Entre deux générations de consoles, il existe une fosse étroite où se perdent des sorties tardives. C’est le cas de Stella Deus: The Gate of Eternity, un RPG tactique de l’ère PS2, passé sous les radars d’un mois de Mai 2006 qui avait derrière lui la sortie de la Xbox 360 (novembre 2005), et devant, celle de la PS3 (novembre 2006).

Et pourtant, non seulement ce jeu fût à même de franchir les frontières nippones mais, fait encore plus étonnant, il sera même parvenu jusqu’en Europe. Certes, les années 2000 on été plus généreuses en matière de RPG localisés que les années 90, mais quand même, beaucoup n’ont pas été plus loin que le pays de l’oncle Donald (le canard, avec un "a").

En ce qui me concerne, je n’en avais jamais entendu parler avant le début de l’année dernière. Il faut dire qu’à cette époque, je mettais à profit mon talent pour la discrétion en jouant les Assassins dans le MMORPG Ragnarok Online, et qu’entre ça et le bac (enfin, surtout "entre ça"), je n’avais guère plus le temps ni l’envie de m’intéresser aux RPG solos. En ce temps-là, les gens s’insultaient sur les forums, postaient des images de chats – quelle horreur ! –, se lançaient avec énergie dans des débats stériles, s’envoyaient des memes à la tronche, quand ils ne discutaient pas, miracle de la nature, tranquillement du dernier chapitre de One Piece…

C’était le bon temps.

Tout a bien changé depuis, n’est-ce pas ?

Stella Deus, donc, nous raconte l’histoire d’un monde désœuvré face au destin funeste qui lui est promis. En effet, un miasme corrosif se répand chaque jour davantage sur Solum, détruisant toute vie sur son passage, sans que rien ne puisse l’arrêter, pas même un brin d’espoir. Car Dieu a parlé, et sa sentence ne souffre d’aucune ambigüité : il n’y a rien d’autre à faire que d’attendre, et d’accepter en silence l’inexorable...

Cependant, alors que le peuple se résigne, un homme surgit de ces masses passives pour lutter contre cette sombre destinée. Cet homme s’appelle Dignus et, au contraire de ce que l’on pourrait croire, il ne s’agit guère là du protagoniste, mais de l’antagoniste, un colosse fier, à la volonté de fer, qui entend bien ne pas se laisser faire !

Par la violence et un absolu rejet du plus faible, il s’élève au rang de Seigneur et s’entoure des plus forts – et des plus timbrés, comme Viper, à ne pas confondre avec Viser, un alchimiste qui prétend pouvoir arrêter le miasme grâce à ses inventions, et qui possède une poignée de disciples acquis à sa cause. L’un d’eux s’appelle Spero, et c’est lui, le vrai protagoniste.

Je ne vais pas vous mentir, je trouve ce postulat de départ fort attrayant. Il pose les bases d’un conflit théologique et idéologique complexe, ambitieux, faisant du "méchant" le vecteur d’un espoir légitime, s’attirant par là un brin de sympathie – et surement davantage, si ce n’était pour ses méthodes violentes et radicales. À côté de ça, il y a la religion, le culte d’Aeque, emmené par Lumena, prêtresse dévolue à prôner une fin paisible comme Dieu le veut, et son amant, Avis, prince d’un royaume en ruines du fait de Dignus, mais qui peine à accepter un avenir dans lequel il ne pourrait pas vivre pleinement son amour, sans pouvoir, pour autant, se ranger du côté du tyran qu’il maudit.

Beaucoup de promesses, donc, d’autant que l’écriture a été supervisée par Ryo Mizuno, l’auteur des Chroniques de la Guerre de Lodoss, que j’apprécie plus, personnellement, pour la direction artistique de son adaptation animée, dont le chara-design est signé Nobuteru Yuki, que pour la qualité de son scénario, qui pioche peut-être à l’excès dans le Seigneur des Anneaux ("Bijour, j’suis un nain, et j’m’appelle Giml… Ghim !"), mais qui en conserve, malgré tout, certains aspects épiques et poétiques qui ne me déplaisent pas – dans l'OAV, en tout cas, puisque je n’ai pas vraiment regardé la série télé qui s’en est suivie (dont l’opening est, ceci dit, une petite merveille).

Bref, plus c’est prometteur, plus on élève nos attentes.

Et plus lourde est la chute.

L’histoire ne manque pas d’intérêt, mais elle est développée de manière trop convenue. Le petit Spero, par exemple, nommons-le ainsi sans aucune arrière-pensée (c’est faux), bien qu’il se questionne et remette en cause ses actes initiaux, s’épanche plus que de raison dans des grands discours sur l’amitié, l’espoir, les caisses et le pataquès. En outre, la mise en scène se résume, trop souvent, à des dialogues façon Visual Novel entre deux artworks de qualité, disons, inégale – on aime ou on n’aime pas, perso, j'aime... à trouver la question fascinante –, avec en prime un doublage intégral, mais horripilant, que j’ai tôt fait de virer parce que ça m’a gonflé.

