Tout commence avec l'excitation. Celle qui nous rend fébrile à l'instant même où l'on démarre une nouvelle partie, et qui continue de nous accompagner durant les premières minutes, parfois même les premières heures du jeu. Découverte, voilà le mot. On découvre le jeu, ses personnages, son univers, mais aussi et surtout ses mécaniques et son système de combat. On aime, et on en redemande dès lors que l'on se met à imaginer toutes les possibilités qu'offrira un tel gameplay. Mais à l'inverse, il arrive également que l'on entrevoie bien vite les limites et l'obsolescence du jeu, auquel cas lâchera t-on aussitôt la manette pour passer à autre chose. Et ce faisant, on s'épargnera probablement cette déchéance, cette lente agonie qui nous attend passé l'éphémère sentiment d'excitation. Car le mal, dans ce genre de jeu, n'est pas toujours là où on le croirait, et peut prendre des aspects plus subtils et vicieux que celle d'un sinistre zouaille avide de destruction. Ce mal-là, dont je vais vous parler aujourd'hui avec de douloureux souvenirs, nous ronge avec la lenteur régulière d'un poison, et nous corrompt l'esprit de par ses assauts répétés. Oui, parlons-en ! Parlons de combats aléatoires ! Et de cette phrase que l'on a tous déjà dite ou pensée un jour :

 

"Mais, on peut pas faire trois pas sans se prendre un $#*@§# de combat de §£#%@ ?!"

 

Car qui n'a jamais pesté contre ces phases de jeu intempestives ? Qui n'a jamais sursauté à cet instant où, alors que vous exploriez une caverne humide au son d'une musique ambiante plutôt calme, retentit soudain ce son qui marque le début d'un affrontement inopiné ? Et il ne s'agit là que de la première phase d'un rituel bien rôdé, la suivante consistant généralement à faire transiter l'écran d'exploration vers l'écran de combat au moyen d'effets powerpoints tous plus variés les uns que les autres : aspiration, chiffonnement, zoom et dézoom sauvages, déformations en tout genre, ou encore cet effet de craquelure sensé vous donner l'impression que votre écran vole en éclats. Vient ensuite la phase qui précède la prise en main, et qui consiste généralement à... faire le show, tout bêtement. Prendre la pose et intimider l'ennemi, c'est crucial, et ça vos personnages l'ont bien compris en entrant en scène de façon théâtrale, en effectuant de grands gestes dans le vent et/ou en prononçant quelques paroles peu glorieuses à l'encontre de leurs opposants, faisant état de lattage de cul et d'insultes en tout genre. Et là, enfin, le combat débute, et... s'achève rapidement, car au bout du trentième affrontement contre ce groupe d'ennemis, vous ne savez que trop bien comment vous y prendre pour en finir vite fait bien fait. Bref. Tin tin tiiiiin ! La fanfare retentit pour célébrer votre victoire, l'occasion pour vos personnages de prendre à nouveau la pose, et pour vous de faire les comptes : points d'expérience, argent récolté, objets gagnés, etc. Ouf, le combat est terminé, et vous voici de retour dans cette grotte obscure dont vous ne voyez pas le bout. Mais à peine avez-vous eu le temps de vous soigner et de faire trois pas, que déjà c'est reparti pour un tour.

 
  Ecran et moral furent alors brisés de pair.                          Je brille tellement je vous ai lattés !... Encore." 

Les combats aléatoires, c'est un peu le hoquet du RPG. Ça nous prend par surprise, nous agace avec une régularité insolente, et, pire que tout, ça ne s'arrête jamais. A tel point que l'exploration d'un donjon et les choix, vos choix qui en découlent, ne sont plus guidés par une simple curiosité, ni par le noble désir de faire avancer une quête, mais plutôt par l'impératif d'éviter au maximum ces joutes de malheur. Aussi en vient-on à redouter les intersections, et l'éventualité que le chemin emprunté nous mène à un cul-de-sac, au lieu de nous amener au plus vite vers la fin du donjon. D'un autre côté, le dilemme qui se pose est pour le moins terrible, car le joueur qui cherche à acquérir quelques trésors doit bien se douter que l'une de ses voies mène potentiellement à un coffre, voire même à plusieurs d'entre eux, et qu'il serait idiot de passer à côté. Seulement voilà, comment savoir, une fois engagé dans la voie choisie, que l'on fait route vers les trésors et non la "suite" du donjon ? Au bout de quelques mètres, le doute s'installe, et l'on décide soudain de revenir en arrière pour aller explorer l'autre voie, juste au cas où. Ah, zut, c'est la voie pour continuer, je veux des coffres ! Demi-tour ! C'est ainsi que toutes ces incertitudes, et tous les détours qui en découlent, nous ont vite fait crouler sous une avalanche de combats aléatoires, et l'on finit par se maudire de ne pas avoir eu le nez assez creux lorsqu'il était temps de choisir le bon chemin, voire de maudire le principe-même d'intersection, en lâchant ceci par exemple :

 

"On peut donc pas faire trois pas sans se retrouver devant une %$#§£$# d'intersection ?!"

