L'horreur dérange. Elle malmène le lecteur, terrifie le spectateur, et crispe le joueur. Combien de fois a-t-on pu entendre des gens dire " Je ne peux pas jouer à tel jeu parce qu'il me fait trop peur " ?

C'est justement en montrant Dead Space 2 à ma copine que m'est venue l'idée d'écrire cet article. Même sans tenir la manette elle sursautait au moindre bruit, et son immersion était telle qu'elle en venait à flipper même quand j'ouvrais l'inventaire. Face à un manque de distance aussi flagrant vis-à-vis du jeu et outre le plaisir sadique que je prenais à la voir hurler telle une chouette enragée, j'ai tout de même pris le pas de tenter de la rassurer en lui expliquant pourquoi à tel ou tel moment il n'y avait aucune raison d'avoir peur. Et en fait je me suis rapidement rendu compte que j'étais en train de lui donner une leçon de game design/level design.

C'est de ça dont je veux vous parler : les mécaniques de jeu qui sont faites pour conditionner le joueur dans un univers horrifique. Ce qui suit va sûrement paraître évident pour les connaisseurs ; cet article ne prétend effectivement pas leur apprendre des choses mais a plutôt vocation didactique chez les novices en la matière. Je tiens d'ailleurs à vous prévenir, si vous connaissez mal le sujet et que vous tenez à préserver le côté " magique " dans vos parties, ne lisez pas ce qui suit !

 

Un univers affriolant

Contrairement à un Rayman Origins ou un Lego Star Wars, dans ce que j'appellerais un " jeu d'horreur " au sens large, on voit très rapidement que l'aventure ne va pas se limiter à cueillir des pâquerettes. Décors sombres, lumières marquées et grincements épars, on voit tout de suite avant même de commencer à interagir avec son personnage que les bases structurelles du genre font déjà leur office. La clef de tout ce que le joueur va vivre durant son aventure, c'est le conditionnement ; ce postulat est d'ailleurs valable pour toute œuvre de fiction, quel que soit le genre.

 

Levé de rideau

Dire qu'un décor de jeu n'est pas conçu par hasard, c'est une litote. Tout est calculé au moindre détail, tant visuellement qu'accoustiquement ; ça paraît évident, mais c'est toujours bon à rappeller.

Contrairement à ce qu'on peut croire, la liberté d'action est très limitée par notre inconscient, et naturellement les développeurs savent bien jouer là-dessus. Petits garnements ! C'est un peu triste à dire, mais ce que vous faites dans un jeu, des milliers de joueurs l'ont fait, le font ou le feront exactement de la même manière. Quand un designer construit un décor, il va placer les zones de lumière de façon à tenter de motiver le joueur à se déplacer non pas où bon lui semble, mais plutôt là où il est sensé aller pour vivre au mieux ce que les développeurs veulent lui montrer. Ainsi, dans un couloir avec plusieurs embranchements, le joueur va instinctivement repérer en premier lieu la zone la plus visible, c'est seulement en second lieu que le choix du chemin à prendre lui appartiendra. 
Cette visibilité peut se faire de différentes façons : une zone de lumière au milieu de l'obscurité, une porte bien visible ou plus généralement un élément de décor qui attire l'œil.

La porte, par exemple, est un objet important dans le jeu d'horreur : c'est un point de fuite potentiel que le joueur anxieux aime à repérer rapidement en cas de coup dur. Tout d'abord, il y a  souvent deux types de portes : celles qui sont interactives et celles qui ne sont là que pour nourrir le décor. La différence est assez nette pour un œil averti ; les premières sont généralement mieux repérables graphiquement (elles ont une réelle utilité) alors que les secondes se montrent souvent plus discrètes avec des tons neutres qui n'attirent pas l'œil (elles ne servent à rien d'autre que pour décorer).

Dans Dead Space par exemple, les portes ont un code couleur très marqué : les portes accessibles sont ornées d'un logo aux couleurs froides et celles qui sont fermées auront plutôt une couleur chaude, agressive. Le joueur n'a ici pas besoin d'interagir pour savoir s'il peut passer ou s'il est bloqué, il peut le voir d'aussi loin que le décor le lui permet. Ça permet de se sentir rassuré, de se dire " Ok, ici je peux avancer "... tant que la porte ne se ferme pas automatiquement à l'arrivée de monstres !

