Ceci n'est pas un article blog. Non. En aucun cas. D'aucuns prétexteront que c'est bien un article, et que c'est posté sur un blog, donc que c'est un article blog, mais qu'à cela ne tienne ! Heureusement, nous ne sommes pas conformistes, nous savons que la logique Aristotélicienne ne s'applique pas à cette section du cyberspace. Ce qui suit n'est pas drôle (ou en tout cas, ça n'essaie pas de l'être), c'est bien la preuve que vous êtes à présent sujet à des web-hallucinations, et non sur le blog du Gamer aux Mains Carrées (qui, nous vous le rappelons à toutes fins utiles, n'est plus sur Gameblog). Vous avez pris quelle pilule, tout à l'heure, quand le grand chauve en cuir vous en a proposé ? Oui, en fait non, je préfère ne pas savoir. Du tout. On a tous droit à notre jardin secret. Toujours est-il qu'avec tout ce récent blabla sur la violence-dans-le-jeu-vidéo-que-c'est-même-pas-vrai-d'abord, il fallait que ça arrive : j'ai fini par craquer et par éprouver le besoin de poser les points sur les i (ne serait-ce que parce que c'est plus utiles que d'en poser sur les a, par exemple). Une chance : je me tiens à la plume, vite fait mal fait, je n'ai pas sorti la hache à deux mains. Faut dire, depuis que je joue moins aux jeux vidéos, je suis aussi moins violent. CQFD.

Bref, trêve de bénédicités, je sers la soupe :

 

Alors c'est ça ? On en est encore là ? Un reportage qu'il me semble avoir déjà vu il y a dix-huit années de ça (c'est dire si les choses changent), une étude bidonnée, des levées de bouclier à n'en plus finir... Rien de très neuf sous le soleil, en somme. Ce sera rebelote l'année prochaine et/ou les années qui suivront. Mais c'est bien, ça occupe et ça fait parler.

Oui, effectivement, rendre le jeu vidéo responsable de tous les maux, c'est de la diabolisation, et ça a de quoi agacer.
Mais ce n'est pas une raison pour tomber dans l'excès inverse et pour le sanctifier non plus.
Les deux tendances sont aussi ridicules l'un que l'autre, puisque symboliquement équivalentes (en leur qualité d'extrêmes opposés).

Poser que le jeu vidéo rend violent, c'est aussi critiquable que de prétendre qu'il ne l'est pas, violent, ou que sa violence est sans aucune incidence sur le comportement humain.

Quant à protester « oui-mais-la-télé-aussi-dans-ce-cas », ce n'est ni plus inspiré, ni plus pertinent. Oui, la télé aussi. Oui, le cinéma aussi. Oui, la BD aussi. Oui, les bouquins aussi. Et alors ? Est-ce une excuse ? Est-ce que ça justifie quoi que ce soit ? Le jeu vidéo, aujourd'hui, s'inscrit dans un ensemble plus vaste et c'est cet ensemble, qu'il faut pointer du doigt, bien entendu, au lieu de se focaliser sur une de ses parties - ou de se servir de ce constat pour en légitimer les travers.

C'est bien beau, de pousser des grands cris indignés et de lapider virtuellement les auteurs d'une obscure « étude » en laboratoire, mais la situation actuelle, en notre qualité de joueurs, nous en sommes responsables. Occupons-nous déjà de la poutre dans notre œil avant de conspuer la paille dans celui de notre voisin.

Quand la violence dans le jeu vidéo ne sera plus un argument de vente qui séduira les acheteurs par paquets de mille, peut-être que le média aura meilleure presse et qu'il y aura moins de reportages à la noix. Mais là, c'est le média lui-même qui tend le bâton pour se faire battre. On ne peut pas, d'un côté, acheter des jeux « parce qu'il y a du sang et/ou des boobs dedans » (même si on se cache derrière des excuses de type « nan mais attends, c'est qu'un détail. Le jeu il est extra, hein. On achèterait aussi même si y'avait pas de fan-service dedans. Dead or Alive Beach Volley, on y joue avant tout pour le côté technique de la simulation de Beach Volley, hein... hum... hum... quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit ») et attendre qu'en face, on nous traite comme des amateurs d'art éclairés en costard-cravate. Tant que la violence est vendue comme un produit de divertissement comme un autre, les choses ne changeront pas. Or il faut se rendre à l'évidence : on s'éclate à faire des headshots et ça rapporte des points. C'est l'équivalent FPS de la carapace rouge à Mario Kart. Pourtant, symboliquement, c'est tout sauf la même chose.

