ATTENTION : CET ARTICLE EST BOURRE DE SPOILER SUR L'INTEGRALITE DE LA SAISON 1 DU JEU VIDEO WALKING DEAD.

La BD et la série TV ne sont pas touchées par ce spoil.

 

 

Quand on regarde nos envies pour les jeux de l'année 2012, on était en droit d'en attendre un joli paquet à la table des Game Of The Year : Assassin's Creed 3, Max Payne 3, Mass Effect 3, Dishonored, Hitman Absolution, et même Far Cry 3. Si pour moi certains de ces jeux m'ont beaucoup plu, et même pas mal marqués (pour le cas de Max Payne et Mass Effect, principalement), je doute très fortement que je me souviendrais d'eux dans 15, 20 ou 30 ans.


Pourtant, un petit jeu que personne n'attendait a creusé petit à petit son trou dans le coeur des joueurs. Avec son approche épisodique fort subtile (qui mériterait un article à elle seule, mais je ne vais pas m'y risquer), créant l'attente au sein de la communauté de joueur comme rarement ça a été le cas dans un laps de temps aussi court, The Walking Dead de Telltale a bouleversé tout un tas de joueurs, dont je fais partie. J'ai longtemps hésité à faire un article de ce genre, dès le premier épisode. Mais un peu comme Journey plus tôt cette année, j'avais un peu peur de ne pas mettre de mots, ne pas arriver à décrire la réussite totale des développeurs à arriver à leurs fins. Au final, ce sera un article aussi subjectif qu'élogieux, qui doit être pris comme tel : un remerciement profond et sincère envers le seul studio de développement qui fait aller le jeu vidéo (ou du moins, une sorte de jeu vidéo) dans la direction qui m'intéresse. Ou en tout cas, qui le fait bien et sans prétention.

Je met les point sur les i : je n'ai jamais lu la BD, j'ai regardé les quatre premiers épisodes de la série, qui ne m'ont clairement pas passionné (c'était sympathique, mais ça n'apportait strictement rien au genre). De plus, les zombies - que ce soit au cinéma ou dans le jeu vidéo - me sortent par les trou de nez, je ne peux plus les voir et depuis Left 4 Dead, je considère tout jeu ou film mettant en scène des zombies comme opportuniste et sans intérêt (dont Undead Nightmare, alors que j'avais adoré Red Dead Redemption). Si je précise cela c'est avant tout pour montrer que je ne suis pas influencé par quelle conque appréciation du genre zombie, ou de la licence originale.

On l'a dit, redit et reredit, mais The Walking Dead (que j'appellerais TWD à partir de maintenant et qui ne désignera que la série de jeux, pas les deux autres oeuvres du même nom) a un sujet très simple : la relation d'humain à humain. Les zombies pourraient être une peste ou une grippe tueuse, il n'y aurait que très peu de différences. Et au final, après avoir passé une quinzaine d'heures en compagnie de tous ces personnages, je retiens principalement la relation entre Clementine, une petite fille de 9 ans, et Lee Everett, père improvisé de cette dernière et personnage principal de TWD. Et malgré le nombre affolant de "petites" histoires qu'on nous raconte, ou qui se passe devant nos yeux, au final tout revient sur ce rapport entre Lee et Clem. Quand notre éternel compagnon Kenny se doit de tuer son propre fils, mordu par un zombie, on se met à sa place et on se dit tout simplement :"Est-ce que j'oserai le faire avec Clem ?". Et ce n'est pas la rage avec laquelle j'ai appuyé sur les boutons de ma manette pour libérer notre protégée de certains zombies qui va me contredire.

Tout cela tient en fait à très peu de choses. Outre les choix sur lesquels je vais revenir plus tard, le talent de Telltale (et principalement de leurs scénariste et dialoguiste, si ce n'est pas la même personne), c'est d'avoir écrit des personnages incroyables. On n'y est vraiment pas habitués en jeu vidéo, ce qui multiplie considérablement l'impact sur le joueur. Des mots qu'ils emploient jusqu'à leurs expressions du visage en passant par leurs gestes, tout est pensé pour que rien ne nous sorte du récit.

C'est très simple : il n'y a pas d'archétype dans ce jeu. Tous les personnages, les choix, les conséquences auront de l'eau dans le vin. Oubliez Mass Effect, oubliez Alpha Protocol, aucun jeu existant ne réussit aussi bien à ne pas caractériser le bien ou le mal. Le système de dialogue est à ce titre bluffant. La plupart du temps il y a 3 ou 4 choix. Et contrairement à un Heavy Rain ou n'importe quel autre jeu avec le même système, il n'y a pas un choix logique que toute personne sensée choisirait et deux autres beaucoup plus extrêmes, mais au contraire trois choix totalement crédibles, ce qui les rend d'autant plus puissants.