 

Dans Resident Evil 1, les portes sont aussi placées de façon à ce qu'on les voit au premier regard, mais ici il n'y a pas de logo. La représentation se fait soit par une couleur particulière soit par un contour nuancé. Dans tous les cas, tout est fait pour que le contraste marque de façon nette et claire ces éléments de décor. En l'occurence, on peut d'ailleurs observer ce même procédé dans les différentes versions du jeu, à gauche la version originale sortie sur Playstation et à droite le remake développé pour la Gamecube.

Mais, accessoirement, contrairement à Dead Space, on ne sait jamais si une porte est ouverte ou non. On est donc obligé d'interagir avec pour le savoir. Cette mécanique de jeu maintient le joueur dans le doute, il ne sait jamais à l'avance s'il est disposé à avancer ou à rester bloqué. Et le plus vicieux ? Dans ce jeu il n'y a pas de "fausses portes", elles sont toutes potentiellement utilisables !

 

Voici un exemple de "fausse porte", en deuxième plan sur cette capture de Fahrenheit. Elle ne porte aucun signe distinctif : ne se détache pas particulièrement sur le plan visuel. En bref à la manière de votre belle-mère lors d'un déjeuner de famille, elle est là pour décorer et n'a aucune utilité concrète.

 

Attention toutefois, ce postulat peut très bien être utilisé pour maintenir la confusion chez le joueur : on est ici poursuivi par un gredin dans un couloir, on cherche un point de fuite mais les portes se ressemblent toutes. Si le simpe feeling nous fait défaut, on est obligé d'interagir avec toutes les poignées jusqu'à ce qu'on trouve la bonne. C'est un cas très particulier qui joue habilement sur la situation de stress tout en se libérant des codes graphiques pour piéger le joueur. Notons au passage la lumière rouge au-dessus de la porte de sortie, qui nous indique instinctivement que celle-ci est fermée.

 

Bon c'est bien gentil, mais pourquoi détailler ça ? Ces précisions ont pour objectif d'aider les joueurs les moins aguerris à mieux gérer leur stress. Ainsi, en apprenant à mieux lire ce qu'il se passe à l'écran, ils seront mieux à même de discerner ce qui donne réellement matière ─ ou non ─  à se faire pipi dessus. Si je dis tout ça, c'est parce que ma copine m'a déjà fait le coup du " Ahh mais je vais où là ?! " alors qu'elle avait une porte devant elle qu'elle ne voyait pas ! Et de la même façon, combien de fois m'a-t-elle dit " Essaie la porte, là ! " alors qu'il m'était évident, même de loin, que celle-ci ne pourrait pas être ouverte. 

Il est très important de savoir dissocier ce qui tient du décor pur des éléments actifs dans la narration. Notons que ce procédé fonctionne aussi dans certains dessins animés. Sur l'image ci-contre on peut très facilement différencier le fond de l'image et les objets en mouvement. Avant-même de voir la scène, on sait déjà que les personnages vont interagir avec la poubelle. La raison en est simple, il est bien plus facile de gérer uniquement les objets actifs avec un décor fixé à l'avance plutôt que d'avoir à tout redessiner à chaque image. Pour le jeu vidéo, c'est la même chose. Niveau ressources système, moins l'ordinateur aura d'éléments actifs à gérer, mieux il s'en sortira.

C'est pour ça que le plus souvent, le joueur habitué aura tendance à aller directement à l'essentiel sans perdre de temps à fouiller là où il n'y a rien à trouver : il a appris à lire ce qui se passe à l'écran et sait dissocier le décor des objets actifs. Le novice, quant à lui, va plutôt nourrir tout seul son stress en allant dans des endroits où il ne se passe rien et en attendant justement qu'il s'y passe quelque chose. De la même façon, le joueur habitué passant devant un cadavre verra rapidement si ce dernier fait partie du décor ou s'il peut être ammené à l'attaquer. Le novice angoissé, lui, va  avancer pas-à-pas, tout doucement, et continuera encore à stresser une fois le corps derrière lui !

Donc maintenant que le petit flippé sait reconnaître ce qui est propice à lui sauter dessus ou non, évoquons ce que j'appelle aisément des " gros coups de pute " : les monstres plus ou moins cachés dans le décor qui, nonobstant leur apparente passivité, vont avoir une forte propension à vous sauter au cou.

