J’aime bien jouer sur PC.

Je ne sais pas, c’est peut-être une question d’habitude ou de confort, mais quand un jeu me laisse le choix du support, j’opte souvent pour celui-ci – si tant est que ma vieille tour de guet de l’an 12 me le permette.

Il m’arrive donc fréquemment d’aller jeter une œillade sur les catalogues de jeux démat’ du genre Steam ou GOG, pour y dégoter un p’tit RPG qui réponde à mes critères ludiques et matériels. Car en effet, de plus en plus de JRPG voient le jour sur ces plateformes et, même si place y est consentie à un certain opportunisme du moindre effort (coucou Square Enix, le PC n’est pas juste un gros smartphone), le reste n’est pas pour me déplaire. J’y aurai découvert, entre autre, la série des Ys, et moult productions Falcom qui, flairant-là un filon, peut-être, auront tôt fait de donner le ton – leur longue expérience sur les jeux d'ordinateur aidant surement.

Toujours est-il que ça leur réussit ; il suffit, pour s’en convaincre, de voir le succès des jeux Trails, série que j’abhorre mais qui a su trouver son public, ou de jouer au sympathique Xanadu Next, sorte de Ys au style plus occidental, mélange de Diablo et de Metroid – un Diabloid ?

Bref, c’est au hasard d’une de ces œillades que j’ai découvert Stranger of Sword City

Pas du tout.

En réalité, c’est sur Twitch que le jeu en question aura pour la première fois suscité ma curiosité, par l’intermédiaire d’un streamer américain que je regarde de temps à autre, un certain Metasigma, lequel, jouant à cet obscur Dungeon Crawler pas plus tard que l’an dernier, à la même période à peu près, attisa ma curiosité…

Pas tout à fait.

En fait, la toute première fois, toute toute première fois (oui je cite du Jeanne Mas, j’en suis là, au secours) où j’en ai entendu parler, c’est sur legendra.com,  site spécialisé dans le RPG qui dispose, à cet égard, d’une base de données fournie et pas loin d’être exhaustive quant aux milliers de jeux qui s’y trouvent recensés, par support, genre, localisation, etc. Si vous allez sur leur page d’accueil, vous apercevrez surement, dans un coin, un petit encart "RPG Aléatoire" qui, comme son nom le suggère, va piocher au hasard dans cette base de données pour vous donner le bref aperçu d’un RPG – et c’est de cette façon, vrai de vrai, promis-juré, que j’ai découvert Stranger of Sword City.

Voilà, maintenant que tout est OK, avéré, vérifié, passons à la suite.

J’ai déjà mentionné, dans mon article consacré à Phantasy Star, mon inculture quant aux Dungeon Crawlers, mais je la réitère. Parce que ce jeu a, globalement, recueilli des critiques mi-correctes, mitigées, alors que moi, ben, j’ai adoré. Mais peut-être est-ce parce qu’en la matière, je suis béotien, et que mon échelle d’exigence n’est pas encore bien relevée. Ou peut-être est-ce parce que je n’ai joué à aucun des autres jeux développés par Experience Inc., qui s’est fait du genre une spécialité (Demon Gaze, Operation Abyss, et plus encore). Allez savoir.

Toujours est-il qu’un avion disparait entre la ville de Narita, au Japon, et Anchorage, en Alaska, et que, manque de pot, vous étiez à l’intérieur. Triangle des Bermudes ? Non, non, j’ai vérifié, preuve à l’appui. Vous voilà donc projeté dans un monde étrange, un mausolée de ferraille et de carcasses d’avion, seul survivant du crash et, à ce titre, qualifié d’Élu par un vieil homme qui décrète vous avoir attendu…

Un postulat de départ basique, proche de l’isekai, un terme nippon qualifiant d’ordinaire les histoires de fantasy mettant en scène un individu lambda, comme vous et moi, qui se trouve, de gré ou de force, propulsé dans un autre monde. Une variante qu’on trouve en abondance, notamment dans le manga et l’animation jap’, entre Inuyasha, Escaflowne, .hack, etc.