D'ailleurs ces choix, parlons-en puisque c'est certainement ce qui fait que ce jeu n'aurait pas pu être autre chose qu'un jeu, et que son impact émotionnel (pour faire large, parce que c'est avant tout un impact scénaristique qui, lui, entraine l'émotion, au contraire d'un Red Dead Redemption qui apporte l'émotion par la mise en scène) n'aurait pas été le même sans cela. J'ai lu assez souvent que les joueurs avaient été un peu déçus de voir que l'impact des choix qu'on peut faire au cours de la série n'affectait au final jamais le cours de l'histoire. D'autres, pour contre argumenter, commentaient qu'au final, impact ou non, peu importe étant donné que l'illusion de choix était là.

Si ces deux arguments sont au fond tout à fait recevables, je voudrais quand même ajouter deux choses. Premièrement, on l'a vu dans Heavy Rain, quand les choix sont trop visibles et trop importants vis à vis de la trame scénaristique, cela donne des invraisemblances totalement ridicules (dans Heavy Rain, ceux qui ont fait exprès de se faire coffrer par le mec du FBI pour que ce dernier le laisse s'échapper ensuite s'en souviendront, bonjour l'assassin présumé de plusieurs enfants qui s'évade et tout le monde s'en fout). Ensuite, et c'est le point le plus important à ce sujet, dans TWD on incarne bien un personnage, et non pas le scénariste. Je vais prendre un exemple concret pour illustrer mes propos. Dans le tout premier épisode, on a un choix très simple. Deux personnages se font attraper par des zombies, dont l'un des deux est un enfant (Duck). En gros, on voit la scène, et soit on va aider Duck, soit l'autre type. Donc quel que soit le choix qu'on fait, Duck meurt, ce qui a déçu certains joueurs. J'aurais été d'accord si à l'écran il y avait écrit "qui va survivre, Duck ou l'autre type ? A vous de choisir". Sauf que non. Dans cette scène, on incarne Lee Everett, pris dans une situation avec plein d'autres personnages scénaristiquement indépendants de lui, qui ont leurs valeurs, leurs convictions, et leurs propres choix. Donc dans le cas où vous choisissez d'aider l'autre type, c'est évident que le père de Duck (Kenny, l'un des meilleurs personnages de l'histoire du jeu vidéo si vous voulez mon avis) ne va pas rester les bras croisés à regarder son fils se faire bouffer, il va tout faire pour le sauver, quitte à vous gêner dans votre tentative de sauvetage de l'autre type. Si en apparence cela n'a aucun effet, encore une fois c'est dans la relation aux personnages que tout se jouera, puisque Kenny sera déçu que vous n'ayez pas aidé son fils.

Je pense que c'est le meilleur exemple pour illuster à quel point le système de choix est d'une subtilité infaillible. Cette volonté permanente de garder une certaine cohérence tout en gardant la dimension de choix chez le joueur est ce qui maintient TWD dans une tension permanente, un équilibre parfait entre importance du choix et indépendance des autres personnages. Certains choix peuvent clairement tout changer, mais encore une fois, nous sommes dans un jeu dont vous êtes le héros et seulement le héros, pas le scénariste.

Malgré tout, il y a autre chose qui peut éventuellement gêner dans l'évolution de la narration, c'est le fait que nous devons prendre les décisions d'un personnage dont nous ne savons que très peu de choses. Si pour 99% des choix cela ne pose pas de problèmes (ces choix se font avec des personnages qu'on connaît depuis le début, dans des situations qui n'impliquent pas le passé du personnage principal), il peut sembler étrange de devoir choisir si oui ou non on doit cacher son passé trouble à un autre protagoniste alors que nous ne savons pas clairement ce que Lee a fait de ce passé. Mais si vous voulez mon avis, à l'instar du Dernier Jour d'un Condamné de Victor Hugo, ce qu'on sait suffit au récit. A un moment donné, Clementine demande à Lee si il a déjà tué (en sous entendant autre chose que des zombies). En tant que joueur, nous n'avons aucune idée de la réponse, même si on se doute que oui. Pourtant, en voyant les réponses possibles, on se rend compte que la question pour le joueur n'est pas "Lee a-t-il déjà tué dans sa vie ?", mais "Est-ce important de parler du passé ?". C'est là qu'est le choix, puisqu'on peut éviter la question par une réponse bateau (genre "maintenant qu'on tue des zombies tous les jours, on est tous des meurtriers"). Je conçois qu'il peut être frustrant de ne rien savoir de plus à son égard, mais après tout, c'est encore une fois probablement dans une volonté de non manichéisme que cette désision a été prise.

