En voila un jeu qu’il est pas bon pour les nerfs.

Sorti chez nous le 19 Avril 2013 sur 3DS, soit un an, jour pour jour, après sa sortie nippone, il s’agit-là, officiellement, du treizième opus de cette série de Tactical-RPG initiée en 1990 par Intelligent Systems sur Famicom – pionnière du genre, précisons-le. Le dernier épisode en date, Three Houses, est quant à lui sorti en 2019, mais qui s’en soucie ?

En matière de T-RPG, j’ai envie de dire, il y a deux écoles – oui, cette expression est assez clichée mais, comme on ne va pas tarder à le voir, ce sera une thématique récurrente de cet article.

La première, c’est l’école Final Fantasy Tactics, ou plutôt Tactics Ogre, qui le précède, si ce n’est en notoriété, au moins en date, et dont nous verrons d’ailleurs un élève dans les prochains épisodes (teasing, teasing !) ; on y trouve des actions de zone dites "en croix", une gestion du relief, l’importance de la direction, qu’on attaque derrière ou devant, et moult bases sur lesquelles s’appuieront par la suite des Vandal Hearts, Disgaea, voir la plupart des jeux Nippon Ichi.

La seconde, celle qui nous intéresse aujourd’hui, c’est donc l’école Fire Emblem, avec ses déplacements à plat, ses attaques à travers murs, ses prévisions de combat détaillées, son permadeath ultra-punitif, ou encore ses coups critiques inopinés à 2 ou 3% qui vous tuent un personnage en un coup (ici, l’auteur de ces lignes tient à signaler qu’il pousse un profond soupir).

Bon, en vrai, il existe bien plus de variantes que ça, mais quand je pense T-RPG, je pense d’instinct à ces deux-là.

Parce qu’il s’agit quand même de mon sixième Fire Emblem ; j’ai découvert la série, comme beaucoup, avec l’épisode 7, c'est-à-dire avec Lyn, Hector et Eliwood, les trois héros du premier opus à voir le jour en Europe, sur GBA, au début des années 2000 – comme moult séries de JRPG, j’ai envie de dire, le succès du genre dans les années 90 ayant peut-être, surement, contribué à cette perte relative de frilosité de la part des éditeurs. Vaste sujet, sur lequel je ne m’étendrai pas.

Commençons plutôt une nouvelle partie.

D’emblée, le jeu me laisse le choix ; de la difficulté, dans un premier temps, histoire de décider si les aventures du prince Chrom seront semées d’embûches, percluses de crampes, ou cheminées de croix – en d’autres termes, "Normal", "Difficile" ou "Expert". Hésitant, je me dis que c’est Chrom lui-même qui peut m’aider à y voir plus clair : j’ouvre alors mon navigateur internet pour y effectuer une petite recherche, après avoir vérifié que personne n’avait jamais eu l’idée de faire cette blague moisie – raté. On m’affirme alors que la difficulté normale est d’une simplicité risible, et que pour y trouver un minimum de challenge, c’est le mode Difficile qui s’impose. Soit, fort de mon expérience dans la franchise, je choisis les crampes plutôt que les embûches ou les clous. Puis le mode Classique, plutôt que le mode Casual, c’est-à-dire le permadeath plutôt que la survie.

Inconscient des conséquences terribles que ces choix occasionneront, je valide, et l’on me demande de créer un avatar, un ou une stratège qui accompagnera le prince dans ses péripéties, à l’instar de FE7, déjà – mais jouable cette fois.

Et là, je m’arrête deux secondes, parce que je trouve cette petite particularité fort appréciable. Elle n’est pas vraiment nouvelle dans la série, puisque le volet précédent, un remake du troisième opus, Shin Monshou no Nazo qui, comme son l’indique, est resté cantonnée aux frontières nippones, proposait déjà ce petit ajout de customisation. Il n’empêche, je trouve ça chouette, et j’adore qu’on me laisse inventer, au moins en partie, le background de mes personnages.

Bref, me voila donc aux portes de tout un micro-univers propice à l’imagination – je dis "micro", parce que les options restent limitées. Quatre ou cinq coiffures par sexe, autant de visages, trois carrures (enfant, jeune adulte et moins jeune adulte), trois types de voix (x2) et une vingtaine de teintes capillaires. Une sélection digne d’un MMORPG Free2Play qui aurait gardé le reste pour son cash shop. Qu’à cela ne tienne, je m’en satisfais bien assez, et voila que ma Silmeria s’en va-t-en guerre.

