Bonjour à toi, cher lecteur. Aujourd'hui, pas d'exposé, d'explication, ou que sais-je, non, non. Pour ce billet, je veux juste témoigner à propos d'un événement notable de ma petite vie qui a eu lieu il y a quelques semaines de cela : ma première garde. Pour se faire, je me suis muni de mon fidèle carnet et de mon stylo quatre couleurs, pour prendre des notes avant que mon infidèle mémoire n'efface mes souvenirs. Ce qui suit est donc la retranscription de celles-ci, telles qu'elles, les fautes d'orthographe en moins (parce que plus l'heure avançait, plus elles se multipliaient, bizarrement). Prenez un café ou un thé en lisant, parce que 24 heures, c'est long, mine de rien.

6h00 : Réveil difficile après une nuit très agitée [note à moi-même : éviter de boire du Liptonic si on doit se lever le lendemain...]. Douche, petit
déjeuner, brossage de dents, et c'est parti.

07h10 : Les rues de Paris sont désertes... Vole Vélib', vole ! Hm, désolé...

Motivé comme jamais !

07h46 : Arrivé un peu à l'avance aux urgences, je flâne en attendant l'heure et rencontre ma co-externe (appelons-la Francesca) qui me fait une visite rapide des lieux. Nous croisons une des externes de la nuit dernière qui a l'air d'accuser le coup avec d'énormes valises sous les yeux : elle n'a pu se coucher qu'à 4 heures du matin... Et là, on flippe !

08h00 : Entrée dans la salle de staff ; les médecins du service se transmettent les patients. Je suis sans trop comprendre.... C'est à cette heure que l'externe de DCEM3, Valentin, se glisse parmi nous.

08h40 : Dès la fin de la réunion, c'est parti : suture à faire sur un patient de 85 ans suite à une chute mécanique sur l'occiput. Peu en confiance (les seules sutures que j'ai fait ont été subites par une serviette en papier...), je laisse ma co-externe orchestrer le tout ; de plus, elle a une garde de plus au compteur. Mais un premier problème se pose : suturer des cheveux, ce n'est pas très académique ; on fait donc une jolie zone glabre, en évitant de blesser encore le pauvre hère. Après de multiples précautions, deuxième problème : nous nous rendons compte après avoir anesthésié la plaie que notre chariot à malices ne contient pas l'arsenal nécessaire à une bonne suture... Et ainsi de suite. Je passe le reste, car l'amateurisme, ce n'est pas facile à décrire...
On a bien dû passer une heure pour le traiter. Je n'ai pas pu faire de point pour la forme, par manque de gants stériles sans latex (j'en suis allergique) à ma taille ; je suis donc monté à l'étage des blocs de chirurgie en chercher. J'ai arpenté les couloirs vides en tentant de me repérer, avant qu'une infirmière ne me fasse remarquer que j'étais en civil dans une zone où le pyjama de bloc était obligatoire. Quand on est mauvais...

11h39 : Une fois soigné, le patient sort du box. Le deuxième dont je devais m'occuper s'est volatilisé. Je remplis les chariots de matériel, histoire de ne plus être pris au dépourvu, puis j'erre...

12h45 : Ah ! De l'action ! Un patient de 26 ans qui saigne au niveau de l'arcade après une bête chute en courant : ça saigne, mais c'est propre, net, parfait pour s'entraîner. Ma coexterne me guide et me reprend avec un peu d'insistance, ce qui me rend un peu nerveux. Mais finalement, j'arrive à prendre sur moi et à accepter mon ignorance. Et finalement, le résultat est excellent !
Bon, sans l'interne, j'aurai oublié de lui donner un vaccin anti tétanique, obligatoire dans ces cas-là, et de remplir son dossier. Mais ça, l'histoire ne le retiendra pas... Enfin je crois...



Une tranche de veau froid  baignée dans de l'eau colorée, des patates rissolées à l'eau, des concombres mous, un viennois à la vanille qui a pris un coup de chaud : la cuisine française à son meilleur...


