Indie Game The Movie est un film sorti il y a environ deux semaines, le 12 juin, et qui, comme son nom l'indique, s'intéresse au développeurs indépendants de jeux vidéo. Mais avant de parler du film en lui même, je vais vous raconter dans quel état d'esprit j'étais avant de voir ce film...

 

 

Les jeux indépendants? C'est surfait!

Oui, je sais, c'est assez bizarre de regarder un film qui parle des jeux indés quand on tient ce genre de propos. Pourtant, c'est à peu près ce que je pense ces derniers temps. Non pas que je n'aime pas les jeux indépendants, au contraire j'en joue à pas mal et certains font partis de mes jeux préférés. Mais pour moi le mot/la catégorie/la classification indépendant perdait de son sens. Il n'était plus le reflet de passionnés qui se tuaient à la tache pour sortir un jeu modeste mais super bien foutu et amusant parce qu'ils y avaient mis tout leur coeur. Non, c'était devenu un mot d'opposition. D'opposition aux jeux AAA à gros budget. On aimait les jeux indés parce qu'on ne trouvait plus ce qu'on aimait dans les jeux vidéo en jouant aux jeux financés par de gros éditeurs. Le mot "indie" était aussi devenu un bouclier. Sous prétexte qu'un jeu était fait par un indépendant, on ne pouvait pas le critiquer. C'était un jeu à part, un jeu différent, et le critiquer, c'était être un blasé, un fan de Call of Duty, un supporter de foot ou les trois à la fois. Finalement, cette sacralisation que certains avaient pour les jeux indés, le fait qu'ils soient considérés comme extraordinaires et immenséments supérieurs aux jeux "normaux" a fini par créer une rupture entre moi et les jeux indépendants. Je n'aimais plus trop ce terme, ce qu'il représentait et sous entendait. Ca ne m'a pas empeché de jouer à des jeux indépendants, dont le fantastique Sword and Sworcery qui est pour le moment mon jeu de l'année, mais j'étais déçu, parce que pour moi, le mot "indie" avait perdu de sa valeur, de son véritable sens, de sa "noblesse" serais je tenté de dire.
Avant de regarder ce film donc, je ne savais pas si j'allais l'aimer ni même à quoi m'attendre. J'en savais très peu sur le film, tout juste qu'il suivrait principalement quatre développeurs indépendants: Jonathan Blow, Edmund McMillen et Tommy Refenes, sans oublier le (détestable) Phil Fish, connu pour ses déclarations fracassantes. Bref, j'étais bien loin de me douter que j'allais voir l'un des plus beaux films que j'ai vu de toute ma vie.

 

 

 Un trailer du film, pour vous donner une idée de ce qui vous attend.

 

 

 La passion

Revenons en donc au film en lui même. IGTM est un documentaire qui dure une bonne heure et demie et qui a été réalisé par deux canadiens: James Swirsky et Lisanne Pajot. Ils en ont eu l'idée lorsqu'ils ont couvert un évènement (Game Developper Conference) où ils ont fait un film avec un développeur indépendant, Infinite Ammo, en automne 2009. En 2010, nos deux réalisateurs se lancent dans le projet de faire un film sur les développeurs indépendants et le financent grâce à deux campagnes réussies sur Kickstarter (en 2010 pour financer le projet et en 2011 pour le finaliser). C'est assez marrant je trouve, des indépendants qui font un film sur des indépendants! Finalement c'est en 2012 que sort IGTM, d'abord au Festival Sundance en janvier, où il remportera un prix, puis enfin accessible à tout le monde en dématérialisé le 12 juin.
Bien que 300 heures aient été filmées, le film ne dure qu'un peu plus d'une heure et demie, et se concentre sur quatre indépendants:
- Jonathan Blow, le créateur de Braid, l'un des premiers jeux indépendants à avoir connu le succès sur console (XBLA) et qui travaille actuellement sur un nouveau jeu: The Witness.
- Edmund McMillen et Tommy Refenes, qui forment la Team Meat à l'origine de Super Meat Boy, qui est devenu une nouvelle référence des jeux de plateforme.
- Phil Fish, le créateur de FEZ, sorti récemment, et qui n'y va pas de main morte lorsqu'il s'exprime.

 Phil Fish, créateur de FEZ.

