S'en suivait une discussion animée (comme souvent dans les tuyaux ici)
concernant le droit de revente des jeux vidéos. Le sujet pose en fait
plusieurs questions. Ce n'est pas le premier à s'attaquer à la chose, EA et Ubisoft ont déjà fait part de leur intentions de tondre... pardon, de récupérer une dizaine d'euros par jeu d'occasion.

Tu l'as dans le CLUF

En
effet un forumeur a cru voir mention dans les CLUF, les Contrats de Licence
d'Utilisateur Final, de l'interdiction de revendre le logiciel.
Vous savez les CLUF, ou encore EULA (End User Licence Agreement) en
anglais dans le texte. Mais si, ces textes que vous ne lisez jamais et
que vous acceptez sans sourciller. De toute manière, soit vous les
acceptez, soit vous ne jouez pas. Première contradiction dans le
principe. Pour pouvoir lire le contrat, il faut ouvrir la boîte. Or le
code de la consommation (Art L121-20-2) ne prévoit d'autoriser le retour d'un logiciel (c'est le droit de rétractation) que si ce dernier est
encore scellé. En outre le CLUF inclue presque systématiquement la
possibilité de modifier le contrat sans préavis et à loisir...

Mais ce n'est pas parce qu'un éditeur écrit ce qu'il veut dans les CLUF que le
consommateur doit s'y tenir. Même si ce genre de contrat n'entre dans
aucune catégorie juridique définie, les CLUF ne sont pas au dessus des
lois des pays où sont vendus les jeux. En principe, on peut considérer
ces contrats comme des contrats d'adhésion relevant du commerce
électronique. De ce fait, on peut tout à fait caractériser des
situations de clauses abusives (directive 93/13/CEE du 5 avril 1993) et
s'appuyer encore une fois sur le code de la consommation français pour
protéger le joueur. L'article L 131-1 stipule en effet ;

Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels
ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour
effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur,
un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des
parties au contrat

Et les déséquilibres sont souvent légion dans les CLUF. Pas de
négociation, pas le choix. La partie forte impose, l'utilisateur n'a que le choix de rentrer chez lui. L'éditeur s'arroge très souvent le droit de modifier à loisir le contrat et s'exonère d'un certain nombre de
responsabilités qui semblent pourtant évidentes (le maintien d'un
service par exemple). Dans le cas ou le CLUF n'est pas rédigé en
français, il est en contradiction avec la loi Toubon et donc caduc. Pour finir, le CLUF demande également souvent à l'utilisateur de renoncer à
tous ses droits de propriété intellectuelle. Par exemple en créant des
niveaux avec un éditeur inclus, des histoires supplémentaires, etc.
Toutes proportions gardées, c'est comme si Microsoft s'appropriait les
droits de tout ce qui est écrit avec Word... Les éditeurs ne sont pas
idiots. Ils vont se retrancher derrière le désir d'éviter l'anarchie
avec leurs créations. De louables intentions pour éviter que la
communauté ne détourne leurs œuvres en faisant preuve de mauvais goût ou, pire, en essayant de faire passer de la pornographie ou des idées subversives. Seulement l'arsenal juridique pour traiter ce genre de souci existe déjà. Nul besoin de
CLUF.

Revenons à nos moutons. Quand bien même ce forumeur aurait trouvé mention d'une
interdiction de revente de logiciel, il ne prendrait aucun risque à
aller le vendre, même devant les portes de l'éditeur.

Mon précieux est à moi

En
droit européen il existe une directive qui confirme que le logiciel que
j'ai acheté m'appartient et que je peux le revendre. Il s'agit du droit
d'épuisement. C'est la Directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur. Elle stipule dans son article 4 que La première vente d'une copie d'un programme d'ordinateur dans la
Communauté par le titulaire du droit ou avec son consentement épuise le
droit de distribution de cette copie dans la Communauté, à l'exception
du droit de contrôler des locations ultérieures du programme
d'ordinateur ou d'une copie de celui-ci.
J'ai donc parfaitement le droit de revendre mon jeu. Il est bien évident qu'il faut faire la différence entre la possession
du support matériel et le droit de la propriété intellectuelle qui n'est pas acquis. Pourquoi est-ce important ? Parce que le téléchargement
d'oeuvres immatérielles liées à un compte (steam par exemple) n'est pas
soumis à ce régime. La directive du 22 mai 2001 le confirme dans son considérant numéro 29 ;

La question de l'épuisement du droit ne se pose pas dans le cas des
services, en particulier lorsqu'il s'agit de services en ligne
. [...] Contrairement aux CD-ROM ou aux CD-I, pour lesquels la propriété
intellectuelle est incorporée dans un support physique, à savoir une
marchandise, tout service en ligne constitue en fait un acte devant
être soumis à autorisation
dès lors que le droit d'auteur ou le droit
voisin en dispose ainsi.

L'occasion au secours du neuf

La question des CLUF est réglée, celle du droit de revente aussi. Venons
en maintenant au marché de l'occasion qui tuerait soi-disant celui du neuf. Tout
d'abord, il faut noter que ce marché a existé de tout temps. Cela n'a
jamais empêché nos chers éditeurs, distributeurs et constructeurs de
prospérer. Ce qui les tue, c'est la concurrence, pas le consommateur.
Ensuite, d'autres intervenants du forum l'ont souligné, si on revend son jeu, c'est très souvent pour en acheter un autre. Et acheter un jeu
d'occasion ne signifie donc pas une perte de vente de jeu neuf pour
l'éditeur. Vision arrangeante, mais réductrice.

Le
marché de l'occasion est en fait un catalyseur des ventes de jeux neufs. Hé oui ! Si vous faites attention à votre budget et en fonction de
l'affect que vous allez avoir avec le titre en question, vous pouvez
déjà envisager le coût réel de votre investissement en déduisant son
prix de revente. Si je trouve Modern Warfare 2 à 40€ en neuf et que je
sais que je vais pouvoir le revendre environ 20€, il ne m'aura au final
coûté que 20€. En supposant que je veuille investir dans un autre jeu à
40€, je vais injecter une somme supplémentaire et m'offrir un autre jeu
neuf. La boucle est bouclée. En économie, on appelle cela
"l'appropriabilité indirecte". Le vendeur initial peut bénéficier de
ventes supplémentaires grâce à la revente du particulier.

Continuez à chercher les bonnes affaires, continuez à profiter du marché de
l'occasion. La culture jeux vidéo est vaste aujourd'hui, il serait
dommage de ne pas en profiter. Et puis, c'est une autre façon de tordre
le cou au piratage sans non plus se ruiner.

Références :

Pour
ceux qui ont lu jusqu'au bout. Et pire ceux qui ont lu la CLUF dans cet
article, vous n'avez rien remarqué ? Si oui, bravo, si non voyez ceci.

Cet article est tiré du Blog Parallaxe. Je vous propose de laisser en priorité les commentaires sur le fil du blog pour un meilleur suivi.