Alors voilà, j'ai décidé de tenter un nouveau feuilleton. Cette fois-ci pas de ragondin surpuissant ni de montage paint, mais un projet que j'ai décidé de partager avec vous tous . Je vais tenter au maximum de me discipliner pour offrir un rythme de parution le plus  régulier possible. J'espère que ce récit vous plaira, n'hésitez pas à me faire part de toutes vos critiques et bien entendu, Gloire et Levure B)

         On ne savait pas comment cela avait débuté. Pour certains, c'était une punition divine, pour d'autres une bénédiction. Cela dépendait de l'ouverture d'esprit. Les théories s'amoncelaient, à mesure que les réponses s'esquivaient. On avait pensé à tout, de l'empoisonnement à cause de la bouffe merdique remplie de trucs suspects à l'étape suivante de l'évolution. Tout ce qu'on savait, c'est qu'un jour, un type s'est réveillé quelque part au Nigeria et qu'il avait la capacité de faire jaillir des flammes de ses doigts. Le jour suivant, une vieille femme au Pakistan s'était découvert le pouvoir de voler à une vitesse supersonique. Dans la foulée, un petit garçon en Belgique communiquait avec le monde par télépathie. Partout dans le monde, des gens développaient des super-pouvoirs différents, et ce quel que soit leur rang social ou leur origine. En deux générations, 30% de la population s'était découverte des capacités surhumaines. Le monde avait changé, et en l'espace de quelques années, les super-héros et les super-vilains étaient devenus une réalité tangible.

 

          Greg Gorman somnolait presque, assis sur son strapontin bleu du métro parisien. Entre ses mains, un journal gratuit qu'il avait ramassé sur son siège de fortune. Le bruit lancinant de la rame le berçait de son son gris. Il ne put s'empêcher de laisser échapper un petit ricanement quand il tomba sur un article intitulé «UN SUPER HEROS CONDAMNE PAR LE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE POUR PLAGIAT». Ce genre de nouvelles n'était pas si rares. C'était il y a dix ans que pour la première fois, un super-héros avait été condamné à payer des dommages et intérêts pour utilisation frauduleuse de l'image et la marque d'une société. En l'occurrence, c'était un type qui, s'étant découvert des pouvoirs d'araignée s'était acheté un costume de Spider-Man et résolut de combattre le crime sous le nom d'emprunt de Peter Parker. Les ayants-droits n'ont pas mis longtemps à lui envoyer une tripotée d'avocats, et contre eux, même les pouvoirs les plus dantesques n'ont pas d'efficacité. Ce genre de procès s'était démocratisé, et on avait appelé cet enthousiasme juridique la « jurisprudence Jonah J.Jameson ». Greg poussa un petit soupir d'amusement mêlé d'un soupçon de compassion « Ce mec se faisait appeler Aquaman car il savait parler aux poissons. C'était un activiste de Green Peace qui va se faire enfler par D.C... C'est con, de tomber pour le super-héros le plus naze de l'histoire des comics» pensait-il en lisant.

           Il passa une main dans ses cheveux bruns courts ébouriffés, puis regarda son visage. Il avait une barbe clairsemée de trois jours, et des poches de fatigue sous ses deux yeux noisette à l'air triste. Il regarda son visage qui lui parut très pâle. Il lui semblait osseux, et avait l'impression de voir son squelette. Il lança un regard autour de lui. Les visages des parisiens enfermés avec lui dans la rame étaient comme toujours sombres, et ils semblaient inaccessibles, comme s'ils s'étaient enfermés chacun dans un monde intérieur dont ils seraient les gardiens et uniques habitants, chacun savourant un coin de désert personnel. Greg se demanda en les regardant si l'une de ces personnes avait un super-pouvoir et se demandait ce que cela pouvait bien être. « Ca va être dur de faire pire que le mien »

