Salut Gameblog, c’est moi. Ça fait un bail que nous n’avons pas pris le temps de discuter, toi et moi. Hélas, si je reviens aujourd’hui, ce n’est pas pour te demander comment tu vas, mais bien au contraire pour t’exprimer à quel point je vais mal.

Connais-tu Tales of Phantasia ? Tu as sûrement déjà entendu parler de jeux Tales of, cette série d’action-RPGs à l’esthétique chatoyante et "manga" – pour ne pas user du terme adéquat qui serait plutôt celui d’anime. Il s’agit là de sa toute première itération, à l’origine sortie sur Super Famicom mais restée cantonnée des années durant aux seules frontières nippones. Je m’en vais te causer de ce jeu, auquel je me suis repris à jouer ces dernières semaines dans l’une de ses nombreuses moutures, la meilleure, me suis-je laissé dire, celle qui a vu le jour sur la toute première station de jeu. Elle-aussi cantonnée aux frontières susnommées, mais intégralement re-traduite dans la langue de Milière (Arthur de son prénom – merci à Liehd de m’avoir bien malgré lui inspiré ce calembour) pas plus tard qu’en 2012, par de bonnes gens que nous appellerons la Phantasian Productions.


L'Enfer s'apprête à ouvrir ses portes...

Avant de me lancer plus en détails dans les raisons sordides qui m’amènent aujourd’hui à venir bouleverser ta relative quiétude, ce dans l’unique but de soulager mon égoïste frustration, il m’importe de t’expliquer le rapport que j’entretiens avec cette série depuis près de quinze ans, en évoquant les divers opus sur lesquels il m’a été donné l’occasion de m’enjouailler, que ça soit Destiny, Eternia ou encore Symphonia – ce dernier étant le premier, celui que j’ai attendu des mois durant avec cette impatience de collégien impressionnable qu’un peu d’esbroufe, balancée au détour d’une émission de jeux vidéo (la Zone de Jeu sur la chaîne Jeu Un), aura un brin excitée. C’est donc peu dire que mon cube de jeu aura longuement mâchonné la double-galette en question avant de finir par la recracher de dégoût – soit deux ans plus tard, après deux-cent ou trois-cent heures savoureuses. Une gloutonnerie qui trouvait alors sa source dans un goût croissant pour l’animation japonaise, que des papilles déjà bien accoutumées aux RPG nippons n’ont pu qu’exalter. Mais la richesse du jeu et sa valeur de re-jeu auront achevé de me transformer en une bête vorace qui, à peine repue, en reprenait aussitôt – mais cette fois, avec double dose d’XP et supplément de difficulté.

Frustré de ne pas pouvoir mettre la main sur des épisodes ultérieurs, comme Tales of the Abyss qui m’a longtemps fait de l’œil mais qui, hélas, n’est jamais sorti en Europe (sur la deuxième station de jeu, j’entends), je décidais de me conforter avec les opus antérieurs qui m’étaient, eux, plus accessibles *tousse tousse* – pardon. Ainsi je découvrais Destiny, puis Eternia, après un premier échec sur Phantasia – j’y reviendrai –, et de ces trois expériences, une impression domine au premier abord : celle de régresser. À l’inverse d’un Final Fantasy, dont les mécaniques varient profondément d’un épisode (canonique) à un autre, ici, la formule reste la même, bien qu’elle fut, et qu’elle soit encore (?) peaufinée au travers du temps et des itérations. Et c’est bien ça le problème. Parce que plus on remonte vers la source, plus on perd ce qui a été acquis ; c’est comme si on demandait à un tennisman de troquer sa raquette moderne en métal pour une vieille raquette en bois. Ça lui demandera plus d’effort, pour moins de résultats. Mais d’un autre côté, peut-être qu’il tapera moins dans la balle sans réfléchir et qu’il essaiera davantage de s’adapter, de profiter du rythme ralenti pour établir quelques menues stratégies et, en fin de compte, d’apprécier l’expérience pour ce qu’elle est. C’est cet état d’esprit qui m’a permis de voir le bout des deux épisodes susnommés, en y prenant au passage quelque plaisir – un peu plus pour Destiny que pour Eternia, sur lequel je reste mitigé, faute d’intérêt pour les personnages principaux, pour l’histoire (qui, comme pour les mécaniques de jeu, reste à peu de choses près la même d’un Tales of à un autre) ou encore pour les doublages anglais que je trouvais mauvais. Même pas pour son anime, qui est à ranger dans ce que j’ai vu de plus fade sur un écran – mais que j’ai regardé quand même, allez savoir pourquoi, en dépit de tout le mal que je viens de dire dans son dos.