Ou Sword Art Online, évidemment, on le sort toujours en premier celui-là, mais moi, je cite d’abord ce que je connais, ce que j’apprécie, alors c’est bien volontiers que je m’autorise ce petit pied de nez. Hé ouais, c’est la vie mon p’tit père.

L’histoire n’est pas foncièrement originale, mais le choix de son orientation est laissé au joueur. Car votre avatar, en tant qu’Élu, dispose d’un pouvoir qui attise bien des convoitises, celui de récolter les cristaux de sang, sortes de pierres vitales qui octroient à certaines créatures, dites de "Lineage", la faculté d’échapper à la mort et de ressusciter à l’envie.

Un concept qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler le manga Fullmetal Alchemist, spoiler !, et les pierres philosophales qui octroient aux homonculus une faculté similaire.

Bref, trois factions règnent sur les contrées d’Escario, chacune désirant faire l’acquisition de ces cristaux pour des ambitions propres à chacun de leurs chefs. Riu, la guerrière à mèche bleue frusquée d’un uniforme de collégienne trop grand pour elle, témoin du temps passé, sans doute, souhaite s’en servir pour rentrer chez elle, puisqu’elle est à ce monde, comme vous, comme la plupart des membres de la guilde qu’elle co-dirige, une Étrangère, ayant échoué-là par accident. Marilith, prêtresse de lumière à la tête des Chevaliers du Royaume, prétend, elle, s’en servir pour instaurer une paix durable – est-ce bien la seule raison ? Enfin, Alm, riche commerçant au corps frêle, fasciné par les vestiges de technologie qui accompagnent l’arrivée d’Étrangers, entend s’en servir pour faire prospérer son business, lequel comporte néanmoins son petit lot de zones d’ombre.

Le scénario existe et se développe, bien qu'il se place en retrait du reste ; tout s'articule essentiellement autour de la chasse aux Lineages et à l'obtention de ces cristaux de sang. C'est un style de narration en fil rouge qui octroie une liberté appréciable, mais pas forcément appréciée. Moi, ça me convenait bien.

À contrario de ce que l’on pourrait croire, les trois factions présentées ci-dessus n’en sont guère aux poings, ou point en guerre, je ne sais plus ; elles coexistent via des rapports cordiaux, en dépit de leurs divergences de points de vue. Aucun de ces trois dirigeants, d’ailleurs, n’ira vous forcer la main. C’est à vous seul qu’il appartient de décider à qui d’entre eux offrir les cristaux que vous aurez récupérés, sachant qu’en échange, vous obtiendrez des capacités liées aux personnages désignés, les "Divinity Skills". L’intérêt est donc double : scénaristique, puisque le mieux loti des trois leaders orientera votre fin, et mécanique, puisque certaines compétences sont préférables à d’autres pour se dépêtrer d’une difficulté plutôt relevée – en mode normal, j’entends (il existe un mode Beginner, sans doute plus coulant).

Parce que cet autre monde est assez cruel. Les premiers adversaires que vous affrontez ont une dizaine de niveaux de plus que vous, ce qui n’est pas sans dérouter. Et puis, soudain, vous tombez sur des ennemis qui en ont vingt, si ce n’est trente, et là, dans quelle galère vous-êtes vous embarqués !, n’auriez vous pas fait une erreur au moment de définir la difficulté ?...

L’évidence est pourtant bien là ; le jeu est ainsi fait pour donner à la fuite tout son caractère légitime et nécessaire. Et si le message n’est pas encore suffisamment clair, attendez de récupérer votre première technique divine, Flash Escape, qui comme son nom l’indique, vous garantit à 100% cet élan de lâcheté.

C’est le vice du jeu, qui en implique un second. Pour survivre, il faudra s’entrainer, et pas qu’un peu ! Je voulais garder ça pour la fin, une fois que j’aurais bien fait monter la pâte, mais autant vous le dire de suite avant que vous ne tombiez de plus haut : si vous êtes réfractaire au grind, à ce genre de jeux qui vous pousse à passer des heures dans des joutes rébarbatives visant à obtenir moult trésors et points d’expérience, fuyez, tiens, c’est pour votre bien.