 Cette scène bien connue de Resident Evil 1 en est un excellent exemple. Au détour d'un couloir, on tombe sur ce zombie étalé au sol. A ce moment-là les possibilités sont assez binaires : soit il est vraiment mort, soit il va tenter de nous gratter les pieds. 

Comment le savoir ? En fait il y a une règle simple dans ce jeu : quand un zombie meurt, une grosse tâche de sang se forme sous son corps. S'il n'y en a pas, c'est qu'il est vivant (enfin pour un zombie, c'est relatif). Or sur l'image ci-contre il n'y a pas de sang, la tâche qu'on voit sous le corps est... une ombre ! Outre la perversité des développeurs à jouer sur cette nuance, je pense personnellement qu'ils ont justement placé cette scène traumatisante en début de jeu pour dire au joueur une fois qu'il l'a tué " Regarde, quand la tâche de sang apparaît tu es sûr que le zombie est mort ! " de façon à ce qu'il puisse retenir cette astuce et s'en servir par la suite. Le joueur s'est certes chié dessus mais au moins il a appris quelque chose !

Les objets communs  ─ souvent appellés items ─  sont aussi visibles à la façon de la poubelle avec Sylvestre et son fils. Bien les repérer, c'est s'assurer de ne pas avoir à chercher, mais aussi et surtout d'être mieux équipé et donc de se sentir un peu plus rassuré. De nos jours ils ont une sévère tendance à clignoter ou à se voir pourvus d'une étoile scintillante de façon à mieux les voir, ce qui n'est pas toujours le cas des jeux sortis avant les années 2000 (ci-contre un medikit dans Doom 1). Mais en général, quoi qu'il arrive c'est comme les portes, tout est fait pour que le joueur ne les rate pas. En théorie tant qu'on fait un minimum attention à ses rations et munitions, on ne doit pas en manquer.

 Cette capture d'écran de Silent Hill Homecoming résume bien tout ce dont nous venons de parler : la lumière est posée de façon à pousser le joueur à s'intéresser directement à l'établi ; sur celui-ci figure d'ailleurs un objet avec lequel on va très probablement pouvoir interagir. De la même façon le couteau planté sur le corps à gauche est mis en évidence par un éclaircissement de la poignée, et le reste de la pièce est dans l'obscurité. Tout est fait pour synthétiser ce qui est essentiel, le reste demeure neutre et n'est là que pour illustrer l'univers.

 

Toc toc toc

Tout comme un film, un décor de jeu n'est pas composé que d'images, mais aussi de sons. Et dans le jeu d'horreur tout particulièrement, c'est une constituante fondamentale dans l'ambiance et le ressenti du joueur. S'il est possible comme nous venons de le voir d'apprendre à repérer les divers éléments qu'on peut avoir sous les yeux, il en est exactement de même pour nos oreilles. Musique, grincements, gémissements, bruits bizarroïdes... et même le silence, tous ont une présence d'autant plus forte que calculée au moindres détails. Et à la manière des objets de décor actifs ou passifs, il y a des sons actifs et passifs. La musique ne se déclenche jamais par hasard et les bruits environnants non plus.

La musique, c'est comme le décor de fond, c'est ce qui forme la colonne vertébrale de l'ambiance sur le plan sonore. Elle a un rôle tout à fait actif dans le déroulement d'un jeu : elle ne flotte pas aléatoirement, tout au contraire elle se déclenche à des moments très précis en fonction des mouvements du joueur. Et même plus que ça, elle permet souvent de savoir où on en est exactement dans l'action. C'est très facile à comprendre : quand un monstre se trouve à proximité par exemple, l'ambiance sonore va généralement se mettre en route de façon à créer un rythme vivant durant la scène, ce qui va implicitement avertir le joueur qu'il se passe quelque chose avant même qu'il ne voit quoi que ce soit. Et à l'inverse, une fois le dernier monstre de la pièce éliminé (s'il y en a plusieurs), cette musique va s'arrêter. Là où le joueur averti va tout de suite décompresser et faire le point sur son équipement, le novice flippé va plutôt rester à l'affût en n'osant pas trop bouger, pensant à tort qu'une créature va encore pouvoir surgir. Là encore, c'est une question de lecture  ─ accoustique cette fois ─ qu'il lui faut apprendre à décortiquer. Cette mécanique se retrouve dans tous les jeux à la manière d'un film, avec pour chaque scène une ambiance musicale qui lui est propre. De manière générale, c'est toujours la même chose dans le jeu vidéo : les scènes d'action auront souvent la même composition musicale, les phases de recherche pareil, tout comme les moments où il ne se passe rien dans lesquels le jeu d'horreur prend de façon réccurente un malin plaisir à y laisser un silence froid et pesant.

