Depuis que Batman a été porté à l'écran, ses apparitions m'ont inspiré
tantôt rires tantôt fascination. Véritable personnage de contes de fée
modernes dans Batman Return de Tim Burton ou encore super héros kitch
aux tendances indéfinies dans Batman et Robin.
The Dark Knight est celui qui, pour moi, véhicule les thématiques
propres à l'homme chauve-souris en lui rendant hommage tout en le
renouvelant.
Batman, c'est plus fort que toi !
Batman Begins nous avait rendu témoin de la naissance du Chevalier Noir. L'histoire prend place dans Gotham City, une ville qui est ce que Rome la Magnifique devint au fil du temps : décadente et rongée par sa
propre vicissitude.
Bruce Wayne, fils de bourge traumatisé par la mort de ses parents
décide alors de changer les choses. Mais flic n'est pas sa vocation, il
se rend très vite compte qu'un homme est faillible s'il est dépendant
d'un système et si lui-même ne dépasse pas sa condition d'homme. Il
préfère revêtir un costume encombrant et prend la folle décision de
devenir un surhomme, tant en s'entrainant physiquement qu'en se créant
une image qui le déshumanise. Le voilà donc en quête d'un nouveau
visage, celui-là même qu'il redoute : le Batman. Il devient ainsi un
idéal de la justice implacable et incorruptible. The Dark Knight est la
suite directe des pérégrinations de l'homme-concept qui traque et
tabasse les criminels : inspire-t-il la crainte ? La justice ? Ou encore la folie ? Tout cela en même temps il faut croire.
L'ouverture du film nous donne une première idée de comment
l'idéal du Batman est interprété dans Gotham City la Corrompue. Des
civils l'imitent mais s'arment de mitraillettes, un des instruments même qui sert à instaurer la terreur, pour affronter eux aussi les parrains
du crime. Le Chevalier Noir corrige vite l'erreur en désarmant autant
les criminels que les imposteurs et en les attachant sans distinction
les uns aux autres. Le Batman est un fantasme, celui d'un homme
sur-entrainé et apprivoisant ses peurs au point d'être un justicier qui
peut se passer d'armes à feu.
Joker c'est plus fort que Batman !
Le Batman est à la fois un monstre et un héros, toléré par une
ville qui a grand besoin de lui. Il est craint du fait de sa
déshumanisation et s'il ne semble avoir aucune limite, seul un majordome cynique sera témoin des blessures infligées à l'homme derrière le
masque.
L'apparition du Batman n'est pas sans conséquences et Gotham City
le lui prouve par l'émergence de deux protagonistes directement inspirés du héros.
Le procureur Harvey Dent jouit d'une crédibilité envers les
citoyens de Gotham, un visage... blanc et immaculé qui n'a pas besoin de masque, et contrairement au Batman, il humanise le concept de la
justice.
Le second, loin d'être une pâle imitation du justicier masqué,
devient la caricature de la folie propre aux hommes, Gotham possède
maintenant son propre bouffon, le Joker. Il a très vite compris ce qu'a
impliqué la venue du Batman, celui-ci change la donne car il s'extirpe
des lois et des hommes pour les influencer. Le Joker devient donc un
Alter-ego complémentaire, délaissant le problème lambda des criminels
qui est l'argent pour jouer sur un tout autre plan. On ne connaîtra
jamais le véritable passé du Joker et cela n'a pas d'importance, ses
intentions doivent rester hors de portée afin qu'il puisse être
l'incarnation même du chaos. Voici notre Néron qui veut voir la ville
brûler, comme il met le feu aux liasses de billets.
Le Roi est mort, vive le Roi
Le décor est planté, Gotham City sera le théâtre de confrontations entre monstres et héros.
Tels les frères jumeaux à l'origine de Rome, Rémus et Romulus,
abreuvés du même lait de la louve, les deux nouvelles figures vont jouer un rôle décisif quant au devenir de la ville. Toute cette histoire est
plus qu'un règlement de compte, les enjeux personnels se confondent avec la portée symbolique de chacun. Au fond ils ne sont que des hommes et
c'est l'idée qu'ils véhiculent qui ne doit pas mourir.
S'ensuit d'innombrables luttes dans lesquelles Batman peine à
surveiller ses deux enfants terribles, Harvey bascule dans la folie pour devenir un Double-Face servant une justice aliénée tandis que le Joker, lui, étend son influence au point de faire du héros implacable une
victime.
Le Chevalier Noir est poussé dans ses derniers retranchements, le
Joker ne s'attaque pas directement à lui comme chaque truand l'avait
fait jusque là mais il remet en cause l'existence même du Batman.
Celui-ci devient même un paradoxe lorsque le Joker l'oblige à
dévoiler son identité sous la menace de tuer des innocents. Le voilà
directement responsable de la mort d'individus de par sa simple
existence. Le Joker culpabilise le héros qui n'a alors plus que deux
alternatives : faire mourir l'idéal qu'il est ou alors se voir avilir au point que son symbole soit vidé de sens.
Batman est absent dans ce film, il essaye tant bien que mal de
trouver une solution mais il se voit supplanté par le Joker. Si son
rival a toujours un pas d'avance sur lui, c'est que le concept du Joker
est affranchi de toute barrière morale, de toute entrave et de toute
responsabilité envers la ville et ses citoyens. Batman, lui, est
prisonnier de sa vertu.
La scène précieuse de l'interrogatoire est l'illustration de cette relation complexe qui lie les deux monstres, et de leur destinée
absurde qui leur impose de courir éternellement l'un après l'autre
jusqu'à qu'une mort s'ensuive.
Le Batman n'a aucun moyen de soutirer une information du Joker
hormis si celui-ci la donne de sa propre volonté. Le Chevalier Noir ne
peut pas tuer et c'est là toute sa malédiction car il se retrouve
impuissant devant un être que seule la mort pourrait stopper. Il ne peut rien accomplir par la force, son autorité n'a plus de sens et le
Bouffon en est conscient plus que n'importe qui d'autre. Vaincu, le
Batman doit jouer le jeu du Joker qui le met face à une décision
impossible : sauver Rachel et ainsi retrouver une vie d'homme ou bien
sauver Harvey en qui Gotham City a placé ses espoirs.
Batman n'aura même pas le privilège de décider lui-même de sa
destinée, le Joker le fera pour lui en inversant les adresses. Bruce est condamné à rester Batman.
Le Joker est finalement capturé mais ses pitreries ont finalement
fait mouche, puisqu'il a rendu fou Harvey Dent devenu Double-Face qui
met en œuvre une vendetta contre tous ceux qu'il tient responsables de
sa condition. Le Chevalier Blanc de la ville, épris de justice, est
devenu un concept aliéné, infligeant la mort selon le bon vouloir de sa
pièce de monnaie.
La fin du film expose la mort d'Harvey mais ses meurtres laissent
présager la dépression d'une Gotham City déjà bien affectée par les
ravages du Joker. Batman se sacrifie alors en endossant les crimes de
Double-Face, ne laissant que le souvenir d'un martyr. Harvey Dent, pour
les citoyens de Gotham, est officiellement mort en combattant la folie
qui s'insinuait dans la ville et a été assassiné par Batman.
Le Batman n'est plus, il a failli à son propre concept de justice
inflexible, il est un paria qui revêt la noirceur de Gotham City.
Cependant le Chevalier Noir est maintenant libre de ses contraintes de
justicier et il redevient ce qu'il était sans le symbole, un homme hors-la-loi.