Vous êtes jeune, un peu isolé dans votre tête, vous avez une haute estime de vous-mêmes et vous ne savez pas quoi faire de vos dix doigts ?
Bonne nouvelle ! (Evangile, en grec dans le texte).
Qu'il existe ou non, Dieu a pensé à vous en créant les réseaux sociaux, Facebook en tête, et en déclarant par-là même ouvertes les Grandes Olympiades de la Bêtise Humaine. Oh certes, ça ne date pas d'hier, soyons honnêtes : les piliers de bar et autres philosophes de comptoir, ça n'a pas attendu le net pour radoter. Sauf qu'hier, ça devait souvent se contenter de bredouiller à guichet fermé, le nez dans un verre de gros rouge, avant d'essayer de rentrer chez soi sans finir la tronche dans le caniveau. Même cause, effets dans l'air du temps : aujourd'hui, c'est a contrario le meilleur moyen d'engranger les « likes » et de se sentir important.
Cela ne sera pas passé inaperçu du côté des attention whores et des complexés en tous genres, si bien qu'on pu voir fleurir comme le chardon les pages antiracistes faisant à mots couverts l'apologie du rejet de la différence (« oui mais tous les racismes ne se valent pas »), les pages antisexistes faisant l'apologie de la discrimination (« tous les sexismes ne se valent pas non plus »), les pages « pour Tous » faites pour quelques « élus » (autoproclamés. Notez comme les élus sont toujours autoproclamés), et maintes autres contradictions dans les termes invitant jusqu'aux âmes les plus naïves à perdre foi en l'humanité. Or c'est précisément de foi dont il va être question ici puisqu'on trouve également, depuis quelques temps, pléthores de pages dédiées à la raison, à la science, à l'ouverture d'esprit et, tant pis pour l'oxymoron (c'est dire si ça part mal), au faith shaming.
Le principe est simple (autant que peuvent l'être les internautes qu'il unit) : on a plus six ans, on ne croit plus au Père Noël, Nietzsche a tué Dieu (qui a tué Nietzsche en retour, mais c'est une autre histoire) et quand on y pense, à toutes ces croisades, ces guerres de religion, ces chasses aux sorcières, ces abus de pouvoir, cette richesse accumulée au nom d'une figure imaginaire, on en a la nausée. Alors on fait ce que tout chevalier des temps modernes (je ne fais pas exception) fait dans ce genre de circonstances : on ouvre une page Facebook dédiée, sur laquelle on va promouvoir les vertus conjointes de la science et de l'athéisme qui nous sont chères.
Enfin, ça, c'est la théorie.
Dans la pratique, on va plutôt s'y payer allègrement de la tête de toutes les religions et de tous les croyants, à grand renforts de citations bidouillées ou tirées de leur contexte (quand ce n'est pas carrément des répliques de Matrix, ce qui en dit long sur le sérieux de l'entreprise !), de montages Paint qui feraient honte aux graphistes les moins dégourdis (à la limite du Comic sans MS, c'est dire) et de caricatures « humoristiques » nous rappelant les heures les plus sombres de l'art graphique international (pour vous situer le truc, on en viendrait presque à regretter Masami Kurumada), sous la bannière d'un intitulé skyblog trop lol ou trop badass (« Je n'ai pas de copain imaginaire », « les athées en force », "la religion est la plus grande supercherie de l'histoire de l'humanité"… excusez du peu !), à grand renforts de posts lapidaires et sans nuances appelant des commentaires tous plus inspirés (dans le registre de la haine) les uns que les autres. Tant pis pour la science, tant pis pour l'ouverture d'esprit promises, ce n'est pas là non plus qu'on les trouvera.
Parce que ce n'est pas le but, mais le prétexte.