Et soudain, Tales of éternua.

Mais avec Phantasia, ça a toujours coincé.

Pour retrouver trace de ma dernière partie, il faut remonter huit ou neuf ans en arrière. J’étais parti confiant et déterminé, mais me retrouvais une fois de plus écrasé sous le poids de la monotonie, incapable que je fusse de trouver quelque vecteur de plaisir auquel me raccrocher. Lassé par le jeu-de-jouer mollasson et austère qu’il m’était, à l’époque, encore difficile de ne pas ramener à celui de Symphonia, blasé par l’histoire prévisible et classique dont l’heureux dénouement ne me semblât guère menacé que par un énième archétype aléatoire de sale con nihiliste hilare – dont le nom, étrangement dans cette série, se termine souvent en -os (appelons ceci la "règle 05") –, exaspéré par la construction barbare, barbante et rébarbative de la progression scénaristique qui, je pense, s’est inscrite en référence dans le cahier des charges des épisodes suivants depuis – coucou les Esprits Élémentaux qu’on me demande systématiquement de regrouper dès qu’arrive sur la table la délicate question du "Comment c’est qu’on va sauver le monde ?" –, je décidais donc, une fois ces moult constats établis, de capituler à nouveau sous le joug de l’ennui.


Félicitations ! Votre Triopikeur vient d'évoluer en Quadropikeur !

Alors certes Gameblog, libre à toi de me convaincre que tout ça a bien changé depuis ; mes connaissances sur les épisodes récents étant pour le moins modestes, je me garderai bien de te balancer à la figure des généralités crasses et erronées aux seules fins de t’éclabousser de mon intelligence d’internaute rétro-éclairé. Mais ce dernier point est, d’entre tous ceux que j’ai pu, ou que je vais te citer, celui qui a le plus tendance à me harasser le poêle – jusqu’à en éteindre le feu qui m’animait jusque-là, et qui m’a si longtemps donné à penser que je n’étais pas prêt de le rallumer.

Mais que veux-tu, on tombe par hasard sur un type en train de jouer, on oublie tout et on se dit que, tiens, pourquoi pas ?...

C’est donc avec un entrain compulsif que je me relançais dans cette folie, bien aidé, il est vrai, par le fait que je n’aie pas touché à un Tales of depuis des siècles – cinq ans à l’échelle d’Internet.

Bref, me voilà parti et, presque aussitôt, confronté à l’une des mécaniques du jeu qui m’horripile depuis toujours, cette habitude systématique qu’a notre personnage de se replier vers l’arrière après s’être rué sur l’ennemi, et la passivité agaçante de nos compagnons qui nous regardent faire sans remuer le petit pois – celui-là même qui leur sert d’IA. J’avais pris l’habitude dans Destiny et Eternia d’adopter une formation inversée, c’est-à-dire de faire passer mon personnage en queue de peloton pour les pousser (c’est le mot) à attaquer, puisqu’ils ne devenaient véritablement actifs qu’une fois nez-à-nez avec l’ennemi. Mais je trouvais ça ridicule, au fond, et c’est pourquoi je me suis obstiné, ici, à le maintenir aux avant-postes, quitte à devoir accepter la présence de spectateurs sur le champ de bataille.


Autant que le personnage, on contrôle le bloc dont il fait partie.

En fait, ça n’est vrai que pour le tout début de jeu, lorsque notre groupe se limite à un épéiste et archer, dont les flèches timides partent, malgré tout, à une fréquence plus élevée qu’à mon souvenir – amélioration propre à cette version SdJ1 ? Une grosse moitié du jeu durant, il se constitue uniquement d’un épéiste et de trois mages, ce qui, du coup, rend caduque l’argument de la distance, même si cette omniprésence de sortilèges hache quelque peu le rythme des combats, ou donne lieu à des excès de tuerie comme, par exemple, en invoquant l’ire incandescente de l’esprit des flammes pour venir terrasser une petite guêpe qui n’en demandait pas tant – alors que si tu m’avais juste laissé le temps de lui tapoter sur le crâne avec mon épée, Klarth, le résultat aurait été le même, et t’aurais gardé tes foutus points de magie.

Mais me voilà bien chipoteur. Je devrai écouter la voix de la raison, pour une fois, et m’arrêter de chipoter.