          Il fut dérangé dans ses divagations mentales par le son d'une voix. Une femme, juste derrière lui était au téléphone. Cela durait, et elle semblait désireuse de raconter toute sa vie là, dans ce métro qui était plus une sorte de cocotte minute dans laquelle la mauvaise humeur ambiante faisait office de pression. Et elle parlait, elle parlait, elle parlait...de plus en plus fort, et pour dire de moins en moins. Greg se sentait chaque fois de plus en plus irrité. Et un regard aux alentours lui confirma qu'il n'était pas le seul à vouloir faire avaler son téléphone à la jeune femme. Il se concentra alors. Il visualisa la femme dans son esprit, puis se concentra de plus belle. La femme éternua une fois. Puis deux. Puis trois fois, une dizaine de fois, comme si elle ne pouvait plus se maîtriser. Plus Greg se concentrait, plus elle éternuait. Finalement il lui laissa un moment de répit, le temps qu'elle puisse dire, les larmes aux yeux et le visage rougi « Je te rappelle, je crois que je me suis enrhumée... »

 

          Il y a vingt ans, alors que c'était un garçon de sept ans, on avait annoncé au petit Greg qu'il avait le gène super-héroïque. Quelle ne fut pas sa joie de l'apprendre. Il allait devenir un super héros, changer le monde et contribuer à en faire un endroit meilleur. Mais la désillusion vint quand ses pouvoirs se manifestèrent dix ans plus tard. Gregory Gorman avait le pouvoir de faire éternuer les gens à volonté. Voilà ce qu'était son super-pouvoir. Ce n'était pas un super héros, c'était un gros rhume.

 

               Il existe dans le monde trois types de personnes. Celles qui ont des super-pouvoirs, qui deviennent des êtres puissants et quasi divins, les gens dits «normaux» qui sont dénués de pouvoirs, et ceux qui, comme Greg, ont des pouvoirs si improbables qu'à part susciter le rire, ils ne servent pas à grand'chose. On raillait ces gens qu'on appelait «Les inutiles», vus comme étant des gens qui s'étaient plantés quelque part dans l'autoroute de l'évolution, qui avaient pris une mauvaise sortie. On préférait souvent ne pas avoir de pouvoirs qu'être un «inutile». Les Super-Héros étaient vu comme des dieux, les Super-Vilains comme des démons, les «Inutiles» étaient vus comme des curiosités, des erreurs de mère nature.

 

              Greg vivait, comme la plupart de ses camarades de souffrance, assez mal le fait d'être un «Inutile». Mais il avait décidé de faire profil bas. Il préférait éviter de trop parler de son super pouvoir minable. Aussi évitait-il au maximum de rejoindre les quelques groupes de soutien aux «Inutiles» qui fleurissaient un peu partout dans les grandes villes. Pourtant, bien qu'il les évitait comme la peste, c'était bien vers l'une de ces réunions qu'il se dirigeait. Il regarda la carte de visite que cette jeune femme, qu'il avait croisé la veille dans ce bar, et qu'il avait essayé de draguer, éméché, lui avait tendu. Elle était plutôt jolie dans ses souvenirs nébuleux, mais elle avait disparu juste après lui avoir laissé la carte, sur laquelle était inscrite « MICHAEL PERSEPHONE : GROUPE DE SOUTIEN POUR PERSONNES AUX POUVOIRS ATYPIQUES » suivi d'une adresse menant au coeur de la capitale. Pourquoi y allait-il ? Greg lui-même ne le savait pas. Peut-être pour retrouver cette fille, ou bien parce qu'il avait bien besoin de se sentir valorisé. Toujours était-il qu'il allait rencontrer pour la premières fois d'autres «inutiles»

 

             La carte menait à un petit bâtiment situé non loin du quartier St Michel, à quelques encablures de la rue Soufflot. C'était une bâtisse tout à fait classique que rien ne saurait distinguer d'une autre. Greg se dirigea vers la porte vitrée et regarda longuement la liste des noms auxquels étaient attribués des boutons pour les interphones. Le nom de Perséphone lui sauta aux yeux. Il appuya longuement sur le bouton, et après un silence, il eut pour réponse le bruit métallique désagréable d'un buzzer discordant. La porte ouverte, Greg monta les trois étages de l'immeuble et arriva devant la porte qui portait le nom du maître des lieux. Il frappa.

 

             La porte s'ouvrit sur un bonhomme trapu à la tête ronde et aux cheveux noirs très courts. Il avait le regard dur, mais un large sourire était peint sur son visage. D'une voix forte, il s'exclama

                   « Je suis sûr que je peux vous aider.

— Je recherche le groupe de soutien aux inutiles.