En effet, que demander de plus quand ce que l'on souhaite véritablement, au fond, c'est s'octroyer le beau rôle, s'inventer une supériorité humaine et intellectuelle et pouvoir l'afficher au vu et au su de chacun, ce «chacun » devenant par son approbation tacite le garant de cet état de fait. L'histoire est vieille comme le monde, ou pas loin. C'est le concept du bouc émissaire, ou de la victime expiatoire (concept religieusement connoté donc, ce qui est bien le comble ici). Ou, plus prosaïquement : celui de la « Juste Cause ». Car on le sait, fédérer les gens par la raison, c'est un doux rêve dont Martin Luther King (mais pas que) aura fait les frais en son temps. Alors qu'un ennemi commun (qu'il soit individu ou groupe), que l'on aura au préalablement choisi diabolisable (et diabolisé en proportion), c'est l'assurance de voir les honnêtes gens brandir comme un seul homme leurs fourches et leurs torches enflammées, pour prendre d'assaut le château du vieux Frankenstein avec le coeur au ventre et la fleur au fusil. Parce que bon, un monstre, c'est un monstre, ça donne l'immunité, ça transforme la moindre bassesse en un acte vertueux. Tant pis si on se comporte comme un monstre soi-même : à partir du moment où l'autre est identifié comme « mauvais », tout le mal (physique ou symbolique) que l'on pourra lui faire sera considéré comme « bon », et l'on en dormira que mieux.
Or quelle cible plus facile (et donc plus fédératrice), au XXIème siècle, que la religion et son cortège de casserolles en fonte ? A une époque où les gens ne savent rien, si ce n'est que d'autres savent pour eux et qu'ils peuvent expliquer ce qui les dépasse à leur place (la figure du « scientifique » éclairé se substituant ainsi à celle de l'homme d'église, sans être plus rationnelle pour autant), où le nombre d'athées est en augmentation croissante, où il est facile de pointer du doigt les travers présents, passés et à venir de la chose religieuse, quitte à en donner à dessein une image faussée (et la réduire à l’extrémisme de quelques cas isolés, histoire d'effrayer le chaland – des méthodes qui ont fait leurs preuves dans des cadres politiques douteux), en la choisissant comme tête de turc, on vainc sans péril et on triomphe sans gloire. C'est vrai, quoi ! La religion se fonde sur des croyances infantiles ! Elle a servi d'excuse pour tuer des gens ! Elle vit dans le luxe et invite au dénuement ! C'est limite si elle ne distribue pas elle-même les torches pour qu'on lui foute le feu. Partant de là, pourquoi le médiocre se ferait-il prier ? Au contraire, fort de son sentiment de bon droit, il va pouvoir donner libre cours à toute sa morgue, sa bassesse, sa stupidité satisfaite d'elle-même (qu'il appellera sa « clairvoyance »), tout en se convaincant l'un l'autre de sa légitimité et de sa pertinence (son impertinence ?).
Ainsi répond-on à l'intolérance par plus d'intolérance encore, tout en ayant l'audace grossière de se prétendre ouvert d'esprit. Ainsi pointe-t-on du doigt les excès, sans nuance ni discernement. Ainsi sanctionne-t-on l'irrespect, le mépris de la différence, de ceux qui ne pensent pas comme des anciens textes le commandent, par la moquerie, l'injure, la rage. En somme, ainsi donne-t-on objectivement à voir toutes les vilenies dont on accuse l'idée fantasmée qu'on se fait de la religion. Sans sourciller. En osant se clamer « représentant de la raison ». Il faut croire que toute époque à l'élite intellectuelle qu'elle mérite, et que la nôtre sera celle des Anges de la Téléréalité ou ne sera pas.
Inutile, d'ailleurs, de se connecter pour tenter d'ouvrir un quelconque débat, ou de relever quelques-unes de ces incohérences. L'union fait la force aussi sûrement que l'oignon fait la soupe, et c'est précisément pour cette raison que la bêtise aime tant la compagnie. Celui qui s'y essayerait se heurterait vite au mur que raillent ceux qui raillent les Témoins de Jéhovah et leurs visites (trop) matinales.