Car oui, bien que je reste prudent, il m’est difficile de nier le plaisir que j’éprouve durant ces premières heures. Pour moi qui suis plutôt habitué aux jeux Star Ocean – cousins éloignés de la famille Tales of –, j’accueille et je savoure à nouveau la présence sur mon humble manette d’une touche permettant de parer les coups adverses, et me reprends au petit jeu des combos qui m’incite à optimiser mes stratégies d’un combat sur l’autre, ce dans le but d’obtenir un petit bonus d’expérience – ou juste un supplément de swag. Et oui, j’assume le mot "stratégies" que je viens d’employer, car bien que l’expérience revête un caractère spectaculaire de par sa surenchère d’effets visuels, ainsi que par ses mécanismes nerveux, ça n’en garde pas moins suffisamment de lenteur et de technicité pour ne pas dégénérer en un simple simulateur de piñata. Alors ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit, même si, malgré la divergence des genres, ça y ressemble par certains égards, les combats n’ont pas la profondeur technique d’un King of Fighter ou d’un Guilty Gear, loin de là, surtout que la plupart des ennemis sont assez faciles à maîtriser une fois coincés contre un mur. Mais la gestion de l’espace, du terrain, l’observation des routines adverses, les combos, les techniques, la possibilité d’alterner entre attaque et défense, tout ça n’est pas sans me rappeler la logique et les codes du jeu de combat – et ça me plait.

Tout ça c’est bien joli, pourrais-tu me dire, mais à partir de quand tu comptes la cracher ta pilule, parce que là, ça fait déjà cinq minutes que je te lis et t’as toujours pas fait preuve de mauvaise foi – en usant  d’arguments malhabiles –, ni démontré l’état inquiétant de ton mauvais foie – en déversant goulument ta bile.

Certes, j’y viens.

La vie est faite d’obstacles, et le jeu vidéo, en bon reflet qu’il en est malgré lui, et de manière parfois abstraite, n’échappe pas à cette règle. Aussi, durant cette expérience, me suis-je retrouvé dans, non pas une, mais trois situations de crise bien distinctes qui n’auront pas manqué de mettre à rude épreuve mes facultés d’endurance, de jugeote et d’abnégation.

C’est ce que je m’apprête à développer dès-à-présent, par le biais de ce que nous intitulerons...

 

1. Une récompense, vous dites ?

 

Au cas où vous ne comprendriez pas la teneur des paroles illustrées ci-dessus, laissez-moi vous servir de traducteur. Nous venons de réunir ce qu’il faut afin de mettre un terme au règne de Dhaos, dont je ne crois pas avoir besoin, à ce stade du récit, d’expliquer les desseins (cf : règle n°05), et sous l’impulsion du Royaume de Midgard, nous voici mobilisés sur le champ de bataille, les Plaines du Valhalla, dont les vastes étendues, infestées de démons, seules nous séparent des appartements du mal. On nous demande ainsi, grosso-modo, d’éliminer les ennemis qui se trouvent sur notre chemin, en nous précisant, d’une part, que nous sommes rivaux d’avec les autres escouades déployées sur le champ de bataille, et que ceux qui en feront "le plus" pour changer le cours de cette bataille se verront justement rétribués.

Chouette, me dis-je alors, ça veut dire que plus je cultiverai d’ennemis, plus la récompense sera grande et importante.

Quand on parle de cultiver, dans un jeu vidéo, généralement on parle d’une tâche ennuyeuse, répétitive, presque machinale, dont le but est d’en soutirer in fine une récompense, qu’elle soit matérielle ou non – la plupart du temps, il s’agit de points d’expérience, ou d’argent. Hé bien, figure-toi que c’est dans cette culture intensive que je m’apprêtais à m’élancer joyeusement – de mon plein gré (!) –, motivé que je fusse par l’appât du gain, certes, mais aussi parce que je me sentais d’humeur à en découdre sur fond de Motoi Sakuraba endiablé.

Musique Maesuturo !

 


Premier écran

Oh, m’étonnai-je, ça en fait des monstres pour un si petit carré de terrain. Mais bon, si ça se trouve, ce ne sont que deux ou trois groupes, et quand je vais en terrasser un, deux ou trois de ses créatures apparentes vont disparaître.

Ce n’est pas le cas. Il y a bel et bien autant de combats que d’ennemis visibles à l’écran.

Soit, personne n’a dit que ce serait facile !


Deuxième écran

Wow. J’espère ne pas avoir à vider plus de quatre ou cinq écrans de ce genre, parce qu’avoir à se coltiner six combats sur chaque terrain, ça donne pas trop l’impression d’avancer et que ça risque d’être lassant.

Ah non, tiens, sept. Ils en ont rajouté un.


Troisième écran

Haha ! Là par contre, y’en a un de moins.

