C'est un témoignage rare qu'il nous a été permis de recueillir, celui de Vincent Salengeon, premier Pro Gamer français.

Son histoire, peu banale, remonte à l'année 1982. A cette époque, un titre phare dominait la scène mondiale de l'esport : Pac-Man, le célèbre glouton mangeur de fantômes.

Ce titre d'arcade de Namco, sorti sur la console Atari VCS 2600, rencontrait au début des années 80 un franc succès. Les “cassettes” de jeux vidéo, comme on les appelait à l'époque, s'écoulaient par milliers sur tous les continents...

C'était le temps de l'insouciance, le gouvernement socialo-communiste français, arrivé au pouvoir en mai 1981, n'avait pas encore eu le temps de ravager durablement la France, l'ère du temps était joueuse.

La firme américaine Atari organisait un tournoi mondial de Pac-Man. Pas moins de 150 000 personnes y participaient dont 50 000 Français. Les sessions de jeu se déroulaient en 15 minutes pendant lesquelles le joueur devait réaliser le meilleur score sans se faire toucher. Le petit Vincent (à gauche sur la photo), 13 ans, était passionné par ce jeu, pendant la récréation, il en parlait avec ses copains et n'avait qu'une seule hâte : le posséder un jour ou l'autre. Son vœu fut un jour exaucé !

 

C'est sa grand-mère Yvette qui lui avait offert pour son Noël. Peu de temps après, elle mourut dramatiquement, suite à une succession de coliques néphrétiques, sans doute liées à une bactérie présente dans la dinde du réveillon. “Dès lors, avaler sans cesse des pastilles et des fantômes avait pour moi un goût amer, nous confiera lors de l'interview Vincent Salengeon, mais je devais continuer coûte que coûte, faire abstraction de la douleur et me concentrer sur le scoring” Sa détermination est alors sans faille, il gravit petit à petit les échelons : champion communal, leader départemental, vice-champion région Poitou-Charentes, champion inter-régions puis enfin en octobre 1982, c'est la consécration : champion de France en catégorie junior !

Il gagne son ticket pour Las Vegas afin d'y affronter les meilleurs mondiaux. La tension est à son comble, sous le dôme géant installé par Captain Vidéo (leader américain de la distribution de VHS, V2000 et cassettes de jeux vidéo), près de 25 000 spectateurs scandent le nom de leurs champions : Craig Winston pour les Américains, Hans Kiekenburker pour les Allemands (RFA), Andrew Barryless pour les Anglais et bien d'autres encore.

De notre côté, William Leymergie, la voix française de Pac-Man, a fait le déplacement et soutient bien évidemment le jeune prodige français.

Après une phase de poule difficile où le frenchy se débarrasse d'adversaires coriaces (mention spéciale au Polonais Piotr Slensky), Vincent entre dans la phase à élimination directe.

Seizième, huitième, quart, demi-finale, rien ne semble arrêter le jeune français qui pulvérise un à un le score de ses opposants.

Et pourtant…

Son adversaire en finale, l'Allemand Kikenburker, le bat assez nettement avec plus de 1000 points d'avance. C'est la douche froide pour Vincent.

L'Allemagne, encore elle, l'emporte sur la France alors que la plaie du mondial de foot qui s'est déroulé quelques mois auparavant n'est pas encore refermée.

Mais c'est la loi de l'esport et il faut la respecter. Cette défaite n'empêchera pas à Vincent de réaliser un beau parcours de Pro Gamer par la suite mais qu'est-ce qu'il aurait aimé gagner cette coupe du monde pour la mémoire de sa grand-mère…

Trente-deux ans plus tard, Vincent Salengeon, aujourd'hui âgé de 45 ans, revient sur son parcours.

DNJV : Vice-champion du monde, rétrospectivement, ce n'est pas si mal ?

Vincent Salengeon : oui c'est vrai mais en esport, seule la victoire compte, il n'y a pas de place pour les Poulidor. Tu win ou tu lose, il n'y a pas de demi-mesure.

DNJV : Qu'avez-vous fait après cette finale ?

VS : Papa, qui pensait vraiment que j'allais gagner, c'est un peu enflammé et a joué notre argent du voyage dans un casino. Il pensait qu'on avait la baraka dans les gênes. Au lieu de ça, on a plutôt eu la scoumoune. Comme il n'avait pas de quoi payer ses dettes de jeu, il a été roué de coups par un gang de Las Vegas. Ils ont alors séquestré maman pendant trois jours, jusqu'à ce que mon grand-père Arthur (note : le mari d'Yvette) fasse un virement. A l'époque on avait pas internet, c'était plus long. Bref ça s'est arrangé mais après, plus rien n'était comme avant.

DNJV : Très bien mais je voulais dire : qu'avez-vous fait par la suite, en tant que Pro Gamer ?

