Seconde partie de l'interview fleuve de Cyrille Fontaine. Vous pouvez trouver la première ici.

 

 

 

Passons aux jeux. Tu as cité l'excellent Fury of the Furries. Peux-tu nous expliquer son gameplay ? Quel fût ton rôle dans le développement ?

Fury of the Furries est mon premier titre commercial, édité par Mindscape. Grâce à sa version Mac et surtout à un piratage effréné sur PC, il a connu un certain succès. Nous avions assemblé au sein de Kalisto une petite équipe avec Sebastien Wloch à la programmation (qui maintenant dirige Asobo Studio), François Rimasson (qui maintenant travaille sur de prestigieux films de synthèse) et Lionel Gischler (grand Pixel Artist) aux dessins, puis moi au game/level design. Nous faisions le jeu au jour le jour, sans trop de plan, difficile de dire qui faisait quoi exactement car il y avait beaucoup d'échanges et de défis. En gros le game design consistait à mettre ce qu'on aimerait avoir dans un jeu de plateforme. Des niveaux qui défilent à 60 images/sec ? Ok, une corde qui s'attache partout comme Spiderman ? Chiche! Moi je montais les niveaux, animais les décors, programmais le déplacement des ennemis, et surtout essayais de donner une cohérence à l'ensemble. Nous étions plutôt fiers du résultat.

Le gameplay est celui d'un jeu de plateforme: accéder à la sortie sans se faire tuer. Le personnage principal est une boule de poil, ronde qui peut sauter et rouler. Le truc en plus c'est que l'on pouvait changer de personnage à tout moment et obtenir une capacité supplémentaire: creuser, tirer, nager, se suspendre à une corde (avec une vraie physique) tirer ou pousser des objets... Il fallait combiner ça avec le décor bien sur. Le jeu paraissait simple, mais comprenait un nombre incroyable de niveaux secrets, 3 fois plus que de niveaux normaux.

  

 

Ces boules de poil me rappellent Skweek de Loriciel, un lien de parenté ?

Oui, bien vu! En fait Kalisto avait fait un jeu sur mac avant ça: un puzzle game pour lequel j'avais fait quelques graphismes qui changea plusieurs fois de nom et de look (quand ça veut pas...). Le jeu garda sa forme définitive sous le titre de Brainies et les Graphismes d'Olivier Bailly-Maitre. Il fallait déplacer des boules de poils acariâtres sur un carrelage pour les amener à dormir. Maintenant il fallait trouver un éditeur intéréssé. Si je me souviens bien de l'histoire, Loriciel y a vu l'opportunité de faire une suite à son hit Skweek (poils & carrelage, c'était ça ou des vannes sur les portugais) et le jeu s'appela "Tiny Skweeks". Une version SNES du jeu fut ensuite publiée par Titus, avec plus ou moins l'autorisation, et pour des raisons de copyright, le jeu s'appela "The Tinies".

Quand nous avons commencé à travailler sur Fury of the Furries, le jeu s'appelait "le jeu de la boule", car le personnage était juste une boule de métal. Conscients du côté trop avant-gardiste  du personnage comme du titre, nous avons décidé de réutiliser ces Brainies/Skweeks/Tinies à notre compte. Dans le jeu les héros s'appellent bien des Tinies

 

On voit bien le genre de délire qui animaient l'équipe : une parodie du fameux "Winners don't use drugs", courant au début des années 90 dans les jeux d'arcade, un vers de Dune et le choix de la langue Fremen (Dune).

 

Il y a beaucoup de clins d'œil dans Fury : Star Wars, Dune, Indiana Jones. Tu as des anecdotes à ce sujet ?

Comme tu l'as compris, nous puisions notre inspiration dans nos délires et notre quotidien. J'ai mis dans le jeu des clins d'oeil à tellement de trucs que je ne saurais plus les lister maintenant. Il y a un Batman, un Sonic, des Tortues Ninjas... Tout cela a été rendu possible par notre inconscience totale et notre ignorance crasse de tout ce qui concerne les droits d'auteurs. Ce n'était pas du militantisme contre la propriété intellectuelle, c'est juste que nous voulions mettre dans ce jeu tout ce qui nous plaisait. Nous aurions eu un responsable juridique dans la boite à l'époque, il se serait surement défenestré.