La base-même d'au moins 3/5ème des jeux, ça a toujours été de dézinguer des adversaires. Or quand ceux-ci se réduisaient à une bouillie de pixels informes, ça ne posait pas de problème réel (et pourtant, des études de ce genre, on n'y avait déjà droit), mais aujourd'hui, la tendance est à gommer, au moins dans l'aspect, les différences entre réel et virtuel, ce qui peut créer un brouillage, une confusion. Ce qui rend cette violence de plus en plus... Violente, avec une majuscule.

Et même si celle-ci n'est que rarement mise en avant de manière explicite dans les publicités, il ne faut pas oublier que la plus efficace d'entre elles, c'est le bouche-à-oreille, et que dans ce domaine, ces éléments remplissent parfaitement leur fonction d'hameçonnage (il paraît peu probable que les concepteurs ne « le fassent pas exprès »). Rares sont les jeux qui assument et axent ouvertement leur campagne de communication sur cet aspect de leur contenu, mais il n'empêche que l'aspect en question fait partie du produit vendu, qu'on l'y a inclus à dessein et qu'il n'est pas là par hasard. Cas de figure numéro 1 : quand le gameplay ou l'aspect ludique n'en dépendent pas, on tient la preuve que leur présence ingame est clairement à vocation commerciale. Cas de figure numéro 2 : quand le gameplay ou l'aspect ludique en dépendent, à l'inverse, c'est que... le jeu est violent par essence. Forcément. Sans compter qu'on sait qu'un PG18, ce sont des ventes assurées (chez les moins de 18, notamment), et que les éditeurs s'obligent à la surenchère en repoussant sans cesse les limites en la matière, par nécessité. Celui qui ne s'y met pas est sûr de se faire bouffer par la concurrence, c'est un cercle vicieux. Or un excellent jeu, ce n'est pas de la tripaille qui le rendra meilleur. Et un mauvais jeu, ce n'est pas elle qui le sauvera non plus. Par contre, elle fera vendre. Partant de là, on ne peut pas reprocher aux néophytes de faire des raccourcis douteux ou de se méfier du média.

Il faudrait d'ailleurs consulter le top 10 annuel des meilleures ventes depuis l'an 2000. Il y a gros à parier qu'on y trouverait 90 % de produits dont le gameplay repose sur une forme de violence. On aura beau dire que le jeu vidéo, c'est aussi des oeuvres comme Flower, ou Journey, force est de constater que ces oeuvres restent proportionnellement minoritaires. Et il ne faut pas oublier que les créateurs du Journey en question ont été obligé de brider leurs commandes de jeu parce que, dans les sessions tests, les joueurs s'amusaient à balancer leur compagnon de route dans les fossés.

Tant pis pour le cliché, le très controversé Shadow of the Colossus représente, à mes yeux, une vraie réussite dans le genre : les combats y sont épiques, littéralement, et pourtant, jamais on ne prend de réel plaisir à poignarder du colosse. Au contraire, même : souvent, on éprouve un malaise en s'y résignant. Un beau tour de force, qui rétablit un rapport sain à la violence dont il est question ici.