VS : Excusez-moi. A notre retour en France, j'ai écumé les salles de jeux et les bars où l'on trouvait les dernières bornes d'arcade. Mon père m'incitait à jouer de plus en plus, il me faisait même des mots d'excuse pour que je puisse m'entraîner 4 à 5 heures par jour au lieu d'aller à l'école. Il pensait vraiment qu'on allait se refaire…

Sauf que deux ans plus tard, Atari commençait sérieusement à prendre le bouillon et que les tournois se faisaient de plus en plus rares. Et surtout les cash prizes devenaient de plus en plus chiches. Même si je gagnais des ordinateurs Atari 800 dans les tournois locaux, on avait un mal fou à les revendre. Mon père avait démissionné de son emploi de facteur au P.T.T. pour se consacrer à ma carrière esportive, c'était en quelque sorte le premier coach esport en France. Ma mère ne l'a pas supporté et l'a quitté.

DNJV : Vous avez quand même rebondi sur un autre support ?

VS : Oui mais à mon grand regret, je n'ai plus jamais atteint le haut niveau. Vous savez, dans l'esport, à 13 ans, votre carrière est quand même bien entamée, vous êtes physiquement sur le déclin, vos beaux jours sont dans le rétroviseur. Même si le mental suit, les réflexes ont du mal à sortir. La société Philips m'a alors proposé de promouvoir son Vidéopac Plus. Je suis donc passé du leader mondial au challenger européen, c'est ainsi. Les tournois étaient des 1 vs.1 sur Stone Sling (Catapulte), un jeu où deux catapultes s'affrontaient pour détruire la tour adverse. J'étais payé 250 Francs par tournoi de démonstration. C'était peu mais ça nous permettait de tenir.

DNJV : Et ensuite, c'est le fameux incident qui défraya la chronique ?

VS : Ensuite, effectivement, c'est la grosse tuile. A force de trop jouer, je perds pas mal de mes facultés visuelles. Lors d'un tournoi au magasin Darty de Lajo (en Lozère), je ne vois pas un cageot de concombres posé au sol, je trébuche et tape mon œil sur le stick de la manette. Verdict : j'ai un décollement de rétine à l’œil gauche. Ma carrière est stoppée net car je suis dans l'incapacité de recouvrer une vue en 3D, je reste définitivement scotché dans un monde en 2D. Pour mon père, malheureusement devenu alcoolique, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase… enfin façon de parler. Il tente de mettre fin à ses jours et se défenestre d'un hôtel-restaurant Courte-Paille. Heureusement ce type de bâtiment est construit de plain-pied. En se défenestrant du rez-de-chaussée, il se blesse seulement à la jambe gauche. Néanmoins le médecin de garde n'arrivera pas à retirer un éclat de verre logé au tibia, il boitera pour le restant de ses jours.

DNJV : Quel regard portez-vous sur la scène actuelle de l'esport ?

VS : Un regard bienveillant car je garde une nostalgie de cette époque pleine de promesses. Counter-Strike, DOTA, Starcraft, etc., j'aurais bien aimé y jouer. Mais sans vision en relief, c'est compliqué. Et puis j'avoue que j'ai décroché depuis longtemps, je n'ai plus les skills. Je souhaite néanmoins bonne chance à ceux qui se lancent dans l'aventure. Humainement c'est très enrichissant.

C'est lors d'un tournoi que j'ai rencontré ma femme, elle était serveuse dans un bar qui organisait des events sur Shinobi. Et c'est aussi lors d'un tournoi que j'ai rencontré un chef de rayon chez Auchan, il m'a fait rentrer comme vendeur électro-ménager. Aujourd'hui je suis le PGM des cafetières Nespresso, j'en vends quatre par jour (rires) !

Ce témoignage illustre parfaitement la difficulté de l'esport et résonne comme un vibrant hommage aux générations de gamers qui ont suivi la voie tracée par Vincent Salengeon.

Propos recueillis par Francis de Saint Carnot pour la DNJV
Crédits photos :  Tous Droits réservés - Tilt


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La Direction Nationale du Jeu Vidéo est un organisme non-gouvernemental mais aussi à but non lucratif.

La Direction Nationale du Jeu Vidéo a été créée en 1952 (anciennement Institut National d’Orientation Stratégique des Jeux et Jouets Mécaniques et Électriques) par Antonin Salengeon, membre de l’Académie des Neuf (aucun rapport avec Twitter).Elle a connu sa première mutation importante en 1985 avec le programme gouvernemental d’Informatique Pour Tous. A l’époque, la DNJV avait en charge de soutenir le programme et les matériels français de vidéo loisirs, principalement l’Exelvision et la gamme Thomson (MO5, TO7).

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