— Mmmh. Je ne sais pas ce que sont les inutiles. Tout ce que je vois, ce sont des gens aux capacités atypiques.

— Non, mon pouvoir est vraiment inutile.

— Je vais vous dire un secret. Ils le sont tous en vérité. Maintenant, venez avec moi, il faut que vous rencontriez les autres.»

              Greg suivit Michael jusqu'à un salon dans lequel étaient assises cinq personnes, trois hommes et deux femmes. Ils saluèrent d'une voix le nouvel arrivant et alors que Greg les regardait, espérant retrouver la fille de la veille, Michael alla chercher un siège et invita Greg à s'asseoir.

            «Nous étions en train de nous présenter avant que vous n'arriviez. Peut-être voulez-vous nous parler de vous ?

— Je ne sais pas...commença à bafouiller Greg.

— Peut-être cela serait il plus simple pour vous si les autres se présentaient d'abord... »

 

              Une jeune femme se leva. Elle était assez grande et devait bien avoir entre vingt-deux et vingt-cinq ans. Ses cheveux étaient d'un blond éclatant et ils étaient si longs qu'ils retombaient dans le creux de ses reins. Ses yeux étaient d'un gris très clair et son teint était de rose. Sa voix était très mélodieuse et son sourire chaleureux.

             «Alors voilà, je m'appelle Claire Lurcel et j'ai un pouvoir atypique. Je suis capable de faire apparaître des vêtements.

— Quel genre de vêtement ? demanda Michael.

— Aucune limite à part mon imagination. Et quand je me concentre très fort, je peux même les faire apparaître sur les gens directement, claironna-t-elle. Puis, elle marqua une pause, et c'est alors que Greg eut la surprise de voir une écharpe moche d'un vert entre le caca d'oie et le vomi lui agresser le cou et les yeux.

— Très bien, au suivant, si vous le voulez bien.»

 

              Un des hommes se leva. Il était très grand et avait le teint basané. Ses yeux étaient noirs et tout comme Greg, il portait une petite barbe mal rasée qui le vieillissait, il faisait plus que ses trente ans avec. Il sembla hésiter un moment avant de prendre la parole.

«Bonjour, je m'appelle Medhi Feyghouz, et moi aussi j'ai un pouvoir atypique. Je peux transformer mes membres en ustensiles de cuisine, ayant prononcé ces mots il tendit les mains, et sous les yeux de chacun, ses doigts se transformèrent en cuillères, couteaux, fourchettes et tire-bouchons.

— C'est un pouvoir très utile quand on veut être cuisinier ! s'exclama Michael.

— Ben le problème c'est que je suis une quiche totale en cuisine. Je saurais même pas faire cuire un oeuf. Mon pouvoir sert à rien du tout, mes potes me vannent tout le temps, et hier, mon neveu m'a demandé si je prenais ma douche dans le lave-vaisselle.

— Les enfants sont amusants ! Michael était hilare.

— Les enfants sont des cons, ouais...» pensa instantanément Greg.

 

               Le deuxième de ces messieurs prit la parole. Il était très massif, et avait un visage doux. Ses cheveux clairs et raides lui donnaient de faux airs de Leon S. Kennedy, et sa voix tonnait.

                «Bonjour tout le monde, je m'appelle Cédric Martini et tout comme vous tous j'ai un pouvoir naze. Il ne me sert à rien. Voilà mon pouvoir, je peux créer des fruits, et ayant dit cela, il leva le bras, et des pommes, des bananes, des grappes de raisin semblaient pousser dessus. Il cueillit une poire sur son coude et la croqua.

— Je me demande s'il peut aussi sortir des fruits de son cul, en son for intérieur, Greg eut envie de se foutre de lui, mais parvint à se contenir.

— Mais c'est un pouvoir génial ! C'est très utile en fait, en plus les fruits c'est bon pour la santé ! Michael semblait réellement enthousiasmé par ce pouvoir.

— Arrêtez, vous me rappelez mon mec...» soupira Cédric.

 

                 Le troisième homme fit de même que ses collègues. C'était un petit bonhomme dans la fleur de l'âge qui portait encore son uniforme de travail, celui d'une entreprise de nettoyage. Ses tempes étaient grisonnantes et son regard vitreux. Il venait manifestement à peine de sortir d'une journée de travail épuisante.