Ah ben non, zut. Le sixième était planqué derrière un arbre.


Cinquième écran

Le terrain s'élargit, mais leur nombre ne diminue pas. Il augmente, même si tu ne le vois pas à cause du hors-champ.

Heureusement, je sens qu'il ne reste qu'un ou deux écrans.


Huitième écran

Tiens, la nuit est en train de tomber ! Peut-être bien que je me rapproche. De quoi, ça je l’ignore, mais le crépuscule marque la fin de quelque chose, et c’est tout ce qui m’importe à cet instant.


Dixième écran

Hum.

Bon, admettons, c’est peut-être le dernier écran, le boss final de l’emmerdement qu’il me faut outrepasser pour bien mériter ma récompense.

Courage !


Onzième écran

Il est minuit, on me demande si je souhaite me reposer. La confusion me gagne, mais une lueur d’espoir me gagne, de même qu’un horrible pressentiment.

Qu’est-ce que ça cache ?

Hum.

"Jour 1" ?...

Vous voulez dire que...

…c’est le premier jour ?

Qu’il y aurait donc…

…un second jour ?

Et puis un troisième ?

Et puis…

Non.

Non, non, non.

Je me suis montré patient avec toi, jeu vidéo.

Mais là, tu viens de franchir mon seuil de tolérance.

Alors ne va pas te sentir bienvenue dans ma zone d’intolérance.

Parce que là, j’en peux plus.

Ça fait deux heures.

Deux heures que j’affronte les mêmes péons.

Deux heures que mon moral s’effondre à chaque nouvel écran.

Deux heures que cette musique me vrille les oreilles en boucle et sans interruption.

Alors, s’il-te-plait.

Arrête.

Vraiment.

Genre là, tout de suite.

Maintenant.

Non, en fait, tu sais quoi ?

Tes monstres, là, garde-les.

Moi, j’me casse.

De toute façon, j’ai éradiqué la moitié de l’armée adverse à moi tout seul.

Si quelqu’un me conteste la victoire, je saisis les tribunaux.

En espérant qu’ils saisissent ensuite le château du Roi.

Que ce monarque de mes deux se retrouve sans un toit.

Tant pis pour Dhaos.

Je m’arrangerais moi-même avec lui.

Je suis sûr qu’il se montrera plus raisonnable que toi.

Si je lui offre un fragment de ton CD-Rom monté sur une pique en gage de bonne volonté.

On aura tout à y gagner, lui et moi.

Lui, sera certain de ne pas finir l’histoire en se faisant botter le fion.

Moi, assuré de me séparer dans des termes encore cordiaux d’avec toi.

Parce qu’il y a pire, jeu vidéo.

Bien pire, si ça continue.

Je pourrais enterrer chaque petit bout de ton corps aux quatre coins du globe.

Inventer un mythe farfelu à leur sujet.

Expliquer qu’en les regroupant, un chaton géant apparaîtra pour exaucer un souhait.

Que Dragon Ball s’en est inspiré, qu’on nous a caché la vérité.

Publier ça sur Internet avec bonne foi.

Et attendre.

Attendre de voir des gens s’insurger contre le mensonge.

Et te chercher.

Toute leur vie.

Et te reconstruire.

Comme la porte broyée à la fin de Monstres et compagnie.

Et s’apercevoir que ça n’aura servi à rien.

Que ça n’exauce aucun vœu.

Que ça n’ouvre aucune autre porte que celle de la vacuité.

Et tu sais quoi.

Je serais heureux.

Parce que c’est le genre de personne que je serais devenu.

À cause de toi.

Mais tu sais quoi ?

Je ne veux pas devenir ce genre de personne.

Alors je vais te laisser une seconde chance.

Enfin, une troisième.

Tes monstres, là, je vais juste essayer de les contourner.

Je vais tabasser leur chef, et ce sera tout.

Après ça, on entamera des discussions de paix.

Mais si tu me donnes pas ma récompense, ça va barder.

Pire qu’Assurancetourix !


Rigole pas, le sac de frappe !

Bref, pardon Gameblog pour cet aparté inopportun.

Après avoir outrepassé cet épisode d’agonie morale, donc, me voilà de retour au château pour recevoir des mains de sa majesté ma juste récompense pour avoir mis en déroute l’armée adverse – non sans espérer qu’il fasse ériger une statue à ma gloire, ou au pire, qu’il me confie gracieusement la moitié du PIB du Royaume afin de m’aider à oublier les infamies et l’horreur auxquelles j’aurais dû me confronter pour préserver l’intégrité de son royal fessier.

10 000 pièces d’or.