15h43 : On continue ! Patient d'une trentaine d'années, à un poste à responsabilité, présent pour une blessure à la paume de la main suite à un accident... de coupure d'avocat. La plaie est courte mais profonde, ne saigne pas abondamment. Ma coexterne et moi avons bataillé pour faire deux malheureux points parce que d'une, les injections de calmants se sont révélées inefficaces et de deux, parce que le gaillard avait une phobie des aiguilles... Sans oublier, cette fois-ci, le vaccin antitétanique, où il a été plus compliant. J'ai développé une technique pour piquer mes patients sans les prévenir, le bourreau en moi exulte à chaque injection...

15h45 : A peine ai-je le temps de savourer mon succès que ma coexterne est appelée pour porter assistance au bloc d'orthopédie (traduction : pour tenir une jambe).
Tout va dans tous les sens, et personne pour m'aider.  Je dois m'occuper de ma première patiente en solitaire. J'hésite, je surmarche, les questions s'enchaînent à une vitesse folle dans ma tête : et si je n'étais pas encore à la hauteur ? Et si je me plante ? Et si je ne sais pas quoi faire ? Valentin me glisse un encouragement. Une grande inspiration puis j'y vais.

16h03 : Patiente de 24 ans souffrant de plaies au visage et aux membres supérieurs. En grande discussion téléphonique avec une amie, elle l'interrompt dès mon arrivée. Après un bref interrogatoire, je sais que ses blessures sont dues à son compagnon qui lui a lancé un verre en direction du visage (...). Heureusement, elle a pu le protéger en grande partie avec son bras. Elle est remontée contre lui mais ne semble pas vouloir porter plainte.
La plaie à recoudre,  à la fin de l'arcade sourcilière droite est vraiment horrible de complexité pour moi :
(la partie grisée se soulevait en languette)

J'ai tenté d'être généreux en Xylocaïne, mais ça ne suffit pas. Elle souffre, moi aussi et je mets un temps infini pour un résultat heureusement honorable. La plaie au bras, par contre, qui a gonflé entre temps et ouverte de façon inquiétante, est au-delà de mes compétences.

17h15 : Je passe le relai à l'interne, qui prépare le bon pour la radio. Après lui avoir fait un rapide topo, je sors enfin du box. Le patient dont je devais m'occuper après a disparu (???). Je peux respirer un peu avec Valentin et Francesca, revenue du bloc....

18h25 : L'interne de garde d'orthopédie a besoin de moi pour mouler un plâtre chez un luxé du coude. Quand je le vois faire, j'ai l'impression de voir Patrick Swayze dans Ghost, je me sens tout chose...


La radio du patient en question avant la réduction. Oui, aïe...

19h20 : c'est calme... Je me rends compte qu'entre ces murs, le temps passe très vite...

20h30 : Le chef de clinique et l'interne de garde d'orthopédie nous font la gentillesse de nous inviter à dîner à leur étage, dans leur salle de garde aménagée avec télé et pizzas. Une pause bien agréable avec des personnes qui le sont tout autant. Mais pas le temps de trop traîner, le devoir n'attend pas.

22h00 : Je revois ma patiente de cet après-midi, dont la radio s'est révélée négative. L'interne s'est enfin décidé à explorer manuellement la blessure pour vérifier s'il n'y a plus de corps étranger, et ainsi orienter la prise en charge future. Donc, on injecte encore de la xylo : encore une fois, pas très probant, la patiente souffre clairement le martyr. Ensuite, il explore à l'aide d'une pince et d'une compresse la blessure. Il faut savoir que celle-ci était assez profonde pour voir de façon précise qu'une partie de ses tendons superficiels étaient sectionnés.  L'entendre crier de douleur durant tout ce temps m'a paru digne d'une torture.
En toute logique dans ces cas-là, on appelle le chirurgien plastique de garde pour qu'il s'occupe d'elle. Malheureusement, cet imbécile (oui, j'assume) préconise qu'elle retourne chez elle pour revenir le lendemain, alors que d'une, il est censé être garde et que de deux, son domicile est justement l'endroit où se trouve son agresseur...
Après avoir entendu ces pauvres excuses pour ne pas bouger le petit doigt, j'étais d'humeur à casser un mur... Finalement, on l'a mise dans une chambre pour qu'elle puisse être traitée le plus tôt possible le lendemain. Je ne la reverrai plus de la nuit.