Ce n’est pas ce qui s’est fait de pire en la matière, remarquez ; on n’est pas au niveau d’un Arc Rise Fantasia ou, pire encore, d’un Chaos Wars – qui remporte haut la main la palme du doublage le plus blasé de l’histoire.

Mais, à mon sens, le vrai problème, c’est… Final Fantasy Tactics.

Final Fantasy Tactics ?

Final Fantasy Tactics.

Et ce n’est pas juste en rapport avec le système de combat, qui s’inspire des codes établis par le TRPG de Squaresoft et, avant lui, par Tactics Ogre. Certes, on y trouve moult points communs, comme la gestion du relief, l’importance d’attaquer devant, derrière, sur les flans, ou encore la mécanique qui consiste à assigner des skills passifs ou actifs à chaque personnage, pour leur octroyer des bonus de mouvement, des contre-attaques, etc.

Non, ça va beaucoup plus loin que ça.

Dans la structure même de la narration, on retrouve le même découpage en chapitres, qui sont au nombre de cinq, soit seulement un de plus que FFT. Sur ceux-ci, trois ou quatre s’achèvent sur un enchainement de batailles au même endroit, qui vous font progresser des portes d’un château, d’un temple, jusqu’aux tréfonds de celui-ci, comme dans FFT.

Dans les thématiques, également, qu’on a citées plus haut, et qu’on pourrait aisément rapprocher des conflits politico-religieux qui émaillent l’histoire de FFT, imaginée par Yasumi Matsuno. C’est là qu’on mesure tout le talent de ce dernier, pour ce qui est de l’écriture, de la mise en scène et de la réalisation, tant Stella Deus peine à soutenir la comparaison d’avec FFT sur ces trois points. A contrario de FFT, l’écriture est lourde, volubile, le traitement est bâclé et, en conséquence, ça tombe souvent dans la facilité, jamais dans le juste comme dans FFT. La mise en scène façon VN établit, je trouve, une distance d’avec le joueur, là où FFT misait sur quelques pixels bien animés, à même le terrain de jeu, pour véhiculer un sens que des mots, fussent-ils nombreux, n’auraient pu égaler, foi de FFT. Quant à la réalisation, c’est poussif, les animations rament du cul, comme dirait l’amateur de FFT, l’interface est mal foutue, les bruitages étouffés, ce n’est clairement pas du même acabit que FFT. Parce que, quand on prend FFT, ou même, tous les jeux de Matsuno, on sent un souci absolu pour ce genre de détails ; pour le coup d’épée qui sonne bien, le bruissement de pas authentique et, là encore, ça ne me rend que plus admiratif de cet homme – et de son travail sur FFT.

Alors, oui, vous pourriez me dire :

Infâme résidu de blogueur cancérigène, pourquoi tu cherches absolument la comparaison, aussi ? FFT-toi, à la fin !

Certes, ce n’est pas tout à fait juste d’évaluer la qualité d’un jeu par rapport à un monument du genre, et je pourrais arrêter de chercher des éléments de comparaison.

Encore faudrait-il que le jeu arrête de m’en donner.

Ce thème vous est familier ?

Peut-être avez-vous reconnu le style ?

C’est celui d’Hitoshi Sakimoto, le principal compositeur de… FFT.

Je n’ai rien contre ce monsieur, bien au contraire, j’aime bien ce qu’il fait, mais aller le chercher lui, d’entre tous, pour mettre en musique un jeu qui partage déjà bien assez de points communs d’avec son mentor, c’est pousser le bouchon dans mémé avec les orties – un peu trop loin, Maurice.

Et puis, le séparer de Matsuno, c’est un peu comme séparer Uematsu de Sakaguchi. Remarquez, non, il s’en est affranchi avec succès à moult occasions, comme sur l’OST de l’immense Radiant Silvergun – mais on parle là d’un SHMUP, pas d’un RPG tactique qui cherche à faire du sous-Matsuno. Et ce qui en résulte, eh bien, justement, c’est du sous-Matsuno. Ce n’est pas foncièrement mauvais, d’ailleurs, j’apprécie plutôt la piste ci-dessus mais, globalement, c’est tiédasse, ça sent le déjà-entendu, bref, ce n’est pas ce que Sakimoto a fait de plus inspiré. Peut-on vraiment lui en vouloir ? Dans la mesure où il a accepté le projet, peut-être, peut-être pas, un travail alimentaire, qui sait ?

Mais sorti des comparaisons, que reste-t-il ?

Une difficulté très mal dosée ; les écarts de niveaux sont des gouffres, trois niveaux de plus que votre adversaire et vous l’écrasez, trois niveaux de moins, c’est lui qui vous aplatit. Terminer l’histoire en ligne droite me parait ardu, car l’expérience acquise durant les combats scénaristiques seuls ne permet pas franchement de suivre la cadence, donc on se retrouve obligé de s’adonner à de passionnantes sessions de grinding – en français, de meulage, ce qui est plutôt raccord.