Notez que Fury of the Furries ne fût édité qu'en Europe sous ce nom pour Pc. La version US se nomme Pac in Time, c'est la version MS-Dos de Fury relookée  façon Pac-Man. A ne pas confondre avec la version SNES décrite au paragraphe suivant.

 

Pac-in-Time, la version US de Fury of the Furries

Et Pac in Time publié par Namco, c'est la classe non ?

Oui, on se l'est bien pété à l'époque. En fait Namco avait vu Fury of the furries et ont voulu un jeu du même type pour leur license Pac Man. Nous avons repris les mêmes principes de personnage qui change de capacité et nous avons refait tout le reste. Nous voulions refaire cette corde qui nous permettait de nous suspendre partout, mais sur console ce n'est pas facile. Pour rappel, une SNES ne peut pas afficher un simple point (pixel), et encore moins un trait. Elle ne manipule que des sprites et des blocs, ce qui était tout à fait standard pour une console ou même une machine d'arcade de l'époque. Mais bon, Alain Guyet est un programmeur de génie qui venait de la Lynx et grâce à lui, vous pouvez faire librement le Tarzan dans les niveaux.

 


 Pac-in-Time version SNes

J'ai toujours été un fan de PacMan, enfin surtout du jeu d'arcade, moins de la chanson de William Leymergie. Mais c'est ce jeu qui m'a valu de me faire brocarder "Cyrille le copain de PacMan" pendant des années, et encore aujourd'hui cela émerge de temps en temps dans les vannes de futurs ex-amis.

 

Pac-in-Time version SNes

Une anecdote, je sais que tu adores les anecdotes: bosser sur une console Nintendo était très contraint. Par exemple nous devions tout mettre en œuvre pour qu'il soit impossible pour le joueur d'inscrire la moindre insanité dans le jeu. On nous a donc forcé, pour la saisie de code, de supprimer les voyelles (sauf le Y que les japonais ne semblent pas considérer comme une voyelle). Et c'est là que l'on s'aperçoit que l'on peut écrire pas mal de cochonneries avec juste des consonnes. Je vous en donne un: le cheat pour choisir son niveau est LVDYK, que l'on peut phonétiquement  traduire pas "J'aime la bi(biiiiiiip)te"

Bon allez, une autre : sur le livret du jeu de la version Jap, nous avons nommés les créatures que nous avions ajouté à l'univers de pacMan de façon à ce que cela fasse des jeux de mots d'une nullité affligeante. Je me souviens de l'espèce de serpent du premier niveau qui s'appelait Le Ténia Zafter
Parlons un peu de Warriors, un jeu de baston français, c'est pas trés courant, non ? Pourquoi un jeu de ce genre ?
Nous passions nos journées à nous poutrer à Street Fighter II, il nous a paru totalement naturel de faire un jeu de baffes. A aucun moment nous avons pensé "nous sommes français, ça ne va pas le faire" :)

La technique d'animation était un peu particulière si je me souviens bien.

L'histoire de cette techno est très caractéristique de l'esprit de l'époque. J'étais à une de ces conventions de demo makers où j'ai rencontré David Gallardo (qui fondera Wizarbox après avoir fait la version N64 de Nightmare Creatures). Il faisait une demo sur Falcon à base de formes rendues en 3D par des points de couleurs. On appelait ça le VectorDot. Il faut savoir qu'à l'époque aucune machine n'avait la puissance suffisante pour faire une 3D correcte. S'en est suivi une discussion ou nous évoquions la possibilité de faire des personnages en 3D avec cette techno.
A l'origine Sebastien Wloch a développé un moteur d'animations de personnages articulé en vectorDots: la 3D bio-Motion et j'avais designé un jeu où un personnage féminin devait se déplacer dans un décor en grimpant partout. Le producer n'en a pas voulu "jamais un joueur voudra contrôler une femme!". C'était un grand visionnaire. Donc nous avons bifurqué sur un jeu de combat.