Mais même le silence n'est pas exempt de sons. Des bruits de pas, la respiration du personnage, le vent... et aussi, dans le cas d'un jeu dans lequel le moteur physique joue un rôle important, ce que le joueur peut percuter. Amnesia sait très bien jouer là-dessus en faisant en sorte que le joueur brise régulièrement le silence par les interactions qu'il produit involontairement avec le décor : on bouscule une chaise, on fait tomber des bouteilles, on marche sur une planche de bois, etc. Ces interactions involontaires produisent des sons qui ont tendance à faire sursauter le joueur pour un rien, ce qui ne fait qu'accentuer l'angoisse. Pour limiter ça, en théorie c'est très simple : il faut d'une part apprendre à reconnaître les différents sons, et d'autre part à être suffisamment attentionné pour éviter de se laisser surprendre.

Il y a aussi une chose qui tend à angoisser le petit flippé, c'est le bruit de fond de type murmure, gémissement, grognement. Ma copine, qui n'a pas pas l'habitude de jouer, m'a une fois dit " Il y a quelqu'un qui crie à côté ! ". Eh bien non, le bébé qui pleure ou la fille qui gémit doucettement, c'est juste un bruit de fond destiné à nourrir l'ambiance. Là encore il est assez simple de ne pas se faire avoir : ces bruits sont comme le décor de fond, ils ont une teinte neutre et ne sont pas altérés par les déplacements du joueur.

 

En coulisse

Une fois le décor étudié, pour mieux appréhender le stress de la visite, il peut être intéressant de savoir comment lui est donné vie. N'oublions pas qu'un jeu c'est comme un film, tout est déjà écrit et le joueur/spectateur est complètement passif vis-à-vis du travail de création : il ne peut traverser la fiction qu'à partir de la matière qu'on lui donne. Personne ne pourra jamais éviter à la princesse Leia d'embrasser son frère dans l'Empire Contre-Attaque tout comme personne ne pourra jamais piloter un avion dans la version d'origine de GTA IV ; c'est prévu comme ça et pas autrement.
Mais alors dans un jeu, si tout est calculé à l'avance par les développeurs, comment font-ils pour que les choses arrivent toujours au bon moment, quoi que je fasse ?
Prenons un livre. Au fur et à mesure de la lecture les évènement se déroulent sous nos yeux, mais rien ne se passe tant qu'on n'est pas arrivé à la bonne page. Si l'auteur a prévu que tel ou tel personnage meure à la page 72, l'évidence fait qu'il ne pourra pas mourir ni avant ni après. Eh bien c'est exactement la même chose dans un film ou... dans un jeu vidéo.

Les évènements se déroulent par le biais de scripts qui ne se déclenchent que s'ils sont activés, que ça soit par le déplacement du personnage à un endroit précis ou plus généralement une action exercée par le joueur. S'il est prévu que Johnny tombe dans les escaliers, tant qu'on n'est pas arrivé audit escalier, il ne se passera rien.

Au début de Dead Space 1, on se retrouve dans une grande salle avec ses copains. Evidemment, c'est au joueur qu'on demande d'aller activer une console dans la pièce à côté. Tant que celui-ci n'appuie pas sur le bouton pour s'exécuter, il ne se passera absolument rien. On pourrait très bien poser la manette et aller faire caca, aucun monstre ne surgirait. Par contre, à l'instant-même où l'on appuie sur le bouton adéquat pour activer la machine, hop, la scène se déroule soudainement sous nos yeux. C'est un peu comme si, en lisant un bouquin, on activait la scène en parcourant la ligne qui la décrit.

