3h00 du matin. On est le samedi 6 juin 2009. Des voix chancellent dans ce petit espace confiné où je me trouve. Dans la salle, un écran plat, estampillé Huawei, ce dernier est raccordé à une petite boite pourvu d'un écran LCD et de deux microphones. Assis sur une large banquette qui cadre cet espace clos, un groupe de 7 personnes festoient dans une jovialité étonnante. Tandis qu'une jolie chinoise pousse la chansonnette, les dés s'élancent une énième fois, venant s'entrechoquer entre les culos de bouteilles "Tsing Tao" à moitié vide. Un éclat de rire, une tape dans le dos, un cul sec. Il est 3h00, on est le samedi 6 juin 2009, je suis dans un KTV et je ne connais personne.
Dans les yeux du baroudeur : KTV all day long !
Croyez-le ou non, cette situation est le reflet d'un véritable vécu et non d'une fiction, bien que la précision pourrait pousser au scepticisme. A Shanghai, comme partout en Chine, les KTV sont monnaie courante. Acronyme pour « Karaoké Television », le KTV qui nous vient tout droit du voisin nippon, est le divertissement le plus prisé de la population chinoise. Peu onéreux, il intervient à tout moment de la journée, en guise d'After-Works ou après un diner bien arrosé, qu'on soit en pleine après-midi ou très tard dans la nuit, le KTV est plus qu'un phénomène culturel, il est une étape d'intégration.
Habituellement, quand un chinois vous invite à un KTV, c'est pour deux raisons. Soit cela provient d'un petit groupe d'étudiants qui souhaite profiter gracieusement de votre « richesse » d'occidentaux pour se payer un moment de détente à moins frais, feintant habillement un intérêt pour vous et votre culture. Soit, il s'agit d'un geste sincère et sans équivoque, simple acte justifiant d'une appréciation honnête et singulière pour votre personne. Pour ma part, j'ai vécu les deux. Si le récit plus haut vient se placer dans la deuxième catégorie, s'inscrivant dans la continuité d'une longue et exaltante nuit entre amis, j'avoue avoir failli essuyer bêtement la « honte » de la première.
Après tout, je suis un laowai (terme désignant un étranger) et un laowai tout frais qui plus est sachant que cela faisait à peine un mois que j'étais sur place. Alors quand en plus on est un peu naïf et avec un (trop ?) grand plein de gentillesse, on se fait aisément berner. Un coup d'œil rapide dans un Lonely Planet aura tôt fait de me prévenir de ces désagréments, mais comme je n'ai pas pour habitude de me préparer « comme il faut », c'est tout penaud que j'allais accompagner ce groupe d'étudiants pour un « afternoon tea » dans un KTV du coin. Grand bien me fit, un inconnu ayant assisté à la scène dû sentir le vice se faire puisqu'il vint s'interposer. Après quelques questions, en anglais, testant la véracité de cette amitié naissante, il dispersa les étudiants d'un revers de quelques syllabes. Délaissant son mandarin naturel pour un anglais un peu plus approximatif, le passant m'expliqua brièvement la situation et ce qui ce serait probablement passé. Ils auraient chanté, consommé avec excès et m'aurait généreusement laissé payer l'addition. Après quelques recherches sur la toile, il s'avère que ce genre de coup fourré n'est pas isolé et au vue des témoignages, les factures peuvent s'avérer salées (entre 1000 et 1500 RMB soit près de 150€).
Quoiqu'il en soit, c'est la deuxième situation qui me fit découvrir mon premier KTV. Un couple de chinois m'ayant humblement invité à rejoindre leurs compères dans un Karaoké non loin du lieu où l'on se trouvait. L'invitation se fit durant une soirée, après quelques échanges amicaux et bien entendu quelques verres un poil chargé. Le fait que je m'en rappelle si bien vient probablement du fait que c'était mon tout premier. D'ailleurs je me souviens de cet instant de lucidité où j'ai réalisé ce qu'il m'arrivait. Le Laowai qui se retrouve au milieu d'un groupe de locaux qu'il ne connait ni d'Eve ni d'Adam, c'est assez exotique et un brin insolite. Cette image tout droit sortie d'un teenage-film était pourtant bien réelle. Il faut néanmoins relever que je ne fut pas le premier et encore moins le dernier à expérimenter une telle situation, en atteste la situation similaire d'un ami de Beijing. Preuve si il en est que le peuple chinois est un peuple chaleureux et accueillant. Me concernant, ces personnes sont devenues par la suite des amis dont l'un fut mon compagnon d'arcade et Xbox pendant un an. La puissance du jeu vidéo ? Probablement pas, mais la porte à un nouveau regard sur le médium et son public, c'est certain.
