Après Mark of the Ninja, et avant Assassin's Creed 3 et Hitman Absolution, il faut dire que la fin d'année est propice aux assassins. Bien évidemment, je me rends compte que les principaux jeux qui m'intéressent sont ceux cités ci-dessus. Dishonored est donc le premier gros jeu d'assassin à ouvrir le bal. On peut dire qu'il était attendu, le dernier bébé d'Arkane Studios, et ce n'est pas peu dire. Le jeu promettait une richesse et une liberté de gameplay vraiment rafraîchissante, et leur dernier jeu, le fantastique Dark Messiah, était une belle preuve de leur savoir-faire. Une fois Dishonored sorti, les critiques positives pleuvent et le jeu est porté en étendard des FPS couloirs beaucoup trop nombreux, et beaucoup y voit déja le jeu de l'année.

Dishonored vous mène donc dans les rues de Dunwall, cité aux allures victoriennes et ravagé par la peste qui infecte les habitants petit à petit. On dirige donc Corvo, le garde du corps de l'impératrice, qui revient d'une mission pour tenter de trouver le remède à la peste. Annonçant la mauvaise nouvelle à sa patronne, celle-ci se fait malheureusement assassiné sous vos yeux, et sa fille Emily enlevé. Evidemment, comme vous êtes le seul à côté du cadavre, les gardes ne manqueront pas de vous considérer comme le meurtrier attitré, ce qui contentera le Grand Superviseur et le Lord Régent, qui vous révèle assez vite que tout ça fait partie d'un complot et que vous êtes le bouc émissaire. Après vous être libéré de prison, vous retrouver l'amiral Haveloc, qui vous somme d'assassiner les hautes instances de Dunwall afin de reprendre le contrôle et de retrouver Emily, la tenante du titre d'impératrice.

Un scénario somme toute très classique, où le héros est considéré comme le méchant, intégrant les rebelles de façon à ce que le moindre garde de Dunwall soit un ennemi. Là où Dishonored vous laisse le choix, c'est d'arriver à vos fins en utilisant votre lame ou votre cervelle, de façon à ce que le sang ne soit plus versé. C'est à vous de choisir, sachant que quelques petits évènements ou personnages vous rappelleront vos actes à l'occasion. A noter qu'Arkane s'est fait plaisir et a dissimulé beaucoup de petits détails affecté par vos actions au premier abord banal mais qui se répercuteront aux travers de dialogues, de détails ou de rapport à trouver. Comme l'introduction où un peintre immortalise un des personnages. Vous pouvez retirer la bouteille présent sur le tableau, et lorsque vous vous retrouverez plus tard devant ce tableau, la bouteille aura disparu. D'autres éléments auront plus d'importance, comme des salles secrètes, mais ça fait plaisir de voir qu'Arkane soigne son background au travers d'éléments cohérents et visibiles pour ceux qui s'y prennent la peine. A noter qu'à l'instar d'un Skyrim, beaucoup de livres sont lisibles afin d'en apprendre plus sur l'univers du jeu.

Dunwall est d'ailleurs extrêmement riche, et cela au travers de la direction artistique absolument somptueuse. Certains pesteront contre une technique un peu vieillote ou des ressemblances avec City 17, mais ça serait dommage de se priver d'une des plus belles DA de ces dernières années. Ce côté peint se marie délicieusement avec le style architecturale particulier et cette sensation d'évoluer dans un décor européen teinté d'héroïc fantasy. Il suffit de se balader dans le manoir des Boyle pour se prendre une gigantesque claque dans la figure tant la richesse des détails et le bon goût prédominent dans chaque coin de l'écran. De mémoire, j'ai rarement vu un jeu qui m'a autant plus artistiquement, que ce soit dans le style des bâtiments ou dans la palette de couleur qui sied à merveille cet univers lugubre et dévastée. Mention spéciale aux personnages, eux aussi excellents, avec des vraies "gueules" vraiment définissables, à mille lieux des visages génériques que l'on croise ici et là. L'anim faciale permet aussi de profiter de jolies expressions et, chose notable, la synchro labiale ne semble pas aux fraises, ce qui est de plus en plus rare, étrangement.