De la même manière, un script peut se déclencher par un déplacement du joueur. Pour expliquer ça le plus simplement possible, prenons cette scène qui se situe au tout début de Resident Evil 1. Au détour d'un couloir, un zombie est en train de manger un coéquipier. Tant qu'on ne l'approche pas, le zombie ne nous capte pas. On pourrait danser la carioca en chantant du Demis Roussos, il ne s'intéresserait pas à nous. Parce contre, à l'instant précis où l'on met un pied sur le tapis, pouf, une cinématique se déclenche, le zombie se retourne et se lève. Et comme ce jeu fonctionne par le biais de plans fixes à la façon d'un film, les angles de caméra sont naturellement choisis de façon à ce qu'on ne voit pas le zombie tant qu'on n'a pas marché sur ledit tapis. Ah les bougres !

 

Techniquement et sans entrer dans les détails, dans le décor se situent des zones invisibles aux yeux du joueur qui sont là pour marquer l'activation des scripts. Ainsi, quand le personnage dépasse la ligne que j'ai ici matérialisée en rouge, l'ordinateur déclenche l'évènement " zombie qui se lève ". Tant qu'il n'a pas dépassé cette ligne, le script ne se déclenche pas et le zombie continue son festin.

 

Dans le genre " script à la con ", la palme peut être décernée à cette scène du même jeu (à gauche) qui en aura fait sursauter plus d'un : au beau milieu d'un couloir vide et calme apparaissent soudainement des chiens mutants qui traversent les vitres sous un bruit de verre cassé ultra agressif (scène d'ailleurs inspirée d'une scène similaire dans Alone in the Dark 1, image de droite). Là encore, tout est question de rythme : une fois la pièce traversée et/ou les ennemis tués, on peut prendre le temps de souffler. Et en fait, en l'occurence, on n'a pas trop le choix parce qu'à ce moment notre cœur est prêt à imploser tellement on est tendu par le stress. Donc  si vous êtes du genre flippé, n'hésitez surtout pas à abuser de ces moments de calme après les passages traumatisants ! Ils sont là pour ça, et faire une pause à ce genre d'endroits ne coupera pas l'ambiance du jeu. De toutes façons, sachez qu'il est humainement impossible d'être à 100% serein après un moment aussi fort que la scène des chiens, donc n'ayez pas peur, l'ambiance reviendra d'elle-même une fois votre pause pipi.

Autre chose importante à garder en tête : si ces scènes font toujours leur petit effet, elles ne doivent pas être gratuites pour autant. En tirer leçon et en retenir les pièges est un moyen relativement efficace de prévenir le danger. Un bon exemple est cette attaque foudroyante du vilain zombie caché dans le placard. En résumé, on lit tranquillement un journal de bord bien glauque dans lequel un scientifique décrit une maladie bizarre qu'il a attrapée et qui le pousse à se décomposer vivant. Et au moment où on le range sur le bureau, qui sort d'un coup du placard ? C'est le monsieur ! Et s'il n'est effectivement plus très frais, on constate immédiatement qu'il n'a pas perdu de sa vivacité. L'exiguïté de la pièce n'aidant pas, on se retrouve vite bloqué. Tout du moins c'est ce qu'on croit : le premier rélexe est de tenter de le tuer, ce qui ammène généralement à se prendre un coup de dents. Ce que le joueur aguerri va plutôt faire, c'est soit se déplacer tout de suite à l'autre bout de la pièce pour mieux viser, soit carrément  sortir de la chambre.
Pour en revenir à l'aspect pédagogique, avec la scène des chiens dans le couloir, c'est clairement celle qui m'a vacciné de ce genre de sursauts. Depuis je n'ai pas été autant pris de court dans un jeu, et dans un film non plus par ailleurs. Tout ça pour dire que plus vous flippez, moins vous flipperez : l'expérience vous entraînera à mieux appréhender le danger.

Mais il n'y a pas que des scripts visant à surprendre physiquement le personnage, il y a aussi dans le genre pervers ceux qui ont pour but de prévenir le joueur de l'arrivée d'un évènement ou d'un nouvel élément perturbateur. Ça peut se faire directement dans le jeu (à gauche, Resident Evil 2) ou par le biais d'une cinématique (à droite, Resident Evil 1). Dans tous les cas on a des frissons dans le dos et il faut s'attendre dans les secondes qui suivent à se retrouver face à un méchant monstre. Au moins là les développeurs ont la gentillesse de nous prévenir, mais à l'inverse c'est justement pour nous dire " Attention là, c'est du sérieux ". 