                  «Je m'appelle Gilles Chapelier, et mon pouvoir atypique c'est que je peux faire pleurer les gens.

— Je ne vous suis pas, on n'a pas eu le temps de développer ce pouvoir tout à l'heure.

— Ben c'est simple, je me concentre et tout le monde chiale, lança-t-il d'une voix bourrue.

— Ce mec a le même pouvoir que mes fiches de paye, observa Greg. Puis sans qu'il s'en rende compte un voile se posa sur ses yeux. Il se rendit compte que des larmes abondantes coulaient de ses orbites sans qu'il ne puisse se contrôler. Et pour le peu qu'il pouvait distinguer, tout le monde semblait ruisseler de même.

— Merci merci, c'est bon vous pouvez refermer les vannes Gilles !» déclara Michael.

 

       La dernière femme était une jeune métisse à la chevelure sombre et lisse. Ses yeux luisaient étrangement, et Greg ne put que remarquer qu'elle était fort séduisante.

            «Salut tout le monde, je m'appelle Gaëlle Palantier et comme vous j'ai un pouvoir à chier. Je suis capable de tirer des lasers avec mes yeux.

— C'est un pouvoir qui me semble au contraire très impressionnant ! Vous êtes un peu comme Cyclope dans les X-Men.

— Ah non je me suis peut-être mal exprimée. Quand je parle de lasers, je parle de trucs comme les pointeurs laser, elle fit la démonstration en faisant clignoter deux petits points rouges sur un pan de mur.

— Mouais, en gros son super pouvoir c'est de pouvoir faire courir les chats.»

 

              Finalement, Michael se retourna vers Greg et lui adressant un sourire bienveillant, il lui dit :

« Alors à présent on va vous écouter. Qui êtes vous ?

— Je...mon nom c'est Grégory Gorman. Vous pourrez m'appeler Greg si un jour on devient potes, ce qui m'étonnerait beaucoup. Et mon pouvoir, c'est de...— il hésita un moment, convaincu que son pouvoir était le plus naze de tous. — Mon pouvoir, c'est de faire éternuer les gens à volonté.

— Ah ouais quand même...Cette remarque avait échappé à Michael, et Greg sentit le rouge monter à ses joues.

— Voilà...mon pouvoir, c'est pas un pouvoir, c'est une nuisance. Quand j'ai appris que j'allais muter, je pensais que je deviendrai un héros, et en fait non, j'ai autant de pouvoir qu'une pincée de poivre. Je suis un Inutile. Et vous tous aussi là, vous êtes Inutiles. En fait on ne sert qu'à une chose : à faire rire le monde ! »

             Tout le monde resta silencieux. Greg les toisa les uns après les autres. L'espace d'un instant, il s'en voulut. Il savait à quel point c'était dur de présenter aux autres ses pouvoirs inutiles. Il voulait s'excuser mais il ne parvenait pas à formuler la moindre phrase. Michael Perséphone se leva alors et fit quelques pas en sa direction. Greg s'attendait à se faire jeter manu militari. Mais à sa grande surprise, il lui posa une main amicale sur l'épaule et se tourna vers tous ceux qui étaient présents.

          «Voici en effet comment le monde vous voit, comment le monde NOUS voit. Nous sommes des gens qui ont des pouvoirs inutiles. Mais moi, je vais vous dire comment je nous vois. Nous sommes des êtres d'exception ! Et les super-héros de mon enfance, c'étaient aussi des êtres d'exception ! Quand j'ai ouvert ce groupe de soutien, je me suis donné un objectif très clair : que vous ayez ou non des pouvoirs, que vous soyez capables de lancer des montagnes, de soigner par la pensée ou de faire pousser des fruits sur votre corps, ce n'est pas CE que vous êtes qui compte, mais QUI vous êtes ! Et je sais au plus profond de moi, qu'aucun de vous n'est inutile

 

                Les mots de Michael avaient touché la plupart des gens présents dans la salle. Greg aussi se sentit ébranlé. Il restait toujours aussi pessimiste, mais sa curiosité était titillée. « Ca vaut peut-être la peine de voir où tout ça va me mener... » se dit-il.