TOMB RAIDER. Non, pas l'épisode original édité par Us Gold, mais le nouveau. Comme quoi le Star Trek de J.J Abrams a imposé plus que du lens flare dans les cahiers des charges d'hollywood, et par répercutions à l'industrie vidéoludique, mais également dans la manière de construire un reboot. Restait à voir si Crystal Dynamics a su exploiter ce potentiel de belle manière.

En 1996 sur la Sega Saturn de mon grand frère, j'ai explosé de joie, enfant que j'étais, car j'étais enfin venu à bout du premier monde de Tomb Raider. Bien avant l'explosion médiatique et l'obscénité mercantile qui allait graviter autour de cette future « icône » du jeu vidéo, le jeu de Core Design était une punition excitante. Exigeant, difficile, sadique par moment ; on a pris du plaisir à en chier sur ce jeu. Peu l'ont terminé à l'époque, il faut bien le dire, mais nous étions nombreux à apprécier cette nouvelle approche du jeu de plateforme. Portée par la technologie, l'exploration solitaire de Croft était parvenue à marier une orientation cinématographique rafraîchissante à l'exigence millimétrée d'un gameplay  rugueux que n'aurait pas renié un certain Paul Cuisset.

Et si l'éclat de cet opus originel a perdu aujourd'hui de sa superbe, c'est aussi parce qu'à l'époque on n'aimait pas trop lorsqu'un développeur sortait un épisode par an et sur le même moteur ; oui, ça a bien changé aujourd'hui. Alors que feu Core Design a vu les ventes de sa poule aux œufs d'or décliner année après année, aujourd'hui les éditeurs majeurs de l'industrie font leurs plus grosses ventes sur un business plan identique. Mais c'est un autre débat.

Après leur trilogie de reprise de la licence, chez Crystal Dynamics on a donc décidé qu'il était temps de repartir d'une page blanche et de porter leur propre vision de ce jeu. Une intention que je ne pouvais que saluer, tant leur triptyque s'avérait n'être qu'une jolie remise à niveau d'une mécanique un brin rouillée.  Crystal avait montré qu'ils pouvaient faire du Core Design, mais en mieux, d'accord ; mais pouvaient ils s'essayer à faire tout simplement du Crystal Dynamics ? Finalement cette première trilogie avait des atours préliminaires, comme une entrée en douceur, pour ne froisser personne, d'où mon excitation de voir le développeur de mon Soul Reaver d'amour lancer les hostilités avec leur premier Tomb Raider « CD touch ».

Et effectivement, dans ce Tomb Raider on retrouve beaucoup du gamedesign des premières aventures de Raziel. Il y a là de toute évidence une identité reconnaissable, et qui a fait ses preuves. Mais j'y reviendrai un peu plus tard...

Parlons tout d'abord de cette histoire, de quoi parle ce Tomb Raider ? Lara Croft n'est pas encore la grande aventurière que nous connaissons, c'est une jeune archéologue sans expérience, embarquée à bord de l'Endurance, une jolie variante moderne du S.S Venture. Accompagnée par toute une équipe d'amis aventuriers, Lara parvient à convaincre le capitaine du navire de faire cap vers le Triangle du Dragon, car elle est persuadée qu'il renferme le mystérieux royaume perdu du Yamatai.

Ouais, ça c'est l'histoire proposée par Rhianna Pratchett. Lara Croft est donc une jeune femme sans expérience, qui emmène toute une équipe d'aventuriers aguerris vers un « triangle des Bermudes » japonais, sur une intuition. Et lorsqu'une tempête surgit de nulle part et fait s'échouer l'Endurance sur une île inconnue, la jeune Lara se sent donc responsable et va se démener pour sortir ses amis de cette panade. En gros, c'est ça.

Ce qui m'a vraiment sauté au visage pendant mon aventure sur Tomb Raider, c'est de voir à quel point le jeu vidéo scinde sa narration n'importe comment. Vous avez d'un côté le background, qu'on va vous proposer de différentes façons, que ce soit via les décors ou des informations disséminées un peu partout qu'il vous faudra chercher et collecter ; et vous avez la narration classique, l'enchaînement des séquences, le parcours de votre personnage, ses relations avec ses alliés et ses ennemis, sa construction au fil du récit... Dans les jeux actuels, et ce Tomb Raider ne déroge pas à la règle, ces deux parties sont indépendantes au point qu'on se retrouve de plus en plus souvent avec un univers particulièrement charmeur, mais plombé par un scénario navrant de pauvreté.

J'ai adoré l'univers proposé par ce Tomb Raider. Fan de LOST que je suis, j'ai pris un pied terrible à me retrouver sur cette île étrange, dont l'histoire étirée s'offrait à ma curiosité par le biais des décors visités, qu'il s'agisse des coursives rouillées d'un Bunker de l'ère Shôwa ou des ruines ancestrales d'un village millénaire. Grâce au soin apporté aux décors de ce Tomb Raider, et à l'intelligence des « notes » à trouver durant notre aventure, on parvient à en apprendre plus sur le passé de cette île singulière, et on aimerait que ça soit mis plus en avant. Surtout vis-à-vis de l'histoire en elle-même, qui collectionne les aberrations à la chaîne, bien malheureusement.