Dans le meilleur des cas (j'insiste sur le « meilleur »), vous tomberez sur un étudiant en bio ou en physique qui a niaisement intégré (ingurgité serait plus juste) les grandes théories en vigueur dans son futur champ d'exercice (prouvant par-là qu'une réorientation prématurée s'impose), et qui ne fera que les remâcher en boucle, évolution en tête (son Ancien Testament à lui), sans jamais faire preuve ne serait-ce que d'une once de recul ou de réflexion. Il vous assènera religieusement (ça n'a rien d'un hasard) vos quatre vérités et si, en face, vous ne vous laissez pas aplatir par le rouleau-compresseur de son laïus, il vous le répétera en boucle jusqu'à ce que lassitude ou conversion s'ensuive (là encore, le mot n'est pas choisi sans raison). Oh, pas parce que le discours n'est pas flexible en lui-même, détrompez-vous (un véritable profil scientifique pourrait débattre avec vous pendant des heures), mais parce qu'hors du par-coeur bête et (très) méchant, ça fait « syntax error » dans la tête de ces personnes-là. Sorties de leurs pistes balisées, point de salut : elles ont leurs texte sacrés et elles ne s'en écarteront pas d'une ligne. Elles ne peuvent pas, elles ne veulent pas et de toute façon, si vous n'êtes pas d'accord avec elles « vous êtes un créationniste » (comprendre : un mécréant). Elles ont plusieurs centaines de leurs semblables pour leur donner raison. L'union fait la force, écrivais-je. Et tant pis si la quantité n'a jamais fait la qualité.
De là à prétendre que l'athéisme est une foi comme une autre, il n'y a qu'un pas, que nous franchirons aisément, et tant pis pour les dents qui grincent. Il a beau, en effet, substituer la raison à la foi (ou du moins est-ce là ce qu'il prétend), il se fonde souvent sur les principes contre lesquels il prétend prendre les armes, et se montre guère plus méritoire, ou guère moins bercé d'illusions.
Ainsi, comme le croyant, ce genre d'athée de forum est persuadé de connaître la Vérité avec un V majuscule (ou, en tout cas, d'être dans tout l'univers la créature vivante qui en est la plus proche – ce qui est déjà grotesque en soi).
Comme le croyant, il raisonne au sein d'un système logique fermé qu'il tient abusivement pour « la réalité », mais qui n'est qu'une construction conceptuelle arbitraire parmi d'autres (non, ce que nous considérons traditionnellement comme « la logique » n'a rien d'un absolu universel).
Comme le croyant, sitôt malmené, il se réfugie derrière des citations abstruses et arbitraires, de grandes figures d'autorité intouchables censées appuyer son point de vue (elles ont beau n'être qu'humaines, ils n'hésitent pas une seconde à les sacraliser).
Comme le croyant, il établit son choix non pas en fonction d'un savoir, mais d'un ressenti, d'une conviction irrationnelle : la foi dans le fait qu'il n'existe pas de Dieu, ni rien d'assimilé (car l'athée ne peut avoir de preuve scientifique de l'inexistence d'une telle entité, il est donc contraint de se fier à une probabilité, dont il se fait une certitude).
Comme le croyant, il justifiera sa position via de grands principes génériques qu'il posera comme des vérités absolues alors qu'ils ne seront que le produit d'autres êtres humains, tout aussi faillibles qu'ils le sont eux-mêmes.
Et s'il rira de son prochain en le regardant s'écharper pour déterminer qui est le vrai Dieu ou le plus grand Prophète, il ne sera pas le dernier à se tirer la bourre pour élire le meilleur interprète de Doctor Who (authentique).
Car l'athée n'est pas plus « intellectuellement libre » que le croyant, ainsi qu'il l'imagine. Comme nous avons pu le suggérer à plusieurs reprises, en cours d'article, il n'a pas tué Dieu. Il lui a juste donné un autre nom. Il l'a juste rendu plus accessible, plus crédible, plus conforme à ses aspirations. Il est toujours prêt à tuer au nom d'entités imaginaires : l'argent, la gloire, le pouvoir. Il ne se lasse pas de chercher à imposer son point de vue au sujet de grands principes qui n'existent pas : l'art, l'amour, la justice… Il a juste remplacé les concepts génériques d'hier par d'autres, plus tangibles et plus élaborés, mais pas plus réels pour autant. Comme l'écrivait judicieusement Philip K. Dick, qui en connaissait un rayon à ce sujet : la réalité, c'est ce qui reste lorsqu'on cesse d'y croire. Cessez de croire au caillou, il restera caillou. Cessez de croire à l'art, il ne restera qu'un produit manufacturé dépourvu de sens. Tout se joue là, mais c'est un autre débat. Toujours est-il qu'en rendant les croyants responsables de tous les maux, ces pages de propagande oublient un peu vite (et délibérément) que si c'était vraiment le cas, compte tenu de leur nombre de plus en plus réduit, le monde ne serait pas dans un si triste état, d'un point de vue écologique autant qu'humain. A croire que ce sont les croyants, et les croyants uniquement, qui jettent leurs emballages Mac Do par les fenêtres de leurs bagnoles, qui ne mettent pas leurs clignotants, qui doublent les vieux dans les files d'attentes, qui engueulent les caissières parce que ça ne va pas assez vite, qui refusent de trier leurs ordures, qui se tapent dessus à la sortie des matchs de foot, qui battent leurs femmes, qui abandonnent leurs gosses, j'en passe et des plus sordides. Comme si l'incivilité ne touchait qu'une catégorie bien particulière de la population (l' « autre »)...