Un peu comme dans FFT – mais ressortons des comparaisons.

Et justement, à cet égard, on nous propose d’emblée l’accès à un donjon annexe, les Catacombes, qui descendent jusqu’au centième sous-sol, chacun correspondant à un certain niveau d’adversité. Mais il vaut mieux se friter avec des ennemis de notre niveau, parce que, là encore, les écarts se font rapidement béants ; deux ou trois niveau de moins, et vous ne gagnez déjà plus qu’un malheureux point d’XP – le système est identique à celui de FFT, oui je sais, encore !, c’est-à-dire qu’il faut cent points pour passer un niveau et on obtient cet XP, comme les SP (les points de compétence, ou de job dans FFT) à chaque action effectuée, comme attaquer, utiliser un objet, etc.

Ah ouais, et y a des quêtes annexes aussi, avec des délais à respecter, car chaque déplacement sur la mappemonde fait avancer d’un jour le calendrier. Un peu comme dans FF…

J’y arrive pas.

Bon, allez, parce que, malgré tout, certaines mécaniques tentent de proposer du neuf, il y a les fusions d’objets, dont le concept, assez simple, consiste à croiser deux objets entre eux pour en obtenir un troisième. Basique, mais pourquoi pas.

C’est très mal pensé, cependant.

On vous colle une liste d’objets et puis voila, c’est tout, démerdez-vous. Faut tester un objet avec tous les autres objets pour voir ce que ça peut faire, ce qui est déjà grave relou, wesh, mais si encore ils avaient pu rendre ça logique, vis-à-vis d’une certaine cohérence, passerait encore. Ben non, fusionner une potion avec une hache donne un saphir (?), fusionner une armure avec une autre armure donne une potion (??), fusionner une bague avec un livre donne une épée acérée (???), et fusionner le twix gauche avec le twix droit résulte en un selfie de J.R.R. Tolkien dédicacé par Francis Lalanne (?12).

Ça n’a aucun sens.

Est-ce à dire qu’il n’y a donc rien à sauver ?...

Je reconnais volontiers que j’ai été dur. Le jeu a reçu des critiques essentiellement positives, alors c'est qu'il dispose quand même d'une poignée de qualités. Si les ressemblances d’avec FFT m’ont frappé, si fort qu’il me fallait bien riposter, ma conscience m’intime de vous livrer ces quelques bons points, parce que, mine de rien, j’y ai passé du temps, sur ce fichu RPG. Mais pourquoi donc ?...

Les visuels, dans un premier temps, dont les teintes pastel m’ont tout de suite rappelé Breath of Fire IV. C’est plutôt joli, et ça donne au jeu un certain cachet, qui n’estompera, certes, pas totalement la migraine causée par tout ce que je vous ai énoncé, mais qui attire l’œil.

Ensuite, le gameplay propose une mécanique intéressante ; les déplacements comme les actions s’effectuent au moyen d’une jauge d’AP, une barre ATB, en quelque sorte, MAIS beaucoup plus flexible. Concrètement, prenons un cas pratique : imaginons que je veux déplacer mon personnage de trois cases, il m’en coûtera 60 de mes 100 AP. Reste 40 AP, que je peux utiliser pour attaquer une fois à 15 AP, ce qui m’en laisse 25. Je peux, si je le souhaite, attaquer une seconde fois, auquel cas, mes AP tomberont à 10, ou bien, seconde possibilité, je peux m’en tenir là, auquel cas, ma jauge s’en tiendra à 25 et se remplira plus vite, me permettant ainsi de rejouer plus tôt. Il faut donc se montrer prudent dans les déplacements que l’on fait, parce que si, par mégarde, on se retrouve corps-à-corps avec l’ennemi, celui-ci n’aura nul besoin de bouger ni scrupule à nous spam deux, trois, voire quatre attaques à la suite – si l’on survit jusque là.

Ça apporte une dimension stratégique indéniable, même si la difficulté très inégale du jeu pourra rendre l’effort un peu vain. D’ailleurs, l’IA n’est pas très fine, osons le dire. Mettez un obstacle entre elle et vous, et ça la rend folle. Mais quelque part, c’est un élément duquel tirer profit dans certaines situations désespérées.

En vérité, j’ai passé un temps considérable dans les Catacombes, à m’enfoncer cran après cran vers l’ultime sous-sol, pour savoir ce que je pourrais bien y gagner. J’aurais mieux fait de regarder sur Internet mais, malgré tout, j’ai pris plus de plaisir à enchainer ces batailles, pourtant répétitives, qu’à suivre et faire avancer une histoire qui m’avait perdu en route.

A noter qu’il est possible de recruter des personnages additionnels – comme il possible de les rater, aussi. Mais, histoire d'en dire du positif pour terminer, j'admets avoir apprécié que l'on nous laisse parfois choisir si, oui ou non, l’on souhaite intégrer certains d’entre eux à notre équipe...