Finalement j'ai peu travaillé sur Warriors. Je n'y ai fait que des animations bitmap, dans l'interface et dans les décors.  J'étais assez fier de mes mouettes qui se frittaient sur 3 pixels :)

   

  


La b.o. du jeu pétait bien, il y avait même une chanson par un groupe britannique me semble-t-il.

C'était les années 90, les bureaux vibraient aux sons de Rage against the machine, Senser, Faith no more. On ne faisait pas dans la musique de miquettes. Alors pour un jeu de combat, on n'allait pas enrôler Didier Barbelivien. Je n'ai qu'un vague souvenir de la BO de Warriors et je crois que la musique a été faire par un artiste du nom de Didier Léglise. Je m'en souviens parce qu'il étais rare que ce ne soit pas Frédéric "El Mobo" Motte qui s'occupe de la musique. Pour la démo que nous présentions aux éditeurs nous avions mis la musique "Age of Panic" de Senser, un groupe britannique effectivement.

 

Al Unser Jr Arcade Racing est surtout connu comme le premier jeu Windows 95. Peux-tu nous apporter des détails sur ce jeu, son développement ? Qu'en a pensé Bill Gates ?

Ce qu'en a pensé Billou? Comment savoir... mais à mon avis il a du se dire "ouf, j'ai finalement un jeu à la sortie de mon machin". En fait Microsoft a contacté assez tard les développeurs et personne n'avait d'expérience sur ce type de plateforme. Win95 etait un nouvel OS, win3 n'etait qu'une interface graphique du MSDOS. C'est notre particularité qui nous a donné un avantage. Kalisto avait à la base vocation de faire entre autre des jeux sur Mac. Et le mac n'était vraiment pas une machine de jeu. Mais avec le temps et l'expérience, nous commencions à faire des trucs pas trop mal. Un an auparavant, nous nous étions lancé avec un indépendant dans la réalisation qu'un jeu de course automobile qui s'inspirait pas mal de Vroom (Lankhor). Son titre "de travail" était "Rabbi-route" d'après nom du programmeur Gabriel Rabbi qui travaillait sur le projet. Toujours cette recherche de l'excellence dans le calembour. Finalement quand Monsieur Gates s'est dit que pour vendre son OS il lui fallait des jeux, il avait besoin d'un jeu actuel capable de tourner dans une fenêtre. Nous avons donc converti notre jeu sur PC en quelques mois. Je rappelle que DirectX ou même direct 3D ne viendraient que bien plus tard. Du coup le seul jeu estampillé Win95 sur les étagères le jour de la sortie était un jeu Mac à la base. On en a vendu des pleines brouettes, malheureusement nous ne touchions que quelques centimes par exemplaire. Dur en affaires le Bill.

 

Alors là, mega scoop de la mort : Fury of the Furries 3D, un projet classé sans suite. Que peux-tu nous dire sur ce jeu ?

Fury of the furries 3D est un projet qui a à peine eu le temps d'exister. Nous avions à peine une FP (première version jouable sur un niveau, avant une Alpha) lorsque Kalisto fut liquidé le 10 avril 2002. C'est la principale raison de l'arrêt du projet. C'était un jeu sur PS2 qui cherchait à faire dans l'humour via un maximum de références à des jeux existant. Nous tâtonnions pour faire quelque chose de rare dans cette industrie : des références humoristiques à elle-même. Ron Gilbert a fait ça très bien récemment dans la série des DeathSpank, mais bon, c'est un peu le maître dans ce domaine. L'idée était de faire en parallèle une caricature des personnages (une Lara Croft obèse par exemple) mais aussi pas des évocations des gameplays d'origine dans ce qu'ils pouvaient avoir de foireux parfois. Bref : ce n'était pas gagné.

 Fury of the Furries 3D

 
Par ici pour la 3ème partie consacrée à Nightmare Creatures, enjouaillez !