Alors oui, dit comme ça, tu ignores ce que cette somme représente ; laisse-moi donc te préciser qu’elle ne couvre pas même la moitié des ressources matérielles qu’il m’a fallu consommer pour traverser le champ de bataille…

Mais tu sais quoi ? Ce n’est pas si grave.

Parce qu’avec le recul, et en faisant des recherches à posteriori de cette expérience désagréable pour, tu sais bien, savoir si mon opinion était partagée, je me suis aperçu que… j’avais eu ce que je méritais, ni plus ni moins.

 
« Ah au fait, tu ne prêteras probablement pas attention à ces dialogues, mais faut que tu atteignes le boss au plus vite ; pas la peine de sombrer dans un besoin obsessionnel de tout nettoyer parce que sinon, mon coco, t'en as pour mille ans et ça va te faire péter un... oh. »

 

2. Le Loup et la Banshee

D’accord, je l’avoue. Je ne peux m’en prendre qu’à moi-même pour ces premières mésaventures, quoi que je persiste à penser que le phrasé reste ambigu, et qu’à moins d’être unijambiste, on puisse douter du pied sur lequel danser. Mais que veux-tu, j’ai beau faire mon littéraire en agrémentant mes propos de jolis mots, je n’en reste pas moins obstiné par la bêtise des sots.

En d’autres termes, je suis con.

Ça n’aurait pu être qu’un contretemps malheureux, une infortune fortuite, un quiproquo innocent dont les torts seraient partagés et dont on rirait finalement de bon cœur. Une mi-temps houleuse entre deux périodes paisibles, un embouteillage à mi-chemin de la grand-route qui conduit aux cieux, un champ de mine au milieu d’un champ de maïs. Un petit morceau de tissu entre deux fesses bien rondes*. Hélas, bien que tout allât pour le mieux, avant et après cet événement regrettable, un nouveau couac s’apprêtait à venir ternir mon expérience de jeu en son crépuscule – à l’orée du temps additionnel, pour reprendre la comparaison footballistique ci-dessus.

Projetons-nous donc, si tu le veux bien, en cet instant précis qui précède notre intervention philanthrope dans le dernier refuge de notre "némésos". Dans moult RPG, c’est souvent-là l’occasion idéale d’exercer une liberté d’exploration devenue totale, puisque les quelques portes qui gardaient encore leurs battants refermés jusque-là tournent soudain sur leurs gonds enrouillés en exhalant au dehors les fragrances enivrantes du complétionnisme débridé. Pas très enclin à m’en remettre aux bons conseils d’Internet pour mesurer l’étendue de mes possibilités nouvelles, je décide de flairer moi-même la piste de ces moult quêtes annexes en m’en remettant, pour cela, à la bonne vieille méthode du tourisme social ; j’apostrophe ainsi chaque citoyen, chaque villageois que je peux croiser en ce bas monde dans l’espoir que dans leur terne affabilité reluisent les indices tant convoités, et finis par apprendre qu’une caverne que j’avais explorée auparavant s’est subitement trouvée des profondeurs insoupçonnées qui ne demandent qu’à être explorées.

Chouette !

Par bonheur, et sans doute par le biais d’une prévenance louable, atteindre ce qui fut autrefois considéré comme le fond de cette grotte n’est que l’affaire d’un instant – ou plutôt d’un raccourci, fruit d’une conception de niveaux magnanime. Arrivé sur place, je constate qu’il y a foule ; des aventuriers chevronnés me mettent en garde d’aller plus loin, sous peine d’avoir à affronter les pires engeances qui existent sur terre – enfin, sous terre en l’occurrence. Un avertissement fondé, puisque bien vite surgissent des ombres les créatures les plus vicieuses que l’on aura pu rencontrer durant notre périple, pensées, c’est en tout cas je crois, pour mettre à mal nos habitudes et nous contraindre à agir différemment. Je prendrais pour exemple ce phénix qui survole le champ de bataille à une hauteur inhabituelle et quasiment hors d’atteinte, qu’il convient d’attaquer avec un timing calculé lorsqu’il descend en piqué nous becqueter. Ou encore cette espèce d’incube qui nous pluri-latte en invoquant une magie de groupe dévastatrice, qu’on pourrait réduire au silence par le fer mais qui a lâchement choisi d’aller se mettre à l’aise derrière trois sangliers géants, le rendant là encore difficile d’accès – si ce n’est pour la magie. Je pourrais en citer d’autres, mais je pense que tu as compris l’idée. D’une certaine façon, ça donne l’impression de descendre dans les mines de la Moria ; plus on s’enfonce dans l’abysse, plus vicelardes et perverties sont les monstruosités qu’on y croise.