Moi, j’ai des années de MMORPG derrière moi, donc j’ai l’habitude. En vérité, je trouve ça même plus gratifiant, parce qu’on obtient des résultats plus vite, et qu’on ne se trouve pas submergé sous une interface d’une complexité inouïe. Ni sous des torrents de messages au langage abscons.

Certes, il manque la dimension sociale, mais toute expérience, fusse-t-elle soliste, est à même d’être partagée, d’une manière ou d’une autre. En  y consacrant un article, par exemple.

En outre, comme dans la plupart des MMO, il nous est octroyé le bon plaisir de créer notre avatar comme il nous sied. Son apparence physique est à choisir parmi moult portraits dessinés par trois ou quatre artistes différents, allant du guerrier humain bourru à l’elfe hautain, alternant le bon et le mauvais goût, mais sur ce critère, chacun sera juge de ce qu’il préfère, c’est bien là un mérite que de proposer le choix entre plusieurs styles.

Ce qui l’est encore plus, sur la version PC, c’est de proposer au joueur d’importer ses propres portraits – carrément ! Et là, ce n’est plus un simple choix, mais l’infini qui s’ouvre devant vos yeux ébahis.

Mieux encore, cet outil de création n’est pas réservé à votre seul avatar ! Il vous sera permis de créer jusqu’à une vingtaine de compagnons, avec les mêmes libertés. Autant dire que le terrain sera propice aux imaginations les plus nourries.

En plus de ces libertés esthétiques, on peut également définir les voix de chacun, les sons émis en cas d’attaque lancée, subie, mortelle. Une vingtaine de variantes pour chaque sexe, ce qui me semble honnête, avec la possibilité, bien entendu, d’octroyer à un personnage masculin une voix de femme, et vice-versa. Ou à un vieux sage d’apparence la voix d’un mioche de huit ans.

LOL, tout ça, etc.

Et pourtant, bien que j’ai longuement hésité sur la question, j’ai décidé de jouer sérieux, en prenant pour base les designs que je trouve fabuleux de Yoko Tsukamoto, qui a bossé, entre autre, sur Xenoblade Chronicles 1 et X. Je ne sais pas trop dans quelle mesure, mais son style fait ici des étincelles au contact de l’ambiance dark fantasy qui pèse sur le monde d’Escario.

À cet égard, toujours dans l’optique de laisser au joueur le choix, il est possible, pour les personnages secondaires, les PNJ quoi, de switcher entre deux styles graphiques, le premier, dont nous avons nommée l’artiste, le second, euh… que l’on taira, par respect. Une question de goût, encore une fois, je suppose, mais quand même, la comparaison pique les yeux.

Autre aspect important du processus de création, l’âge, qui détermine le contingent de Life Points (LP) dont dispose chaque personnage. Car le KO n’existe pas ; dès que les HP de vos compagnons tombent à 0, c’est la mort, ni plus ni moins, que pénalise la perte d’un de ces précieux points de vie. Soyez rassurés, il est possible de ressusciter ceux des vôtres qui auraient succombé, et même de restaurer ces points perdus, pour peu que l’on consente à payer une somme faramineuse ou, le cas échéant, à laisser le malheureux sur la touche le temps qu’il récupère. Les moins de vingt ans n’auront pas trop de soucis à se faire, du haut de leurs trois points de vie ; les moins de soixante ans devront faire montre de prudence, n’en ayant que deux ; quant aux sexagénaires passés, il n’y aura pas de seconde chance, puisque, ne disposant que d’un maigre point de vie, la mort signifiera bel et bien la mort pour eux.

Quel intérêt de soustraire les vieux à leur EHPAD, dans ce cas ?