Mes co-externes que le monde entier m'envie : Francesca et Valentin.


00h00 : Patient travaillant de le BTP venant pour une plaie faite à la scie (...) au niveau du majeur. Une vraie boucherie : les berges sont mal coupées, l'hémorragie est abondante, la blessure prend les trois-quarts du doigt. Après plusieurs essais infructueux, je jette l'éponge et passe le relai au médecin. Je commence à fatiguer...

02h22 : Je suis dans la chambre de garde des externes, une espèce de taudis au plafond moisi et aux fenêtres condamnées (charmant) ; les lits sont de dixième main et l'atmosphère vraiment malsaine : je préfère rester éveiller pour dormir dans mon propre lit le matin. Un téléphone fixe est présent pour nous rappeler à notre poste si besoin est. J'en suis à ma troisième canette de Red Bull en 2 heures. La fatigue est là, mais pas le sommeil. Francesca, elle, a pris le parti de Morphée.

02h31 : Finalement, je ne tiens plus. Je vais boire une autre canette de Red Bull et je retourne me rendre utile avec Valentin resté sur le pont. En effet, les externes de DCEM2 s'occupent de la traumatologie, alors que ceux de DCEM3, s'occupent de la clinique : le boulot ne s'arrête donc quasiment jamais pour ces derniers.

02h48 : Petit cours improvisé  sur les traitements de l'asthme par un des  médecins de garde. Je ne comprends rien... [NDLush : et j'ai écrit des notes qui ne sont pas plus transparentes après coup...]

05h10 : Bizarrement, je pète la forme ! J'ai vu quelques patients avec Val pour dérouiller mon art de l'observation médicale. Sinon, pas grand-chose d'autre à ajouter, on se maintient éveillé sur le comptoir avec plaisir. Je laisse ma dernière potion magique pour l'heure fatidique de 7h...

05h23 : Valentin est tombé raide mort d'épuisement. Me voilà en dernier survivant de cette garde. Juste pour tenir ce pari stupide fait avec moi-même de rester debout jusqu'à la fin. Au moins, écrire me maintient éveillé.

06h28 : Une patiente avec suspicion de colite néphrétique vue rapidement. Le jour commence à se lever...

06h47 : Une scène ironique se joue sous mes propres yeux. Des patients sous surveillance scope (appareil de surveillance de l'activité électrique du cœur en continu) essaient désespérément de piquer un somme. Cependant, à chaque fois qu'ils somnolent, leur saturation en oxygène ainsi que leur pouls diminue (logiquement, c'est ce qu'il se passe quand vous vous endormez), ce qui fait retentir une sonnerie irritante, réveillant aussitôt les pauvres hères. Et le schéma se répète à l'infini. Un véritable supplice de Prométhée... J'ai tenté de faire quelque chose en faisant remarquer le problème aux infirmiers, ces derniers s'en tapent. D'accord...

07h10 : J'ai fini ma dernière canette de Red Bull et je finis par mimer la séquence d'entraînement de Rocky III dans la cuisine sous les yeux médusés de mes co-externes. Oui, mes neurones commencent à fondre...
Et j'ai éclaté un moustique pour la forme. Youhou !

07h52 : Bon... Je crois qu'on a plus besoin de moi ! Nous nous éclipsons discrètement...

08h38 : le temps de retirer mes vêtements et d'écrire cette note finale, bonne nuit... Zzzzzzzzz.

Voilà. Ainsi s'achève ma première journée de garde. A venir, un billet de bilan de ce jour sans fin. Parce que l'expérience ne vaut que si elle est analysée...
Merci d'avoir lu !