D’ailleurs, comme dans les mines de la Moria, ça s’appelle les mines de la Moria.

Tu trouveras peut-être que ça en fait un donjon intéressant, et j’abonderais dans ton sens, d’autant que ces phases de combat sont alternées avec des phases d’énigmes à résoudre ou de puzzles à reconstituer, dont le jeu n’a, d’ailleurs, pas été avare jusque là. Et moi, ben, j’aime ça, les énigmes et les puzzles – tant qu’on nous laisse une chance de les comprendre.

Le truc, vois-tu, c’est qu’ici, on nous plonge dans l’obscurité quasi-totale, ce qui rend l’exploration pénible et laborieuse ; et le jeu en joue, comme un savant fou s’amuse du spectacle d’une souris aveugle attirée par l’odeur du fromage au travers d’une vitre qu’elle ne voit pas. On tâtonne, on bute contre les murs, on essaie de contourner, bref, les trajets qui autrement seraient simples à figurer prennent une dimension labyrinthique par ce seul handicap, et les rencontres aléatoires se multiplient tandis qu’on s’échine à trouver le chemin qui nous conduira au prochain trésor, puis au prochain sous-sol. À cet égard, il me faut t’expliquer que mes "Holy Bottles", objets destinés à réduire la fréquence des affrontements, et dont j’avais quinze exemplaires avant de me lancer dans cette périlleuse expédition, ont toutes implosé dès l’instant où j’ai franchi le seuil de ce "donjon dans le donjon". Comble de la cruauté, la bonne moitié des coffres ne contiennent rien que des pièces d’équipement bas de gamme, ou du matos sans intérêt, si bien qu’en les ouvrant, on croirait parfois entendre le rire grinçant d’un développeur dont la perfidie aura ici trouvé sa raison d’être.

Parce que les pires créatures resteront toujours les trolls.

Mais tout ça, au fond, ce n’est pas bien méchant, et pour peu que les événements prennent une tournure favorable, on en viendrait presque à trouver ça drôle.

Pour si peu…

Alors tu t’en doutes bien, je t’ai gardé le meilleur pour la fin. Sache, déjà, si tu l’ignores, que l’équipe qui a développé ce jeu, la Wolf Team, était en grande partie composée des futurs fondateurs de tri-Ace, lesquels se sont par la suite fait remarquer avec moult sagas iconiques comme les Star Ocean, que j’ai déjà cités plus haut, ou encore les Valkyrie Profile. Amateurs de traditions, on retrouve dans leurs productions nombre de codes, d’ennemis et de challenges similaires, et figure-toi que ToP faisait déjà office de précurseur en la matière, puisqu’en l'existence de ces mines, on retrouve l’inévitable donjon optionnel s’étirant sur une foultitude d’étages, dont la particularité la plus marquante reste, cependant, l’inexistence du moindre point de sauvegarde en son sein – pour enregistrer la partie, il faut revenir à l’entrée du donjon, soit par le biais de rares téléporteurs (j’en ai vu qu’un, près de l’entrée), soit à pied tout simplement. Parce que re-traverser le même donjon en boucle, d’un sens comme dans l’autre, dans le noir, sans pouvoir réduire la fréquence des combats, c’est amusant.

Non ?

Dans ce cas, essayons de le faire d’une traite ; je maîtrise mes adversaires sans trop suer, j’ai du temps libre devant moi, et si vraiment je vois que ça tourne mal, je peux toujours faire demi-tour.

Bref.

Je suis mort au 21e sous-sol.

Sur 22.

Comment expliquer un tel drame ? Disons juste que ces deux ennemis, que j’avais déjà rencontrés séparément avant cela, sont une plaie lorsqu’ils unissent leurs forces. La banshee passe son temps à nous vomir un laser qui couvre toute l’étendue horizontale du terrain, et ce toutes les trois secondes, ce qui nous oblige à avancer avec prudence, sous peine, non seulement de prendre des dégâts, mais aussi de subir une crise de narcolepsie spontanée – un phénomène courant lorsqu’on vient de se prendre un rayon laser dans la figure. Quant au loup, il fait des trucs de loup, sauf qu’au lieu d’hurler au ciel pour faire son intéressant, il hurle au ciel pour déchainer sur nous une tempête de neige dont le vent nous ralentit, et dont les flocons nous caillassent. Pour résumer, c’est l’enfer, on ne peut pas avancer sans se prendre un coup, et cette brusque contrariété dans un donjon qui, encore une fois, ne m’avait pas tant posé de problèmes jusque là, m’a fait paniquer ; j’ai donc essayé de fuir, ce qui prend littéralement dix secondes, en admettant qu’on ne se fasse pas toucher entre-temps, sans quoi ça rajoute du temps. Je me suis retrouvé bloqué dans un coin avec des coups qui pleuvaient de partout.