Attaquons le gros morceau: le gameplay. Autant le dire tout de suite, de ce côté-là, c'est du pain béni. Arkane a réussit là où le dernier Deus Ex a échoué: proposer plusieurs gameplays différents qui se valent en permettant au joueur de ne pas être frustré à cause de pouvoir qu'il n'a pas. Le jeu propose énormément de chemin alternatifs, mais au lieu de les bloquer avec des pouvoirs que l'on a pas (comme Deus Ex), il ouvre tous les chemins grâce au fait que la téléportation est le seul pouvoir qu'on est obligé d'avoir, les autres sont surtout là pour faciliter la vie au joueur dans ses déplacements ou dans les combats. Du coup, on ne se sent jamais lésé, et complètement libre de ses mouvements. On sait qu'avec un peu de skill on pourra grimper au bâtiment en face pour accéder à la fenêtre, et le level design est absolument admirable pour ça. Evidemment, certains accès sont possibles avec le pouvoir de possession (avec un poisson ou un rat), mais jamais le jeu ne met ce défaut en avant en dirigeant le joueur vers un autre accès relativement proche qui ne va pas le freiner dans sa course.

Et les pouvoirs sont réellement jouissifs. Le "clignement" (ou la téléportation) se révèle simple et fun à utiliser, et le ralenti est très pratique durant les combats. La possession permet de s'amuser en provoquant des suicides involontaires (j'aurais aimé pouvoir utiliser l'équipement de celui que je contrôle, par contre) et la nuée vorace fait appel à une meute de rats pour se débarasser des ennemis. Corvo a accès à des pouvoirs actis, mais aussi à des pouvoirs passifs, des améliorations qui permettent d'augmenter sa santé ou de pouvoir bouger plus vite. Il faut ajouter à ça tout l'attirail disponible, lui aussi améliorable. On comptera l'arbalète à carreaux normaux, soporifiques ou incendiaires, le fidèle flingue ou encore des grenades, des systèmes de recalibrage pour les machines ou des mines tranchantes. Evidemment, ces éléments-là ne seront pas utiles si on veut faire le jeu sans une seule victime.

Le jeu permet vraiment de jouer de la façon que l'on veut, et c'est le gros point fort du titre. Il met suffisamment d'outils pour que chaque style ait ses avantages et ses inconvénients. Jouez à la bourrin, et vous aurez droit aux arbalètes, armes à feu, ralenti et coups d'épée ravageurs pour se faire plaisir. Le combat à l'épée est simple mais excellent, à coups de riposte et coups puissants. Certaines vidéos montrent qu'on peut avoir la classe sans forcément être discret. Jouez à la fantôme, et vous pourrez vous faufiler en vous téléportant de garde en garde tout en planquant les corps et en assomant les civils. Balancez des objets pour détourner l'attention. Jouez à la vicieux et vous pourrez prendre le contrôle d'un garde pour passer un contrôle, détournez les pylônes foudroyants pour les retourner contre les ennemis ou exploser le réservoir d'un Tall Boy pour s'en débarasser rapidement. On peut être vraiment créatif et c'est un vrai bonheur de s'y adonner.

On arrive à ce qui est pour moi un des défauts du jeu. Celui-ci est quand même relativement court. Même si on prend du temps dans les missions, il n'y en a que neuf. Certaines peuvent prendre deux heures, d'autres à peine une demi-heure. Le problème c'est que ce faible nombre de missions conduit aussi à condenser le jeu de façon assez visible. D'une certaine façon, j'ai trouvé que le jeu, d'une manière générale, allait trop vite et qu'on entrait directement dans l'action sans prendre le temps de poser les enjeux scénaristiques ou encore de provoquer des climax en cours d'histoire. Le jeu est de manière générale beaucoup trop facile, les pouvoirs étant trop puissants. Il est facile de se débarasser des gardes et les quelques morts que j'ai eu sont souvent dû à des chutes maladroites du haut d'un toit. Mais la barre de mana est souvent pleine, parce que le clignement n'utilise pas trop de doses, et que le reste des pouvoirs facilite considérablement les combats. Je ne peux pas dire que la facilité est un défaut du jeu, c'est surtout imputable à la liberté que propose le titre: le fait de mettre autant d'accès possibles donne la possibilité au joueur de passer sans risques, de trouver le raccourci sans danger, ou de passer derrière un garde facilement. Il aurait été judicieux de placer plus d'éléments pour se faire repérer, comme une gestion de l'ombre ou des éléments physiques posés par terre qui font du bruit quand ils tombent en passant dessus. 