 C'est donc ces quatre développeurs indépendants et passionnés que l'on va suivre tout au long du documentaire. Si le choix de quatre personnes (on peut même dire trois vu que McMillen et Refenes forment un duo de développeurs) peut paraitre petit par rapport à toutes les personnes interviewées, je pense que c'est un très bon choix. C'est un très bon choix déjà au niveau des périodes. En effet, on suit trois jeux (Braid, Super Meat Boy et FEZ) à des moments très différents de leur existence. Jonathan Blow revient sur le succès de Braid avec du recul, puisque le jeu est sorti en 2008, Edmund McMillen et Tommy Refenes sont en train de finir leur jeu et on vit le moment de la sortie du jeu (et les jours qui la précèdent) à leur coté, quant à Phil Fish, on le suit en plein développement du jeu, à une période où la date de sortie de FEZ ne faisait qu'être repoussée (et lors d'une période assez difficile pour lui). Cela donne vraiment trois points de vue différents sur les jeux indépendants, non seulement parce que ces développeurs sont différents et n'ont pas les mêmes problèmes/préoccupations, mais aussi parce que l'on vit trois moments clés du développement d'un jeu: la phase de développement, la sortie du jeu et ce qui se passe après la sortie du jeu.
Alors là, vous allez me demander ce qu'il y a de spécial à suivre ca... C'est vrai, de nos jours, en suivant l'actualité sur internet, on peut très bien suivre ces trois étapes plus ou moins en direct pour la plupart des jeux. Oui, mais non. Cette fois ce ne sont pas des developers diary, des interviews calibrées et langue de bois avec des mots choisis de manière très précise et trois screen deux fois par mois. Ce n'est pas lisse, ni commercial. Il y a une vraie dimension humaine. Ce documentaire ne nous montrent pas des hommes dont le travail est de faire des jeux vidéo. Ce documentaire nous montre de véritables passionnés qui donnent tout ce qu'ils ont pour réaliser ce qui a toujours été leur rêve. Finalement, le fait qu'ils crééent des jeux vidéo est peut être même secondaire. C'est sur, ca nous touchera plus en tant que joueur, parce que c'est notre passion aussi, et que ca parle d'un milieu qui nous fascine, sur lequel on se pose plein de questions, qu'on a envie de découvrir de l'intérieur... mais la dimension humaine du film dépasse le simple cadre des jeux vidéo.
J'ai vraiment été touché par ce film. Contrairement à beaucoup de développeurs et de studio dont on entend parler sur les sites de jeux vidéo, là je me suis senti proche des développeurs présentés dans ce film. Les thèmes abordés me parlent plus que tout ce que j'ai pu lire dans des interview de personnalités de l'industrie. En fait, ils ne parlent presque pas de leurs jeux. Certes, ils expliquent quelques détails du processus de création, mais vraiment, les jeux ne sont pas au centre du film. Ce qui comptent, ce sont ceux qui les font. Ils nous disent comment ils en sont arrivés à faire des jeux vidéo, d'où vient cette envie. On les voit avec leur famille, leurs proches, ou parfois seuls, et on découvre l'influence qu'on leur passion sur leur vie sociale, comment les gens qui les entourent le vivent. On découvre leurs craintes, leurs envies, leurs rêves. Leur moments de joie, ce qui fait leur fierté, mais aussi leurs échecs et leurs moments difficiles... C'est vraiment un documentaire intime. Après avoir vu ce film, je ne dirais pas que j'avais l'impression de les connaitre, mais j'avais l'impression de connaitre des choses sur eux qu'ils n'auraient pas forcément dit à un inconnu, l'impression d'avoir passé un moment privilégié avec eux où ils m'auraient parlé honnêtement de leur vie, de leur oeuvres et de ce qu'ils ressentaient par rapport à tout ca. Et ca m'a permis de me sentir très très proche d'eux, plus proche que je ne suis jamais senti avec aucun autre développeur. Ils sont humains, ont des faiblesses, sont "normaux" dans le sens où ca pourrait être des gens avec qui je partagerais des délires, avec qui je m'entends... Ils ne semblent pas du tout distants. Ce film est vraiment génial: non seulement il est très intéressant car il permet de jeter un oeil dans les coulisses du développement de jeux indépendants, mais il est aussi très touchant grâce à son coté humain, il procure des émotions et on fini par vraiment s'attacher à ces développeurs qui au final prennent tout les risques et font de nombreux sacrifices pour arriver à réaliser leur rêve: sortir leur jeu.
Je n'entrerais pas plus dans les détails, il y a tellement à dire sur chacun des acteurs et au sujet des nombreuses scènes qui m'ont fait  tour à tour rire, réfléchir et même à quelques reprises ému. Mais je ne vais pas vous raconter le film, le mieux c'est encore que vous le regardiez. Sachez juste que du début à la fin, on ne s'ennuie pas une seconde.