Bilan du sinistre ? Une quinzaine de niveaux perdus (par tête),  un million de pièces d’or, six ou sept pièces d’équipement rares, un des meilleurs sorts du jeu pour ma magicienne, trois heures et un après-midi de perdus – quoi que, pas totalement, puisque ça aura permis de nourrir cet article. C’est beau le recyclage, non ?

La morale de cette histoire ? Quand vous n’arrivez à rien seul, n’ayez pas honte de demander de l’aide ; alors seulement serez-vous capables de mener à bien vos projets d’éradication de la race humaine.

 

3. L’inspecteur Derris

J’ignore si tu as déjà entendu parler de "rollback", Gameblog, mais il s’agit d’un terme qu’on emploie souvent dans les MMORPG, et qui désigne une opération visant à récupérer d’anciennes sauvegardes d’un serveur de jeu pour palier à une erreur critique, un bogue ou encore une faille que des petits malins auront su exploiter pour tricher – comme par exemple, et c’est du vécu, en s’arrangeant pour bloquer une quête dans une boucle infinie de gains d’XP, ceci dans l’objectif d’atteindre le niveau maximal en une poignée d’heures au lieu de plusieurs mois.

Ce brusque retour en arrière de trois heures m’aura donc ramené à cette période (lointaine) où je voyais parfois disparaître jusqu’à deux semaines de progression en ligne. Ça fait relativiser, certes, mais mon côté romantique me fait remarquer qu’au moins, dans ce dernier cas, je garderai toujours dans mes souvenirs une sauvegarde impérissable des moments passés avec mes amis d’alors. Et que c’était pour le bien commun – ce qui n’est pas vraiment le cas de cet article, oserais-tu me dire !

Mais quand même, dans un cas comme dans l’autre, ça colorise.

Ça, pour sûr, ça m’a vraiment mis en colore.

Par bonheur, ou plutôt, par moindre malheur, le fait qu’il s’agissait là d’un donjon facultatif ne m’empêche pas d’aller boucler l’histoire sans devoir éprouver, pour cela, cet accablant sentiment de déjà-vu dont je n’aurais assurément pas supporté le poids s’il m’avait fallu retraverser cette caverne de zéro. À ce propos, d’ailleurs, un bref coup d’œil en coulisses – comprendre par là gamefaqs –, m’apprend que, pour obtenir l’invocation qui m’attendait au plus profond des mines, j’aurais d’abord du en sortir, récupérer un objet qu’on me m’aurait pas laissé récupérer avant d’en avoir touché le fond (cf : les trolls plus haut), puis les retraverser une seconde fois pour, finalement, quitter les lieux par mes propres moyens là encore – il va sans dire qu’un objet aussi pratique que la corde de sortie dans Secret of Mana ou Pokémon n’existe pas ici.

Ouf.

Bref, me voici enfin dans l’ultime donjon de l’arc scénaristique, la tanière du mal, que j’ai choisi d’appeler pour l’occasion la Fortaleza del Cassos*. Bien que mon pronostic moral ne soit plus engagé, la déroute précédente m’a rendu las et, après trente heures (plus trois) de jeux au compteur, mon seul désir est d’achever au plus vite afin de conclure cette expérience sur une note positive – ne serait-ce que pour m’épargner ce goût désagréable d’inachevé. Ce qui ne devrait pas poser tant de problèmes, dans la mesure où je me suis déjà frotté au défi suprême du jeu, et que j’en suis presque ressorti indemne – pensais-je alors.

En un sens, j’avais… raison, et tort à la fois.

Objectivement, difficile de juger une telle présomption erronée, puisque les monstres sont plus faibles, leur comportement moins vicieux, et surtout, on nous offre un point de sauvegarde en cours de route.

En revanche, considérant ce que je viens de te révéler plus haut sur mon état moral, dis-toi bien que les plus petites contrariétés peuvent prendre des proportions démesurées, notamment quand elles impliquent cette… chose.

Mais qu’est-ce donc, me demanderas-tu ?

Au début, je l’ignorais moi aussi, donc j’ai fait ce que tout être sensé ferait face un phénomène dont la compréhension lui échappe : je suis rentré dedans tête baissée. Et là, pouf ! Me voilà enfermé dans une cellule, isolé de mes compagnons, mais avec, heureusement, suffisamment de bon sens chez mon héros pour que lui vienne à l’esprit l’idée de se faire la malle en usant pour cela de son épée magique multifonction – qui permet donc de maîtriser le temps ET les portes de prison.