Dans les yeux du joueur: KTV + PS2 = Combo-Breaker ?
La raison pour laquelle j'ai ouvert ce billet avec le KTV c'est car ce dernier possède un lien étroit avec notre loisir. Si effectivement il est mention de divertissement national, il n'y a aucune exagération dans mes propos. Faut dire, le succès est tel que l'on retrouve plusieurs variantes au format originel. Car si le KTV est avant tout un lieu où l'on chante, le succès tonitruant du concept eu tôt fait d'apporter des suppléments pour attirer des cibles plus spécifiques ou plus générales. Ainsi, si l'on passera sur les tristement célèbres KTV « rose », mon préféré va à celui qui met à disposition diverses consoles. PS2, PS3 ou Wii, j'en ai même vu un avec une N64 ! En revanche, pas de Xbox. Une raison expliqué par le statut légal bancale de la protégée de Microsoft sur le territoire chinois.
Bref, certains KTV ont donc élargi leur clientèle, tâchant d'attirer une gente masculine parfois contrainte d'accompagner les dames bien plus friandes de chanter sur du Jay Chou que tâter du Tekken. Qu'a ne cela tienne, tandis que les jeunes dames tente le highscore sur ça ou ça, les hommes se fritent en toute convivialité, dualshock à la main sur un bon Street Fighter.
De mémoire, les jeux présents étaient avant tout destinés à la franche camaraderie en écran séparé. Je me rappelle par exemple avoir vu de nombreux jeux de combats, entrant dans la continuité des bornes d'arcades, très présentes en Chine. Soul Calibur 2 et 3, Tekken Tag Tournament, Street Figther 3.3 et 4 sont des titres parmi tant d'autres venant rejoindre les PES et FIFA et quelques FPS de fortunes comme James Bond : Nightfire et Time Splitter 2 (oui vous avez bien lu !). Pour je ne sais quelle raison, les consoles étaient majoritairement de l'ancienne génération, avec une forte dominance pour la PS2. Si quelques PS3 et Call of Duty commençaient à pointer le bout de leur mange-disque, elles n'étaient clairement pas légion, une histoire de coût, et de contexte.
Un contexte que je divulguerai dans un billet dédié tant il est des choses à dire sur le jeu vidéo et son économie en Chine. De sa production à sa contrefaçon, en passant par les business modèles fleurissants et vieillissants, je tenterai d'apporter un œil critique sur cet immense marché que représente l'Empire du milieu.
En attendant, il faut admettre que ces KTV sont de moins en moins nombreux. La hausse des salaires (oui il y en a) associée à l'abaissement des coûts des consoles et la contrefaçon ont rapidement entrainer un équipement individuel au sein des foyers. Désormais, les garçonnières sont souvent équipées d'une Xbox 360 ou d'une PS3, et s'il n'est pas aisé d'aller jouer chez les copains, alors on se retrouve tous autour d'une salle en réseau ou dans une salle d'arcades. Ces dernières faisant la part belle aux « Dance Dance Revolution » et autres Sega Rallye. Bref, des lieux de convivialité où j'ai découvert une jeunesse chinoise libérée et surtout sacrément "skillé".
Le KTV cela dit, c'est davantage en catimini. La faute à des pièces un brin plus cosy, format privée oblige. On paye notre salle, et si le cœur nous en dit, on ajoute quelques Yuan de plus pour l'option « Jeux Vidéo ». On choisi quelles consoles on désire et en fonction des disponibilités on nous attribue une salle. Une personne vient ensuite nous conduire à notre salle privée, introduisant les « machines » et nous invitant à consommer quelques mets locaux si la faim nous en dit. Dès lors, ça se scinde rapidement, les chanteurs d'un côté, les joueurs de l'autre, mais tous dans la même pièce. S'en suit un brouhaha où les chants deviennent parfois imperceptibles, recouvert par des cris de joueurs en exalte. Une jovialité prenante qui ne laisse place qu'à une chose, du fun et rien d'autre.
Si le Karaoké en France à tantôt fait de tourner en pugilât musical, en Chine, il représente une véritable institution. Un divertissement qui va parfois de pair avec le jeu vidéo, pas moins apprécié par la jeunesse chinoise qui porte en elle de belles promesses pour notre médium.