Que le background de ce Reboot soit distillé au fil du parcours comme une récompense pour les joueurs qui aiment fouiner dans les niveaux, c'est regrettable mais ça reste dans la norme actuelle. Le véritable problème c'est la pauvreté de la narration classique de ce jeu. Il y a un décalage monstrueux entre l'envie de départ, certainement sincère, de Crystal Dynamics, et le résultat final.

On se retrouve sans arrêt frustré entre ce que le développeur aurait aimé nous proposer, et ce qu'on obtient réellement. J'en veux pour preuve un exemple hallucinant : Durant les temps de chargement, comme souvent, on nous donne quelques astuces à ne pas oublier, dont une qui m'a particulièrement étonné durant de nombreuses heures, qui nous rappelle qu'il faut appuyer sur une touche précise pour parler à nos compagnons. Hein ? Quand est-ce que je peux parler à mes compagnons ?! Ils ne sont jamais là ! Uniquement dans les cinématiques ! Et finalement, à la toute fin du jeu, effectivement, il y a un environnement où peut voir nos compagnons affairés près d'un feu de camp, et les possibilités d'interaction à ce moment-là sont... Comment dire, ce n'était peut être pas la peine de l'évoquer dans les temps de chargement finalement...

Et puis de toute façon, à un niveau si avancé dans l'aventure, le mal est déjà fait, car rien n'est mis en place pour qu'on s'attache à ces personnages secondaires. L'intrigue était pourtant tournée en ce sens, et entre ce système visiblement avorté des feux de camp en groupe, ou la caméra numérique  de Sam' qui n'est que trop rarement utilisée pour nous montrer la vie de l'équipage avant le naufrage ; nous aurions pu vraiment nous attacher à nos compagnons, ce qui aurait apporté un peu plus d'impact à ce qui nous arrive au fil de l'aventure. Mais là, ça ne marche pas, car l'accent est mis sur Lara et uniquement sur elle. Autant la faire s'échouer seule dans ce cas, si vous n'aviez pas envie de nous parler du reste de son groupe. Le plus dramatique, c'est qu'on perçoit que ce n'était pas leur but, de délaisser à ce point les seconds couteaux, mais qu'ils ont dû abandonner l'idée des campements. Intuition appuyée par le fait qu'on nous explique ce que ressentent ces personnages, mais via le même style de notes à trouver dans les niveaux. Qu'on en apprenne plus sur l'histoire de l'île à ses différentes époques de cette manière, c'est normal ; mais que les amis invisibles de Lara sèment sur leur route des pages de carnet, c'est un peu ridicule.

Alors, faute de mieux, on se focalise sur Lara, et on suit sa progression. La nouvelle Lara est très intéressante, même si à l'instar du reste du jeu, elle souffre d'une écriture assez pauvre. J'avais également peur de la prestation d'Alice David, la communication de SquareEnix mettant plus en avant le fait que la fille de Bref soit canon avant d'être talentueuse. Le résultat est plus que convainquant, malgré les dialogues insipides qu'elle a dû sortir la plupart du temps, Alice David a su me faire oublier l'absence de Françoise Cadol que j'ai pleurée à chaudes larmes auparavant. Elle a apporté à mon sens plus de fragilité de par son jeu, que ce qu'a tenté de faire Crystal Dynamics par les situations qu'elle traverse au cours de son aventure.

Dans TOMB RAIDER, Lara en prend plein la gueule, c'est indéniable. Mais au-delà des séquences Unchartedesques un peu trop mal venues compte tenu de la note d'intention de CD, j'ai été vraiment scotché par certaines séquences. Bien évidemment, la fameuse tentative de viol qui jouit d'un traitement à mon sens très intelligent. Je trouve d'ailleurs que les critiques portées à cette scène, pointant du doigt le sexisme latent du geek de base qui ne peut être qu'un sadique frustré sexuellement, sont passées totalement à côté du sujet, écrit par une femme est-il besoin de le souligner.

Cette cut-scene est pour moi la plus réussie du jeu, et en même temps l'exemple flagrant que le reste de la narration n'est pas au niveau de l'enjeu. On y voit une jeune femme fragile, prise au piège dans un univers malsain, impitoyable. Une jeune femme qui va devoir tuer pour survivre, qui va devoir se blinder pour réussir. L'occasion également de désamorcer le fait qu'on joue une bimbo en débardeur qui halète, pour le simple plaisir des yeux. Avec cette scène, Pratchett avait ouvert la voie vers une identification viscérale pour ce personnage. Elle réitère cette belle promesse avec un passage à tabac particulièrement froid et brutal. Des séquences particulièrement violentes, qui choquent et provoquent jusqu'au joueur le plus détaché. Mais ces perles de narration n'arrivent que de manières sporadiques au cours de l'histoire, et leur impact émotionnel est plombé par les séquences d'action exagérées et l'enchaînement rocambolesque de cascades gratuites.