 

A ce stade, un petit aparté sur les coffres me paraît très opportun. Ne vous est-il jamais arrivé, en apercevant au loin cet objet du désir, de sentir l'excitation monter à mesure que vous vous en rapprochez, puis de vitupérer sous le coup de la frustration lorsqu'un combat se déclenche alors que vous n'étiez qu'à quelques centimètres, à quelques millimètres d'en découvrir le contenu ? Et tout ça pour quoi ? Une potion, un antidote, quelques piécettes, et plus rarement - beaucoup trop rarement hélas - une pièce d'équipement. Est-ce là le prix de notre avidité, une façon démoniaque qu'auraient mis au point les développeurs pour nous punir de notre avarice ?...

 
Ok les mecs, c'est pas drôle là...                                                                  Aaaaargh !                    

Toujours est-il que, au terme d'une longue et éprouvante guerre d'usure, ces batailles finissent par avoir raison de votre abnégation, et ce sentiment terrible, irréversible s'installe alors. La lassitude ! Et les symptômes qui caractérisent cet état extrême de désespoir sont nombreux : soupirs à l'amorce d'un énième combat, avachissement de plus en plus prononcé sur le canapé, nerfs à vifs, perte de concentration. A cela toutefois, il existe un remède, dont les joueurs n'hésiteront pas à user et abuser lorsque les symptômes se feront trop virulents. Dès l'entame du combat, celui-ci consiste à... fuir, tout simplement. Attention toutefois aux risques d'overdose, car vous pourriez alors, à force d'user de fuites de manière trop répétée, développer de sérieuses carences au niveau de l'expérience et du porte-monnaie qui, à terme, pourront s'avérer handicapantes, voire fatales lorsque viendra le moment d'affronter un boss pour lequel vous ne seriez alors pas assez expérimenté, ni assez bien équipé.

 

Restent alors deux solutions, dont le "ragequit", aussi appelé le "lancer de manettes impulsif à l'autre bout de la pièce". La seconde, plus soft, consistant à enchaîner de son plein gré les combats aléatoires, soit pour rattraper un déficit d'expérience, soit pour économiser suffisamment d'argent en vue d'acheter cette épée modèle dernier-cri avec double affutage et double bottage de cul, que vous aviez vu en vente plus tôt à un prix ridiculement haut. Mouvements circulaires répétés dans une zone hostile, allées et venues continues entre un point A et un point B, le tout sans trop s'éloigner du point de sauvegarde, cette technique ancestrale et primitive que l'on nommera "farming" sera bien souvent la clé du succès. Mais comble de l'ironie, vous en arriverez encore à pester contre ces combats aléatoires, non pas contre une fréquence d'apparitions trop haute, cette fois, mais trop basse. Et d'en arriver à dire, ou à penser ceci :

 

"Bon, il arrive quand ce combat de #@$/£§# ?!"

Car oui, vous êtes un poil sur les nerfs après tout ce que vous venez d'éprouver. D'ailleurs, vous pensiez en avoir terminé après avoir botté les miches du boss au fond du donjon ? Eh non ! Fourbes qu'ils sont, les développeurs ont décidé que vous deviez désormais en sortir par vos propres moyens. Et si dans ceux-ci ne figurent pas de sort pour revenir à l'entrée, ni d'objet qui en assume la fonction, alors vous êtes bons pour vous retaper à pied le chemin en sens inverse. Avec l'éventualité de combats aléatoires toujours présente, mais est-il vraiment besoin de le préciser ? Courage, toutefois, car le bonheur vous tend les bras, et ce n'est pas quelques combats de plus qui vous en priveront !

 

Pour conclure, j'aurais pu vous parler du concept d'énigmes, et de leur propension, parfois, à vous envoyer activer un interrupteur à l'extrémité droite de la pièce, pour ouvrir une porte située à l'extrémité gauche, tout ça pour découvrir que l'accès débloqué permet d'activer un autre interrupteur qui ouvre cette fois la vraie porte située à... l'exact opposé d'où vous êtes. J'aurais pu également vous parler des coffres piégés, qui vous bazardent un combat de plus dans la tronche dès que vous les ouvrez, mais je pense avoir déjà suffisamment déversé ma bile sur le sujet pour m'y attarder davantage. Et qu'aurait pu t-on dire de cette évolution, cette révolution plutôt, qui consiste maintenant à rendre les combats visibles, et donc évitables ? L'antithèse même des combats aléatoires, le héros métaphorique d'une quête pour préserver nos RPG du mal qui les corrompait jusqu'à alors. Enfin, j'aurais également pu vous citer quelques exemples de cas à part, comme les faux combats aléatoires qui jonchent le dernier donjon de Final Fantaxy IX, ou le principe de curseur multicolore dans Legend of Dragoon visant à vous prévenir de l'imminence ou non d'un affrontement. Bref, le sujet est vaste, mais l'ampleur des dégats que ces combats de malheur auront provoqué ne l'est pas moins. Maudissons-les, haîssons-les de tout notre saoul ! Et pour finir, rejetons-les !

 

Combat aléatoire... va te faire voir !