Après une petite cinématique d’ouverture, où l’on se voit poignarder d’un éclair magique notre cher prince, crac-badaboum, nous voila ramenés en arrière au moment de notre rencontre avec celui-ci, comme au sortir d’un long sommeil. Le procédé est connu, son effet manifeste ; partir d’un point B, puis revenir au point A, pour nous relater les circonstances qui nous ont amené du point A au point B. On en trouve des exemples un peu partout, comme, par exemple, disons, au pif, Chrono Cross. Mais loin de moi l’idée de critiquer, après tout, c’est un procédé comme un autre. Alors ne crions pas tout de suite à la repompe et aux resucées – ça n’a rien de sale.

Bref, de retour dans le passé, on se rappelle soudain que l’on est amnésique.

Pendant qu’une discussion s’installe, qui vise à faire un brin d’exposition, le prince, son garde du corps et sa petite sœur, une princesse blonde avec des couettes dont le caractère peut s’y trouver tout entier résumé, sont brusquement rappelés à leur devoir par la fumée d’un village en feu, attaqué par des brigands. L’occasion pour nous d’affirmer notre bonne volonté et de disperser la défiance en se battant à leurs côtés. S’ensuit alors, la nuit-même, un événement étrange, une apocalypse céleste en grande pompe qui secoue la terre pour y faire pleuvoir trois pauvres zombies, et un mystérieux guerrier masqué qui prétend s’appeler Marth – du nom du célèbre héros de la légende, et du premier opus, nous rappelant ainsi le caractère canon de celui-ci dans le jeu présent.

Bon, je m’arrête à nouveau, parce que je ne peux pas décemment continuer à parler du jeu sans évoquer un élément majeur de l’intrigue, qui intervient au tiers, voire à la moitié de l’histoire. Alors, si vous souhaitez vous en préserver, eh bien, j’ai le regret de vous informer qu’il va falloir nous séparer ici. C’est gentil d’avoir fait ce petit bout de chemin avec moi, cher lecteur, et franchement, je te trouve super. Tu mérites mieux que moi, et cette blague nulle sur Chrom le navigateur. C’est pas toi le problème, c’est moi. On reste amis, n’est-ce pas ?...

...

C’est bon, l'est plus là ?

Alors, parlons bien, parlons libre.

L’identité de ce Marth est très importante, car elle cristallise la singularité de cet opus à bien des égards : scénaristique, thématique, mais aussi mécanique.

Scénaristique, parce qu’elle marque un twist pour le moins audacieux – non, casse-gueule. On nous apprend ainsi que Marth, en plus d’être une fille, s’appelle en réalité Lucina, un prénom à l’écho familier pour le prince et son épouse, puisqu’il ne s’agit, ni plus ni moins, que de celui de leur enfant, tout juste née. Passé le chapitre 11, il s’établit en effet une ellipse de deux années, courte période de paix durant laquelle les petites fleurs de printemps s’élèvent pour profiter du soleil et bourgeonner dans l’allégresse – ça n’a rien de sale.

Bref, la Lucina qu’ils ont devant eux n’est autre que leur fille issue d’un futur cataclysmique, où le vil dragon Grima aura été invoqué sans qu’on ne soit parvenu à l’arrêter. Mais grâce à un outil scénaristique magique, qu’on appelle ici le dieu dragon de la divinité célesto-cosmique, n’est-ce pas, qui fait se qu’il veut parce que, ben, c’est Dieu, et que c’est divin, et que ferme-là ou je te déifie la tronche, la voila de retour dans le passé pour prévenir ses parents du danger qui les menace, façon Trunks de DBZ.

Thématique, ensuite, parce que le dragon-DeLorean fût manifestement assez spacieux pour que la marmaille d’autres personnages fasse le voyage. On tombe ainsi dans des enjeux qui ne visent plus simplement à rétablir la paix, mais à sauver nos enfants de l’avenir sombre qui leur est promis par nos fautes. Une question qui reviendra avec force au moment de livrer au dernier boss le coup de grâce, mais nous n’en dirons pas plus là-dessus.