Je vais finir cet article en parlant tout de même de l'aspect 'technique' du jeu. Le jeu est techniquement imparfait, que ça soit au niveau des graphismes ou des mécaniques de jeu. Sur le 3ème épisode j'ai eu un bug qui faisait que la caméra restait figée à l'extérieur du train, et les freeze sont légions notamment après certains choix importants (je précise que j'y joue sur PS3). Niveau Gameplay c'est globalement correct, même s'il y a des soucis de répétition de dialogues (parfois si on va voir la même personne 3 fois elle nous dit 3 fois la même chose), et d'animations. Et si vous vous posez la question, oui ce sera le seul paragraphe dans lequel je dirais autre chose que ce jeu est un coup de génie.

Mais malgré ces limitations techniques, Telltale a mis ce qu'il fallait où il fallait. On a beau être très très loin du moteur d'un Heavy Rain (même si le jeu reste tout de même très agréable à l'oeil) ça reste assez fabuleux. N'ayant pas opté pour des animations à base de performance capture, celles ci donnent un petit côté retro tout en étant tout à fait crédibles. Mais ce qui est particulièrement réussi dans le jeu, d'un point de vue technique, ce sont les animations faciales. Oh elles ne sont pas parfaites, certaines transitions sont un peu brutales par exemple, mais là on sent que tout a été pensé dans une compréhension totale entre les différents membres de l'équipe. 

Alors que dans n'importe quel jeu un mec content fera un grand sourire et un mec triste fera une tête à en chialer (et quand il se passe rien il n'a pas d'expression généralement), là les expressions du visage apportent vraiment quelque chose. Parce qu'en effet si je voue un culte à l'écriture fabuleuse des dialogues du jeu, il faut parler d'autre chose qu'on voit plus rarement dans les jeux vidéos : le non dit. Et ça, c'est à travers les différents visages qu'on le ressent. L'exemple qui m'a directement frappé, c'est lors de l'épisode 4. Dans l'épisode précédent, Kenny a absolument tout perdu : sa femme et son enfant sont morts, et du coup sa seule préoccupation est de trouver un bateau pour s'éloigner le plus possible de cette partie du globe. Tout l'épisode est fait de sorte à ce qu'on pense qu'il n'y aura jamais de bateau. Et là, par un hasard assez fabuleux, toute la bande tombe sur un garage dans lequel il y a un bateau qui semble en parfait état. Gros plan sur Kenny, qui fait un sourire très très léger et qui s'approche lentement du bateau. Ce sourire, il vaut mille mots. Les survivants auraient pu parler pendant de longues minutes sur le fait que ce bateau représente l'espoir, que Kenny à lui seul pourrait résumer tout TWD : quelqu'un qui a tellement souffert que le moindre réconfort est le bienvenu. Dans ce sourire, on ressent à la fois le poids de tout ce qu'il a vécu, et le semblant d'espoir émanant de la vue de ce bateau.

Cela m'amène au dernier point de cet article (comme je l'ai entendu pendant toute ma scolarité :"Après, je vous lâche !") : le rapport d'intimité entre l'auteur et sa création. Si le doublage extraordinaire apporte bien entendu de la personnalité à chacun des personnages, on peut difficilement dire que les acteurs s'approprient les personnages. Ils donnent un surplus d'identité non négligeable, bien entendu, mais il ne sont "que" une voix. Et c'est là que je trouve que le fait que ce soit un jeu vidéo (ou du moins, une oeuvre animée sans prise de vue réelle) apporte au récit. Il n'y a pas de médiateur entre l'auteur et le spectateur. Dans un film, quand un scénariste donne un de ses personnages à un acteur, il est fort probable que cet acteur ne fera pas exactement chaque geste, chaque expression du visage imaginé par le scénariste. Dans le cas de TWD, il n'y a pas cette médiation. L'auteur écrit quelque chose, et c'est exactement ce qui est retranscrit à l'écran, tout un contexte, tout un personnage, toute une émotion indescriptible en mille mots résumée en un sourire et un regard. Le génie de The Walking Dead, c'est ça.

Difficile d'apporter une conclusion à cet article. D'une part parce qu'essayer de résumer pourquoi TWD est génial en quelques mots est un exercice périlleux, et d'autre part parce qu'en écrivant ce dernier, je fais définitivement mon deuil de cette expérience totalement bouleversante. Déjà le générique de fin avait été d'une douleur assez incroyable, mais en déballant tout sur cette expérience, j'accepte ne plus avoir à ajouter quoique ce soit sur le jeu. Bien entendu il y aura une saison 2 au vu su succès critique et commercial de la série, mais elle ne me fera probablement pas oublier ces émotions, ces tensions et ces souvenirs en compagnie de Lee et Clementine. Comment rendre honneur au jeu définitivement ? Pour moi, il fait partie du panthéon de l'art, aux côtés de 2001 : L'Odyssée de l'Espace et Des Souris et des Hommes. Et puisqu'on en est aux comparaisons avec les autres arts, je le dis, The Walking Dead aura le même impact sur le jeu vidéo que Citizen Kane sur le cinéma.