On retrouve là, une fois de plus, cette dichotomie entre la volonté première du studio, et le résultat final. La narration de TOMB RAIDER n'est bonne que lorsqu'elle demeure intimiste, mais sacrifie trop souvent ces moments intelligents pour la facilité d'un grand spectacle pyrotechnique. Vraiment dommage. 

Et curieusement, ce genre de deuil, on doit également en faire manette en mains quand on se lance dans Tomb Raider. Faute certainement à une communication trop hâtive qui nous a vendu le jeu comme un titre axé sur la survie, où il nous faudrait chasser à l'arc,  explorer une île mystérieuse... De ces promesses ne demeurent que des bribes d'intégration, et il m'a fallu une bonne heure pour l'accepter et prendre ce jeu pour ce qu'il est factuellement : Un Soul Reaver.

C'est d'ailleurs ironique quand on y pense, car Soul Reaver était un titre fortement inspiré dans son gameplay par Tomb Raider. Donc déclarer que leur nouveau jeu ressemble à leur ancien jeu qui s'inspirait de la même série que leur nouveau jeu, c'est à y perdre la boule. Et pourtant. Pour moi, Soul Reaver, et donc également ce Tomb Raider, est une version moderne et réussie des Metroidvanias. A comprendre par là que notre personnage évolue dans un environnement plus ou moins ouvert où la progression de ses compétences lui permettra d'explorer les niveaux d'une nouvelle manière. Outre ce système de progression naturel qui permet au joueur de renouveler son expérience en  utilisant de nouvelles capacités, la force de ces jeux est de nous permettre de revisiter de précédents niveaux et d'atteindre des zones auparavant inaccessibles, grâce à nos nouvelles compétences.

Tomb Raider est construit dans ce sens, avec la possibilité qui nous est offerte de revenir dans de précédentes zones, tout en ayant débloqué les nouvelles capacités de Lara. Si la montée en puissance de notre personnage apporte une véritable force à la série, et se fait accessoirement au diapason de l'évolution du personnage dans l'histoire, il reste malgré tout regrettable de constater que les niveaux sont trop peu destinés à être re-explorer pour exploiter ces nouvelles capacités.

Là où un Soul Reaver nous faisait revenir en arrière pour continuer l'aventure en nous donnant un exemple concret de notre montée en puissance ; ce Tomb Raider peine à exploiter la même idée en étant trop linéaire, trop Unchartedesque. Ça rentre en contradiction avec le système d'expérience de Lara, la mise en place des feux de camps qu'on cantonne finalement à de simples warpzones... Une fois de plus, le potentiel était là, et on doit se contenter du minimum syndical.

Et si j'évoque à ce point Uncharted comme un défaut de ce Tomb Raider, c'est que la recette de Naughty Dog s'applique parfaitement à un TPS pur jus, et non à un jeu d'action-aventure. On ne peut pas qualifier le reboot de Lara Croft de simple jeu de tir à la troisième personne, ça serait trop réducteur. À bien des égards le titre de Crystal est un meilleur jeu d'aventure que celui des Dogs. D'où ma déception claire de voir le jeu tomber dans la facilité d'une séquence explosive rythmée par des « non non non non ». Ce côté bigger than life colle parfaitement à Uncharted, qui l'utilise intelligemment comme enrobage ; mais dessert totalement le propos de ce Tomb Raider qui se voulait humaniste et viscéral. De plus, la plupart de ces séquences-là, on les a déjà jouées avec Nathan Drake, alors moi à chaque fois je décroche. Il en va de même avec le mode multijoueurs, sur lequel on ne risque pas d'être perdu tant c'est une repompe de celui d'Uncharted 3, le système de pièges en plus.

Le paradoxe de ce Tomb Raider, c'est qu'en dépit de ses incohérences, ses errements et ses maladresses, il demeure un bon jeu vidéo. On prend du plaisir à jouer, à progresser sans le moindre accroc. C'est lorsqu'on renonce à ces promesses non tenues et à ces intentions inabouties, qu'on parvient à relativiser et à admettre que le jeu demeure soigné et plaisant à parcourir. Faut il s'en contenter pour un tel blockbuster ? Là est toute la question.

Il est encore trop tôt pour savoir si Crystal Dynamics a construit une véritable nouvelle timeline, tant tout est mis en œuvre pour nous donner l'impression d'avoir assisté à une Prequelle plus qu'un Reboot. Fruit d'une lente et complexe gestation, ce récit analeptique des premières mésaventures de Lara Croft ne s'est pas fait sans heurt. Des promesses initiales s'écroulant les unes après les autres comme un fragile château de cartes, demeure malgré tout un jeu plaisant grâce à la recette maîtrisée de ce grand studio. Comme la jeune Lara qui a perdu son innocence sur cette île maudite, il nous faut perdre nos illusions pour profiter totalement de la qualité de ce Tomb Raider.