L’un de mes sbires, quand je viens le libérer, me suggère alors que les monstres, pour outrepasser le piège, doivent peut-être posséder un objet particulier qui les en protège et que ça serait une bonne idée de leur subtiliser à l’occasion. Mais peut-être que je l’ai déjà ; tiens, et si c’était ce "sceau des ténèbres" que j’ai récupéré un peu plus tôt sur mes ennemis déchus ?

Ça ne l’était pas.

Après un nouveau passage par la case prison qui, soit dit en passant, se trouve à l’entrée du donjon, je retraverse les moult salles qui me séparent du mystérieux dispositif, puis envisage diverses solutions ; toutes se soldent par un échec et un prolongement de garde à vue. Il me semble alors avoir épuisé toutes mes options, lorsqu’en désespoir de cause, je décide d’équiper le Derris Emblem qu’un type m’a offert au hasard d’un bar, objet dont l’utilité est incertaine – de l’aveu-même de sa description.

J’avance alors dans le vortex carcéral qui, comme à son habitude, entreprend de vérifier mes papiers ; mais alors que je m’attends à voir mon personnage disparaître une fois de plus, je constate qu’il est toujours là.

Victoire ! On est passés !...


Oh.

Bon, restons calmes.

Outre le fait que l’objet idoine m’ait été donné par un péon dans un village perdu plutôt que par un monstre comme suggéré, sa logique est individuelle et non collective, ce qui implique donc qu’il m’en faut un pour chacun de mes équipiers – à moins qu’il me faille continuer seul ? Ça en revanche, ça n’est aucunement entendu ni sous-entendu, qui sait si ce n’est pas la pire chose à faire ? Est-ce qu’on me laissera une chance de revenir libérer mes zouailles ?...

Rongé par le doute, je retourne en direction de la prison ; c’est alors que, sur le chemin, je tombe sur cette créature.

 
J’espère que t’as du collyre !                                                                  …ou ça, c’est bien aussi   

Non sans grincer des dents, je m’évertue d’oublier le fait que cette première rencontre survienne après un laps de temps que nous qualifierons de fichtrement long, soit plus d’une heure après avoir franchi le seuil du donjon ; plus important, il me faut désormais retrouver cet œil torve et suspicieux pour lui faire pleurer autant d’emblèmes qu’il me reste de personnages à équiper, c’est-à-dire trois sur cinq, puisque je n’ai pas pris le temps de recruter le sixième et optionnel d’entre eux – une gamine ninja de onze ans qui, par ces quelques épithètes, t’exprime le caractère délibéré de cet oubli.

Comme j’ai le vague sentiment que ces monstres n’apparaissent qu’en des points localisés de la forteresse, je retourne, après avoir regroupé mes troupes, sur le lieu de rencontre et entame le célèbre rituel d’invocation du combat aléatoire en dessinant de mes pas des cercles sur le sol. Passées quatre ou cinq joutes sans intérêt, voilà mon œil qui reparait – pour s’en retourner aussitôt, impuissant face au poids de mon exaspération plus affutée que jamais.


Bah, où qu’il est mon emblème ?...

Soupir, lamentation d’une âme à l’agonie dont les espoirs naufragés échouent sans vie sur le rivage…

Oh, c’est ici qu’on se quitte, Gameblog.

Je sais, oui, c’est un peu brutal, mais c’est à l’image de ma réaction suite à cet énième caprice, ce nouvel abus de patience du jeu qui, dans sa grande malice, s’attendait surement à me voir chasser l’une de ses créatures qui apparaitrait parfois dans la quête d’un objet que celle-ci m’offrirait de ce même parfois ; et qui, ce faisant, m’a achevé le premier.

Mais pour avoir supporté mon ire envers un jeu qui n’en méritait pas tant et que tu apprécies peut-être ; pour avoir subi mon verbiage et mes calembours boiteux tout du long de cet article à rallonge ; pour avoir versé de ton précieux temps dans ce puits de frustration sans fond duquel ne montera surement qu’un borborygme évasif ; pour ne pas avoir eu d’autre choix que de lire ce papier pour faire plaisir à un ami qui vous l’aura sans doute conseillé avec un rictus sardonique aux lèvres ; et, bien plus encore, pour m’avoir supporté jusque-là, Gameblog, je te le dis en toute sincérité :

Fwahaha !!

Migaros