Il n’est pas grand, certes, mais il existe. Des points bonus sont alloués en fonction de l’âge du personnage, qu’il nous est demandé de répartir dans les différentes statistiques de celui-ci, au moment de le créer ; or ce contingent est faible pour les jeunes, moyen pour les moins jeunes, élevé pour les séniors. Ca ne rééquilibre pas vraiment la balance, cependant, parce que se trainer et entrainer (surtout) un personnage qui peut vous claquer définitivement sous les doigts à la moindre défaillance, c’est un risque bien plus lourd à prendre qu’une poignée de stats à ne pas prendre.

Pour le RP, en revanche, c’est primordial. Pas question de partir à l’aventure sans l’elfe centenaire qui va bien, ou le mille-sept-cent-vingt-et-unième clone de Gandalf.

Qu’ils reposent en paix, petits papillons partis trop tôt…

Notez également le choix, encore un !, qui vous est laissé de trancher entre plusieurs races, plusieurs traits de caractère, plusieurs classes. Sur ce dernier point, le jeu vous permet d’en changer en cours de route, via un système profondément pervers pour qui se veut réfractaire au grinding (vous êtes toujours là ?). Une fois atteint le niveau 13, vous vous verrez gratifiés d’un petit Jeton de Technicité, ou Skill Token en anglais, qui vous octroie un emplacement supplémentaire dans la liste d’aptitudes qu’il est possible de récupérer des classes précédentes. Alors pour en avoir un maximum, vous serez amenés à changer jusqu’à cinq ou six fois de classe, sachant que chaque changement opéré divisera par deux votre niveau, et qu’il vous faudra donc remonter jusqu’au 13 pour débloquer un slot de plus, pour de nouveau changer de classe, perdre la moitié de votre niveau, etc.

Vous les voyez, là, les heures qui défilent ?

En revanche, c’est dommage qu’il n’y ait que huit classes proposées ; Plus de choix en la matière eût permis de varier davantage les parcours de classes de chaque personnage.

Sinon, il existe aussi un système d’embuscade, qui consiste à attendre, cachés, dans des zones prévues à cet effet, que des caravanes de monstres passent devant vous, pour leur sauter à la gorge et s’emparer de leurs trésors, parmi lesquels vous pourriez trouver des objets uniques. Ceux-ci étant d’un degré d’affinement variable, +3, +12, +20, etc., vous pourriez vous estimer malchanceux de tomber sur une pièce d’équipement que vous eûtes aimée mieux affutée. Qu’à cela ne tienne ! Vous n’êtes pas satisfait ? Cherchez Mumic, le coffre piégé avide de ferraille, et donnez-lui à manger vos pièces d’équipement uniques que vous jugez de piètre facture, et vous aurez alors une nouvelle chance de les récupérer, avec un bonus plus convenable (ou pas).

Bref, vous l’aurez compris, ça peut vite devenir très addictif – ou très ennuyeux, c’est selon.

C’est l’Enfer, certes, mais pas non plus l’Enfer d’un Disgaea et de son Item World en tout point diabolique.

Cet Enfer-ci n’est qu’un brin démoniaque.

Quoiqu’il en soit, Stranger reste un jeu réussi sur le plan de l’ambiance, et c’est sur ce point qu’il m’a vraiment conquis. La DA est franchement classe, le design des ennemis est impressionnant de détails, la bande-son fait mouche, même si elle abuse peut-être un tantinet des chœurs musicaux ; en ressort une ambiance dark fantasy de bon effet, qui nous retranscrit le désarroi d’un monde où s’entremêlent drames personnels, cruauté et désespoir. La mécanique des points de vie est d’ailleurs exploitée comme un outil scénaristique, une volonté d’étendre une règle de gameplay à une règle universelle, ce qui est plutôt bien senti.

Le jeu existe aussi sur XBox 360 et sur PS Vita, mais la version PC possède des avantages indéniables pour qui voudrait se lancer dans une croisade farfelue.

TL;DR : c’est un jeu qui laisse le choix.

À vous de voir, dès lors, si oui ou non, vous y passerez vos heures ou votre chemin.