En parcourant le jeu tranquillement, en cherchant un maximum de runes et de charmes d'os et en y allant discrètement, j'ai dû mettre dix heures sans chercher à fouiller absolument partout. Quelqu'un qui ira à la bourrin en mettra sûrement que quatre. La prise de risque sur autant de liberté a un prix, et le jeu peut se révéler terriblement frustrant pour ceux qui en veulent toujours plus. Par contre, il n'y a pas grand chose à jeter dans les missions, elles se révèlent toute excellentes dans l'ensemble, mais à aucun moment je n'ai senti du challenge dans les zones, à aucun moment j'ai eu un moment de tension, parce que le jeu permettait d'accéder à un endroit à priori délicat par un autre endroit. Et même si on force le passage, on s'en sort toujours à peu près bien parce que le jeu est très permissif. Cela n'enlève en rien l'immense plaisir de jeu mais c'est dommage.

Tout ça met en relief un autre défaut du jeu: son scénario. Ici, le jeu met le joueur dans la situation où il doit avoir un certain pathos envers les personnages, comme la jeune Emily avec qui il aura un lien très fort, mais qui ne fonctionne pas dans le jeu. Ça découle du fait que le jeu est trop rapide dans son exécution et qu'il n'y aura jamais de séquences réellement fortes pour s'attacher au personnage d'Emily. Alors que le jeu pose le joueur en tant qu'exécuteur ou non de sa propre vengeance par rapport à l'assassinat de l'impératrice, on se retrouve face à son véritable assassin à un dilemne de l'assassiner ou de l'épargner. Là où un Spec Ops The Line par exemple faisait monter la sauce pour que certains choix similaires soient beaucoup plus délicats et intéressants, Dishonored a du mal à trouver de l'émotion dans des séquences où il veut en amener. Résultat: les choix de vengeance ou non découleront simplement sur le fait qu'on ait choisi en début de partie d'être un assassin sympa ou un tueur sanguinaire. Cela découle directement du choix en tant que joueur et non en tant que protagoniste qui établit des liens avec les autres personnages.

Ce qui fait qu'on a un peu de mal à rentrer dans l'histoire, parce que on pense d'abord au jeu avant de penser àl'histoire. Ou comment le jeu pur prend le pas sur les enjeux dans l'histoire. Les assassinats deviennent un prétexte à utiliser tous les éléments de gameplay du jeu, au lieu de s'intéresser sur les conséquences de ces actes, alors qu'on sent que les développeurs veulent le mettre en avant: voulez-vous faire éclater la vérité sur les agissements des comploteurs ou faire simplement couler le sang pour vous venger? Cette décision n'arrivera pas à toucher le joueur car maladroitement amené au cours du jeu, chose que réussissait un Bioshock lorsqu'on devait choisir ou non de tuer les Petites Soeurs. Ici, ces choix ne touchent pas le joueur comme ils le devraient.

Pour autant, ces quelques défauts n'entachent pas le plaisir du jeu. Juste qu'à défaut d'avoir le jeu de l'année, j'aurais déja un jeu excellent parce que l'histoire ne réussira pas à me captiver autant que je l'aurais voulu, et surtout parce qu'on sent que ces éléments étaient importants à la base. Autant un Bioshock arrivait à plonger le joueur dans l'histoire de manière exemplaire et forte en ressentant des choses pour les personnages, autant dans Dishonored le pathos envers les personnages est beaucoup moins réussi, alors qu'on sent que c'était le but des développeurs: créer de l'empathie envers cet univers, envers certains personnages, comme Emily.

Malgré tout ça, c'est un ressenti personnel. Le jeu reste incroyable de richesses et de subtilités qu'il serait vraiment dommage de passer à côté. Le titre motive le joueur à faire le meilleur score possible, mais ne lèse pas le joueur à la recherche de séquences musclés et fait le tour de force de proposer tous les styles de jeu avec un équilibre impeccable. On prend un plaisir monstre à évoluer dans des niveaux sans limite et j'espère sincèrement que ça donnera des idées aux développeurs les plus courageux. Le fait que j'ai envie de me relancer une seconde fois dans l'aventure immédiatement montre bien que le jeu possède d'incroyables qualités et en font sans aucun doute un des meilleurs jeux de cette année 2012. Mais pas le meilleur.