rien ne sort par le cucul. L'échange équivalent n'est pas respecté. Le quatrième mur ne tombe pas.

Vous pouvez vous identifier à un personnage qui ne fait pas caca, vous ? Bien sûr que non. Personne ne peut. Personne ne veut. Car qu'est-ce qui est suggéré ici, au fond ? Que « si tu fais caca, tu ne peux pas être un héros ? » C'est ça, le message implicite ? Non mais allo, quoi !

 

Même dans les jeux dits « de merde », on ne fait pas caca, et seuls quelques jeux de niche - japonais, est-il besoin de le préciser ? Non, il n'en est pas besoin - voient au-delà de ce tabou inattendu.

 

Pourtant, la gestion du caca pourrait devenir l'atout majeur des jeux vidéo de la nouvelle génération, si seulement les concepteurs étaient moitié aussi talentueux qu'ils le prétendent. Car je ne vous apprends rien, j'espère : on ne peut pas faire caca n'importe où, ni n'importe quand. Eh non. Il y a des règles à respecter. Il faut se re-te-nir. Or se retenir en situation de conflit armé peut, on le subodore, grandement handicaper le personnage. Et que faire, encore, lorsqu'on explore un donjon rempli de monstres et qu'on a la taupe au guichet ? Où se soulager sans risquer de prendre un coup de hallebarde ? En forêt, pas de soucis, il y a des feuilles et des buissons. Mais dans une grotte ? Et dans un palais de mille et unes nuits, aux murs de cristaux translucides et aux tours de diamant ? Peut-on vraiment démouler son cake la conscience tranquille quand on est les premiers depuis dix mille ans à fouler le sol d'un sanctuaire oublié ? Et quid des combats contre les boss, quand c'est l'avenir du monde qui est en jeu ? Déjà que le caca s'invite au moindre oral de bac, quand l'enjeu est cosmique, peut-on vraiment envisager que les héros en seront dispensés ?  Or s'ils ne le sont pas, peut-on les imaginer, accroupis, chacun - et chacune ! - dans un coin de la salle, à proximité du dernier point de sauvegarde, en train de faire leur petite affaire - sachant que s'ils s'éloignent, ils courent le risque de tomber sur des affrontements aléatoires qu'ils auront bien du mal à remporter avec les guêtres baissées et le sphincter contracté ? Ne riez pas. C'est-un-pro-blème. Que le jeu vidéo, dans son immaturité, élude complètement. Il l'élude. Mais bien sûr ! Je n'invente rien.

 

Et puis il y a l'odeur ! L'o-deur. Si un personnage mange trop gras, trop épicé, ou n'emporte pas assez de feuilles pour s'essuyer, cela ne risque-t-il pas d'affecter de manières sensible ses relations avec ses compagnons ? Et, à plus forte raison, avec l'héroïne sur laquelle il a jeté son dévolu ? On peut bien avoir un design charismatique, des mèches, une épée classe, des biceps en béton, quand on sent, on sent. Je n'invente rien. Parce que c'est bien joli, de tomber amoureux, dans ces conditions. Pas de caca, pas de flatulences, juste des yeux de biche, c'est comme dans un rêve. Ça l'est nettement moins quand on imagine l'élue sur le trône. Ben oui, ça casse l'ambiance. Pourtant c'est une réalité ! On-ne-peut-pas-y-é-cha-pper.

 

D'autant qu'il est nécessaire d'aborder ici une variante du caca dont les implications sont tout, sauf anecdotiques : la diarrhée. Mais bien sûr ! Depuis quand un héros serait-il à l'abri ? Un marcassin en sauce mal préparé, une fiole de potion contrefaite et c'est le drame. Car que faire, quand le repas de l'avant-veille s'invite sur le champ de bataille ? Se battre moitié contre l'adversaire, moitié contre la nature, et perdre en habileté autant qu'en réactivité ? Ou lâcher les vannes la tête haute et en avoir plein les chaussures, au risque même de rendre le terrain glissant ? Tant de questions, légitimes, que l'on ne se pose pas, pourtant. On-ne-se-les-pose-pas !

 

Impossible à gérer en termes de Gameplay, peut-être ? Que nenni. Au contraire. Bien au contraire, même ! Il suffirait seulement d'ajouter, en plus des traditionnels points de vie et points de magie, une jauge de points de caca (ou PC, comme les ordinateurs), laquelle se remplirait plus ou moins lentement après chaque repas, en fonction des mets ingérés et des situations de stress vécues par le protagoniste. Passé un certain point, plus la jauge serait encombrées, si l'on peut dire, moins ce dernier serait efficient en contexte d'affrontements ou de sauts de plate-forme. Une fois pleine, elle réduirait de quatre-vingt-dix pour cent sa force, sa vitesse et son endurance, et lui interdirait l'usage de la magie ou des invocations. Ceci, jusqu'à ce qu'il puisse se soulager ou qu'un mauvais coup déclenche la poussée fatidique, incapacitant notre héros le temps de quelques rounds. Il serait donc indispensable de choisir judicieusement l'heure de ses repas, de même que leur composition, et de toujours garder un œil sur cette jauge qu'on pourra accélérer ou ralentir, au besoin, à l'aide de remèdes adéquats. Rien de bien compliqué, donc, pour une immersion totale garantie.

 

Quand à représenter visuellement la chose, plus que jamais, la subtilité est de mise. Il serait en effet scabreux de la montrer de manière crue, sans fards, par le truchement d'une séquence cinématique, surtout chez Square Enix où le personnage se sentirait obligé de faire ça en sautant dans tous les sens, en rebondissant contre les murs et en terminant par un roulé-boulé en slow motion. Evidemment. Ce serait ridicule. Encore qu'en QTE, si celui-ci est bien pensé, cela ne serait pas dénué d'intérêt... mais la pesanteur étant ce qu'elle est, le risque d'accident serait d'autant plus élevé... Toujours est-il que stylisé et accompagné d'une chanson J-pop mielleuse, l'ensemble pourrait même ajouter au jeu une touche de poésie. Aussi l'absence de caca dans les jeux ne relève-t-elle pas de contraintes matérielles, mais bien d'un choix délibéré ! Je n'in-ven-te rien. C'est un constat.

 

Constat qui laisse à penser que l'immaturité du jeu vidéo commence par sa volonté de maintenir le joueur dans l'illusion d'une réalité idéalisée, aseptisée, dont l'absence de caca se veut, finalement, le parfait symbole - ou, en tout cas, le haut de l'iceberg, qui est ici un tas de purin. Heureusement, l'ABJVPM veille au grain et dénoncera ce genre de malhonnêtetés intellectuelles aussi souvent que nécessaire parce que non, non, cent fois, mille fois, dix mille fois non, même, le joueur ne veut pas qu'on lui mente, il veut du ré-a-lisme. Il est adulte, il est mature. Il n'est pas là pour s'amuser (à part ceux qui achètent du Nintendo, mais ceux-là sont des attardés mentaux, ils ne comptent pas vraiment).

 

Dans notre prochain article, donc, nous traiterons d'un problème tout aussi crucial, mais nettement moins sulfureux : l'absence de vomito.

Car oui, aussi loin qu'on remonte, le jeu vidéo n'ose pas le dégueuli. Il ne l'ose pas. Je n'invente rien. C'est-un-cons-tat.

 

Oui, bon, à part Tidus, évidemment. Mais c'est l'exception qui confirme la règle.

 

Alors à bientôt pour un nouvel article et d'ici là, n'oubliez pas, soyez mature.

Et faites caca, bien sûr ! ;)