Et puis mécanique, surtout, parce que tous ces enfants qui reviennent du futur sont le fruit d’unions qu’il nous appartient de décider, sachant que le dit-choix aura un impact sur leurs statistiques, les classes qui leur seront accessibles et, plus important, leur apparence physique – bon d’accord, en vrai, ils héritent juste de la couleur de cheveux du père. En effet, une fois atteint le rang S de conversation entre deux personnages de sexe opposé, l’un demandera l’autre en mariage et, dès que possible, une quête annexe consistant à recruter leur progéniture s’ouvrira sur la mappemonde.

Ce qui m’amène à discuter de plusieurs points.

Déjà, les voyages dans le temps, c’est facile à incorporer, très difficile à maîtriser. C’est une béquille pour le moins fragile, et rares sont les œuvres de fiction à s’en faire un équilibre ; Hypérion en littérature SF, le trop méconnu Noein en japanimation, ou encore, excusez-moi d’insister, Chrono Cross en vidéoludie, pour citer quelques exemples de réussite (à mon sens, hein). Hélas, Awakening n’en fait guère partie ; paradoxes, contradictions, flou gaussien et capillotractage justificatif, l’histoire est un joyeux bordel qui a tôt fait de s’écrouler sur elle-même dès que l’on se met à en traquer les incohérences, nombreuses. Le simple fait qu’un personnage de l’avenir fasse irruption dans le passé devrait avoir des conséquences sur celui-ci, telle l’irruption quantique d’un effet papillon. Tenez, par exemple, la première chose que fait Lucina en débarquant dans le passé, c’est d’intervenir juste à temps pour sauver la sœur de Chrom. Elle intervient également plus tard pour sauver son autre tante. Pour autant, les événements suivent leur cours avec une conformité rigoureuse à ceux du futur apocalyptique, sans jamais infléchir sa course selon cette tangente, comme dirait l’autre, et l’on nous explique à demi-mots que c’est une histoire de destin – le mot est lâché.

En vérité, il me paraitrait plus correct de le justifier par une histoire de gameplay. Parce que c’est surtout là, au fond, que se trouve l’intérêt d’un tel procédé : établir des liens entre nos unités sans avoir à attendre quinze ans pour jouer leurs rejetons.

Ou les cantonner aux joies du célibat, à vous de voir.

Disons d’ailleurs un mot sur les romances et les conversations de soutien, classées selon quatre rangs : C, B, A, S, cette dernière, réservée aux couples potentiels, regroupant la confession ET la demande en mariage, dans un bundle d’écriture forcée et de développement hâtif – induit par le format et la concision même de ces petites saynètes, quelque part. Ça sort de nulle part, ça repose, parfois, sur de très minces fondations mais, là encore, c’est au service du gameplay. Il n’empêche que ça rend l’instant absurde, voire malaisant dans certains cas ; comme celui de Nowi, un dragon pluri-séculaire qui a pris l’apparence, ô combien terrible !, d’une petite fille de dix ans, laquelle peut tout à fait se marier avec un mercenaire quadragénaire et lui faire un enfant…

Hélas pour les amateurs de romance inappropriée, si chaque personnage masculin peut épouser les filles qui se trouvent dans sa liste de supports, il est impossible pour Chrom d’épouser sa petite sœur.

Saletés de mœurs occidentales !

Sans transition, venons-en à ce fameux gameplay, sans quoi le jeu ne serait qu’une histoire bancale, un porte-standards de l’animation et du manga japonais, bourré de zones d’ombres et de twists boiteux (mais qui garde, disons-le quand même, un certain souffle épique de bon effet).

Il est de notoriété acquise que les jeux Fire Emblem sont des jeux difficiles et punitifs. Les déplacements doivent être calculés au poil de case près, sans quoi, l’adversaire n’aura aucun scrupule à exploiter la moindre faille – l’IA semble programmée pour attaquer de manière systématique l’unité alliée la plus vulnérable, et quand on pense avoir dressé un mur de protection devant celle-ci, c’est une autre unité, oubliée, qui en paye les frais.

Quand on perd une unité, dans un jeu Fire Emblem, il y a deux écoles (encore !?) : soit on l’accepte, et on essaye de continuer avec ce goût amer dans la bouche, selon l’importance, stratégique ou sentimentale, que l’on aura accordé à l’unité en question ; soit on refuse cette perte, on se dit que ça serait vraiment dommage, après tout ce temps passé à la faire progresser, d’avoir à se passer de cette unité, auquel cas, on arrête tout et on relance la bataille.