Finalement, on peut voir dans cette problématique la raison de la mort du survival horror pur jus, car si la violence y est prédominante, elle s'y montre plus psychologique que "physique", et surtout beaucoup moins "jubilatoire" (comprendre : beaucoup moins "fun" et/ou orientée "entertainement"). Le genre ne pouvait pas survivre à la gen précédente, parce qu'il n'était plus en adéquation avec les attendus de l'époque : le nombre d'ennemis au kilomètre carré est l'un des plus faibles toutes catégories de jeux confondus, et surtout le joueur subit la violence plus qu'il ne l'inflige. C'est là que le bas blesse, et c'est aussi là qu'on touche au fond du problème. Dans le survival horror à l'ancienne, le joueur est plus une proie qu'un prédateur. Résultat : il ressort d'une partie avec les nerfs en pelote. Au lieu de chercher l'affrontement et d'y prendre du plaisir, il souffle de soulagement à chaque couloir ou pièce dépourvus d'adversaires. Les combats, il cherche à les éviter autant que faire se peut. Et quand il ne peut pas, il n'éprouve pas d'extase guerrière à se jeter dans la bataille. Après une partie de Silent Hill, on ne se sent pas comme après un coop' à Call of Duty. A moins qu'on n'ait quelques sérieux problèmes psychologiques, on n'éteint pas la console en se disant "waaa, comme c'était trop l'éclate !". On a vécu une expérience intense, émotionnellement chargée, riche en stress et en coups de flippe, mais on ne peut pas dire qu'on s'est "bien amusé". Parce que la violence d'un survival est moralement éprouvante, qu'elle n'y est pas utilisée de manière putassière, comme un détail, du fan service ou un élément du décor. Le survival n'avait donc plus se place dans le paysage ludique actuel.

En effet, ce que propose le Jeu Vidéo au joueur, aujourd'hui, c'est quasi-systématiquement un rôle de prédateur : on y incarne un surhomme ou une surfemme surarmés jusqu'aux surdents, qui ne sont mis en danger que par le nombre de leurs ennemis, ou quelques boss un peu coriaces. Ce nombre mis à part, ils dominent largement leurs adversaires, tant en termes de capacités physiques que de facultés surnaturelles. Forcément, c'est grisant. Forcément, c'est malsain. Car serait-il véritablement caricatural de penser qu'il puisse y avoir, à moyen terme - et au moins pour certaines personnes « fragilisées » -, une accoutumance à ce sentiment de toute-puissance et au plaisir éprouvé du fait de cette position de "prédateur" ? Après tout, ça parle à ce que nous avons au fond des tripes depuis l'aube des temps (et pareil pour les boobs, du reste)...

Là encore, il me semble légitime de se demander si le joueur ne devrait pas condamner/boycotter ces pratiques, plutôt que de se laisser si complaisamment mener par le bout du nez par des éditeurs décidés à exploiter leurs bas instincts jusqu'au dernier euro, et de leur chercher des excuses.

Depuis quand avons-nous perdu tout amour-propre, au point de se plaire à jouer les marionnettes ?

Quoi qu'il en soit, la violence des médias ne poserait pas un tel problème, aujourd'hui, si le public était "éduqué" en la matière. En d'autres termes : s'il en mesurait la portée, la nature, la finalité, les implications, et s'il était capable de se positionner moralement par rapport à elle. Mais aujourd'hui, cette éducation n'est plus (ou trop peu) dispensée, car les parents n'en ont plus les capacités/la volonté, ou n'en mesurent pas l'importance.

Aussi les responsables de la situation sont-ils multiples, et les joueurs font-ils à la fois partie du problème et de la solution.

Une chose est sûre : ce n'est pas en niant l'existence d'abus et de dérives certaines qu'on permettra au média que nous aimons de gagner ses lettres de noblesse.

L'amour est certes aveugle, mais la réflexion peut lui rendre la vue, quand on ne se contente pas de gratter la surface.

Et si on commençait maintenant ?

 

*

 

Je profite de ce non-passage éclair ici pour remercier très chaleureusement des bloggers au coeur gros comme ça, pour leurs surprises-surprises totalement désintéressées et on ne peut plus surprenifiantes.

- L'inénarrable Dranzer1984, pour son magnifique poster Final Fantasy XII.

- Le duo cosmique Minmay/SnkForever, pour la bande originale de Final Fantasy X-2.

Je ne sais pas si les gamers sont plus violents que la moyenne, mais en tout cas, ceux-ci sont plus généreux, et leur paquets ont illuminé ma boîte aux lettres... et mes yeux de bambi !

Merci à vous, vous êtes gé-niaux ! <3