 

 Super Meat Boy, un jeu développé par la Team Meat (Edmund McMillen et Tommy Refenes)

 
Que dire de plus?

Je vous avouerais que quand j'ai pensé à écrire un article sur IGTM, je m'imaginais un truc bien organisé, où je décortiquerais le film de façon à vous donner envie de le regarder. Mais ce n'est pas vraiment ce que j'ai fait... Je n'ai pas trop parlé de la réalisation, qui m'a semblé plutôt bonne (bon montage, bonne qualité d'image, et que dire de plus...? Je ne m'y connais pas trop en technique de cinéma, et encore moins pour les documentaires je dois l'avouer...), ni même de la musique, composée par le talentueux Jim Guthrie (qui a oeuvré sur Sword and Sworcery, qui est un excellent compositeur, mais dont la musique était un peu en retrait dans ce film). J'aurais peut être pu écrire une vraie critique si mon coeur ne m'incitait pas à vous hurler au visage: CE FILM M A TOUCHE TOUT AU FOND DE MON COEUR DE JOUEUR PASSIONNE, REGARDEZ LE IL EST GENIAL! Parce qu'au final c'est ca qu'il me reste de ce film. Le souvenir d'un immense plaisir lors de son visionnage, l'envie de le partager avec d'autres personnes, joueurs(euses) ou non, et la fierté d'être un passionné de jeux vidéo. Après avoir vu ce film, après avoir suivi ces passionnés dans leur quête, et m'être un peu identifié à eux, je suis vraiment fier de pouvoir dire que je partage la même passion qu'eux. Je suis fier d'être passionné par quelque chose qui pousse des gens à faire des jeux avec leur coeur dans le but de me faire plaisir tout en réalisant leur rêve.
Peut être que les gens ne retiendront que les gros jeux de cette génération, ceux qui auront couté des millions de dollars dont la moitié dépensés en marketing et qu'on ne se souviendra plus, ou vaguement, de Braid, Super Meat Boy ou FEZ... Mais moi je ne les oublierais pas. Je vais même y rejouer et y prendre encore plus de plaisir qu'avant, en sachant d'où viennent ces jeux, comment et par qui ils ont été faits. Je vais suivre avec attention la carrière des développeurs dont j'ai pu apercevoir le quotidien et la vie, sur une brève période, lors de ce film. Il est probable que j'achèterais leurs jeux les yeux fermés (mais ca, je le faisais déjà avant). Et j'en voudrais beaucoup moins à Phil Fish lorsqu'il dira des conneries, parce qu'avec tout ce qu'il s'est pris dans la gueule, je pense qu'il a bien besoin de se défouler un peu lui aussi. Je remercie sincèrement et du fond du coeur ceux qui ont fait ce film, ceux qui y ont participé, ceux qui ont financé ce film sur Kickstarter et tout ceux qui ont rendu cela possible. Ce film a redonné un sens au mot "indépendant" pour moi, mais surtout il m'a montré qu'il y avait encore des gens vraiment passionné par les jeux vidéo dans notre industrie. Je ne dis pas qu'il n'y en a pas, ou qu'il n'y en a pas dans les grosses boites, mais on ne les voit juste pas assez, c'est comme s'ils n'existaient pas... là, on les a vu, et ca fait du bien! Si vous aimez les jeux vidéo, si c'est votre passion, alors vous devez voir ce film. Vous ne pouvez juste pas le rater. Il est beau et touchant. Regardez le.

 

 Braid, de Jonathan Blow.

 
Pour voir Indie Game The Movie, vous pouvez l'acheter (pour un prix d'environ 9 à 10 euros) directement sur le site officiel du film, sur Steam sous forme d'application ou sur Itunes. Vous pouvez trouver l'OST du film sur Bandcamp. Si vous voulez aller un peu plus loin que le film, le site officiel vous permettra de retracer tout son parcourt. Vous pouvez aussi précommander l'édition spéciale du film qui incluera du contenu issu des 300h de film tournées, traité de la même manière que le film niveau qualité et qui comportera de nombreuses interview de développeurs indépendants qui n'ont pas été retenues pour le film, ainsi que d'autres bonus pas encore fixés (mais ils parlent d'artwork, de l'OST, d'un packaging spécial et peut être même d'un livre...).