Après ce qu’il convient d’appeler, sans euphémisme, une nuit de bruit et de fureur, le calme est enfin revenu devant les locaux Tokyoïtes de la société Kojima Production. Les sirènes se sont tues. Les voitures de police ont cessé leur ballet macabre. La pluie a ramené le silence, dispersant les derniers badauds attirés par les feux des gyrophares. Seule la toile arachnéenne des scellés, tendue en travers de l’unique accès au bâtiment, témoigne encore de la tragédie qui s’y est joué six heures plus tôt. Nous sommes mi-février et pourtant, ce matin, ce sont des nuées de novembre qui pèsent sur le ciel nippon. Chape de plomb. Voile de deuil. La machine à rêves est cassée, à l’image de l’homme qui en est l’incarnation. C’est une certitude : le sourire communicatif d'Hideo Kojima, célèbre créateur de jeux vidéo (auquel on doit, entre autres, la saga Metal Gear) ne brillera plus jamais - ou du moins, plus avec le même éclat. Des années s'écouleront, peut-être, avant que l'homme ne se défasse du masque d'impassibilité, entre indifférence morose et indifférence affligée, dont il s'est paré pour vivre sa douleur sans perdre sa dignité.
 
Selon Foxu Muruderu, l’officier en charge de l’enquête, ce serait aux alentours de 22 h 30 que Yui Kojima, épouse et collègue de l'illustre créatif, aurait trouvé la mort dans ce qui a été présenté à la presse comme un "dramatique accident", dont la nature et les raisons exactes "restent à déterminer". Celui-ci serait cependant lié, à en croire nos informateurs sur place, à des "tests de compatibilité" dans le cadre de ce qui semble être un "projet top secret", impliquant l'usage d'une "technologie expérimentale" aux "finalités troubles". Un projet dont la forme, nous précise-t-on, pourrait suggérer la sortie d'un nouveau Zone of the Enders, "mais à plus grande échelle". A quel point est-il avisé d'accorder du crédit à ces allégations, nous ne saurions le dire, mais les tenants et aboutissants de cette affaire pourraient être plus complexes qu'il n'y paraît, comme le confirme l'agent Muruderu :
 
En dépit de la coopération active du personnel du site, nos équipes n'ont pas retrouvé le corps de la victime. Ni ongle, ni poil, ni cheveux. Rien. Aucune trace. Comme si elle s'était volatilisée. C'est à n'y rien comprendre.
 
Le principal intéressé, lui, s'est muré dans une indifférence proche de la catatonie. "Elle n'est pas morte" affirmera-t-il face aux caméras de télévision, très légèrement hagard, avant d'ajouter une explication confuse sur "les morceaux de sucre qui, une fois plongés dans le café, ne cessent pas d'exister".

Serait-il possible que ces déclarations cryptiques constituent, à leur sibylline manière, un aveu déguisé ?

Un crime passionnel ?, ne peut s'empêcher de sourire l'agent Muruderu, avant de se reprendre, avec la gravité qu'imposent les circonstances. Allons, allons. Soyons sérieux. Je vous rappelle que nous parlons d'Hideo Kojima. Si l'on en croit les statistiques, feue sa compagne avait plus de chance de se faire agresser par l'ours Colargol, l'ours qui chante en fa en sol, que par l'homme dont elle partageait la vie (ou plus exactement, dont elle partageait 0,10 % de la vie).

En ces heures douloureuses, toutes les pensées de compassion de l'équipe Kojimag' sont tournées vers le veuf relativement inconsolable et vers Shinji, son fils de 4 ans, qu'il a décidé de confier aux bons soins de l'état.

Mais j'ai de grands projets pour lui, à moyen terme, nous rassurera-t-il malgré tout, avec une indifférence éplorée. Lorsqu’il sera prêt et que le moment sera venu, je saurais où le trouver. Et il sera aux anges, ça, je peux vous l'assurer. Dans l'attente, je lui ai acheté un walkman.
 
L'amour, définitivement plus fort que la peine ?
 
Oh. Et je lui ai acheté des piles, aussi.