On en revient sans surprise à la fonction première du bouc émissaire : celle d'opérer un déplacement symboliques, de rassurer l'individu sur sa valeur, en l'amenant à considérer qu'il y a pire ailleurs (quitte à imaginer ce pire) età user des fautes d'autrui comme paravent pour ne pas avoir à considérer les siennes. En bref, une autre histoire vieille comme le monde : balayer devant la porte des autres, pour ne pas avoir à le faire devant la nôtre. Utiliser l'autre comme excuse. Se donner l'impression qu'on est quelqu'un de bien, puisqu'on combat « des gens de mal ». CQFD. Et tant pis, là encore, si les notions de bien et de mal nous renvoient tout droit à la catéchèse...
Au-delà, ici, une fois de plus, le but du jeu est à l'opposé des causes qu'on prétend servir : il s'agit juste de convaincre l'autre, de SE convaincre qu'on vaut mieux que notre prochain, qu'on est supérieur à celui qui ne nous ressemble pas, celui en lequel nous ne nous reconnaissons pas, tant pis si cela implique de faire ouvertement ce qu'on lui reproche. Tant pis si au lieu d'entretenir la flamme de la raison, on entretient celle de la haine. Tant pis si à trop vouloir le salir, c'est soi que l'on souille.
Il le mérite, lui.
On en a le droit, nous.
Parce qu'on est dans le camp des Justes.
Parce qu'il est dans le camp des Fous.
Parce qu'il faut lui imposer notre Vérité, coûte que coûte.
Pour son Bien.
Ça vous rappelle quelque chose ?
*
Tout cela, ce génie de Pratchett l'a écrit mieux que moi :
- JE N'AI PAS UN SOU D'IMAGINATION. CE SONT LES HOMMES QUI VIVENT DANS LE BONIMENT.
- D'accord. Je ne suis pas demeurée. Tu dis que les hommes ont besoin… d'imaginaire pour rendre la vie supportable.
- AH BON ? COMME UN GENRE DE PILULE ROSE ? NON. LES HOMMES ONT BESOIN D'IMAGINAIRE POUR ÊTRE HUMAINS. À LA CONJONCTION DE L'ANGE DÉCHU ET DU SINGE DEBOUT.
- Le Père Porcher ? Les fées des dents ? Les petites…
- OUI. UNE MISE EN TRAIN. IL FAUT COMMENCER PAR APPRENDRE À CROIRE AUX PETITS MENSONGES.
- Et alors on peut croire aux gros ?
- OUI. LA JUSTICE. LA PITIÉ. LE DEVOIR. CES CHOSES-LÀ.
- Ça n'a rien à voir !
- TU CROIS ? ALORS PRENDS L'UNIVERS, RÉDUIS-LE EN POUDRE TRÈS FINE, PASSE CETTE POUDRE AU TAMIS LE PLUS SERRÉ ET ENSUITE MONTRE-MOI UN SEUL ATOME DE JUSTICE, UNE SEULE MOLÉCULE DE PITIÉ. ET POURTANT… la Mort agita la main ET POURTANT LES HOMMES AGISSENT COMME S'IL EXISTAIT UN ORDRE IDÉAL DANS LE MONDE, COMME S'IL Y AVAIT DANS L'UNIVERS UN… UN ÉTALON DU BIEN À L'AUNE DUQUEL ON POURRAIT LE JUGER.
- Oui, mais ils sont obligés de croire ça, sinon à quoi bon…
- C'EST BIEN CE QUE JE DIS.
Terry Pratchett - Le Père Porcher