En bref, tant qu'on ne fait rien, il ne se passe rien (à l'exception d'un certain boss dans Metal Gear Solid 3, petit clin d'œil à ceux qui connaissent). Lâcher la manette durant un moment de calme dans un jeu d'horreur, c'est à double tranchant : ça peut être angoissant mais généralement on ne risque rien. Il est très important que le petit flippé comprenne qu'il peut s'arrêter n'importe quand pour décompresser et éventuellement observer un peu les alentours sans craindre de se faire attaquer. C'est la même chose dans la quasi totallité des jeux ; si on arrête de se déplacer, la narration fait de même.

Comme dans toute œuvre de fiction, le ressenti du joueur vidéoludique est réglé par le conditionnement, qui lui-même est formaté par le rythme, les scripts en représentant les éléments déclencheurs. Mais en dehors de ça, de manière plus large, le rythme peut être aussi marqué par des lieux.

Il y a dans le jeu d'horreur un endroit récurrent dans lequel on peut se sentir tranquille : la salle de sauvegarde.
Effectivement, même si de nos jours les checkpoints ne se font pas rares, il est commun dans ce style de jeux de ne pas pouvoir enregistrer sa partie quand on le souhaite. Cette limite est formalisée par des pièces dans lesquelles ont peut généralement trouver de quoi se soigner, des munitions, et... de quoi sauvegarder sa partie. Cet endroit est un paradis pour quiconque a une sévère tendance à faire dans son froc. Ici on est en sécurité, on peut prendre le temps de décompresser (et accessoirement de nettoyer son pantalon) avant de repartir à l'aventure.
Mais attention toutefois, si ces généralités s'avèrent par définition vérifiables la plupart du temps, ce n'est pas systématique. Les développeurs savent aussi très bien ce qu'ils font et ils n'hésitent parfois pas à retourner l'évidence contre le joueur. 

En lisant tout ça, vous noterez qu'en ayant une bonne connaissance de la façon à laquelle un jeu est conçu, on peut plus facilement prendre distance et donc mieux appréhender différentes situations. Mais quitte à disséquer les choses, autant le faire à fond. Encore au delà du squelette qui structure ce qu'il peut se passer à l'écran, il y a l'intelligence artificielle (IA). En termes de gamedesign, ce terme regroupe de manière générale tout ce qui régit les comportements dynamiques des objets dans un environnement ; les monstres en sont la forme la plus évidente, mais ça peut concerner un robot, un animal, ou même avec un peu d'imagination un tabouret bicéphale qui chercherait à vous poursuivre pour vous faire des bisous. Un jeu horrifique, par définition, c'est un jeu. Avec ses qualités et ses limites. En l'occurence, jouer avec les limites de l'IA est un très bon moyen d'apaiser l'angoisse : c'est une façon simple et efficace de démystifier l'agresseur et donc de le rendre moins effrayant. Ainsi, dans la plupart des jeux, les monstres vont avoir tendance à aller vers vous de façon souvent écervelée sans forcément chercher dans la subtilité pour vous attraper. Le joueur qui l'a compris a une longueur d'avance. Dans la franchise Resident Evil par exemple, là où le flippé va polioter à mort et se faire manger après avoir tiré toutes ses munitions dans le décor, le joueur un minimum entraîné va esquiver les zombies avec la grâce d'une ballerine. De la même façon il y a une chose à bien observer dans ces jeux : certains ennemis ne savent pas ouvrir les portes ! Ainsi, quand vous êtes poursuivi par un zombie par exemple, il vous suffit généralement de sortir de la pièce pour le semer. Il vous attendra sagement là où vous l'avez laissé et vous pourrez le tuer plus tard une fois votre stress apaisé.

 

Vous l'aurez compris, apprendre à bien saisir les mécaniques d'un jeu ne sert pas seulement à mieux jouer, mais aussi plus basiquement à mieux le connaître et donc mieux l'appréhender. L'angoisse de l'inconnu pouvant être un vrai handicap pour certains joueurs dans le genre horrifique, bien savoir comment il est constitué est un premier pas vers le contrôle de soi. Et n'oubliez pas que le jeu d'horreur c'est comme la forge, c'est en ayant peur qu'on devient forgeron !