Pendant longtemps, pour les épisodes GBA notamment, c’est la seconde approche que j’ai privilégiée, quitte à me lasser, à force de recommencer jusqu’à cinq ou six fois la même bataille ; pire encore, après y avoir passé une ou deux heures à redoubler de prudence, tout ça pour me prendre un coup de grisou aussi tardif que douloureux. Ce n’est qu’avec l’épisode DS, Shadow Dragon, remake du premier opus, que j’ai pris sur moi de poursuivre l’aventure d’un trait, et ce, quoi qu’il m’en coûte. Et, pour être franc, l’expérience fut appréciable ; à croire que, à l’instar de Covenant of the Plume, on puisse prendre du plaisir à voir des gens mourir...

Alors certes, quand même, ça m’a fait un peu chier de perdre Shiida, la future épouse de Marth (le vrai), sur une fausse manip’. Je voulais juste regarder les statistique de l’ennemi, moi, pas que t’ailles l’attaquer ! Ah, quelle tragédie !...

Bref, quand j’ai lancé cette partie en Difficile/Classique, c’était pour me conformer à cette nouvelle inclinaison. Et, comme je l’ai suggéré, si vous avez prêté attention, le choix de ces paramètres ne fut pas sans conséquences fâcheuses, très fâcheuses, et ceci, très tôt. C’est en ayant, déjà, perdu trois ou quatre unités que je suis arrivé aux portes du terrible chapitre 5, dont la difficulté, ramenée à celle des chapitres précédents, pourrait être schématisée ainsi :

C’est d’une brutalité absolue : les unités adverses y sont maintes fois plus nombreuses, des chevaliers wyvernes, très mobiles et très forts, vous agressent d’entrée, deux alliés, paumés dans la masse, requièrent d’être sauvés – des mages, pour ne rien arranger –, et des renforts débarquent au bout de quelques tours à peine. Alors moi, je veux bien perdre des unités, mais quand au bout de deux ou trois tours, vous faites face à une véritable hécatombe, ça devient difficile de maintenir le cap ; et ce qui devait arriver arriva, le reset, et avec lui, bien d’autres.

En fin de compte, las d’essayer, de tenter et de réessayer, j’ai décidé de rebâtir sur du neuf ; adieu Silmeria, place à Hrist – les amateurs de Valkyrie Profile apprécieront qu’un jeu, au moins, porte une héroïne à ce nom, moi le premier.

Nouvelle partie, donc, mais cette fois, aucune perte n’est acceptée avant le chapitre 5. Retour aux sources gagnant, qui m’installe, néanmoins, dans une sorte de compromis entre les deux approches susnommées ; certaines pertes sont acceptées, d’autres non, le facteur décisif se trouvant, bien souvent, dans l’équilibre et l’inclinaison variables de la Grande Balance de Chianteur, avec, d’un côté, l’importance affective et tactique de l’unité perdue, et de l’autre, le degré d’emmerdement qu’un reset provoquerait. Aussi aurais-je terminé le jeu avec une dizaine de pertes au compteur, dont la moitié, si ce n’est les deux tiers, l’auront été au cours de l’ultime bataille, donnant à celle-ci un caractère hautement dramatique, je dois bien l’avouer – j’y ai même perdu mon fils, pensez-vous, enfin, le fils de ma stratège...

Le pire truc, et je pense que je m’arrêterai là, le plus gros élan d’injustice qui différencie une partie en Difficile d’une partie en Normal, ce sont les renforts.

En Normal, les renforts ennemis apparaissent à la fin du tour adverse, alors qu’en Difficile, c’est au début de ce même tour – et ça change tout. Parce que dans le premier cas, on vous laisse un tour pour vous y préparer, mais dans le second, les renforts peuvent tout de suite vous attaquer. Alors oui, le jeu nous laisse, parfois, entendre de manière subtile que ces renforts vont arriver, MAIS il omet bien de nous dire à quel moment, à quel endroit, quel type d’unités, ou encore pendant combien de tours cette vague va continuer d’affluer. Ce qui représente un sacré dick move, ou mouvement pénis dans notre si belle langue, parce qu’à moins de savoir où, quand, combien et comment, c’est la roulette russe pour vos unités vulnérables qui, comme on l’a dit, sont les premières victimes du gang-bang ainsi orchestré à votre insu.

Et ça, pour le coup, c’est quand même bien sale.