Note préalable : j'ai écrit cet article en essayant de ne pas trop spoiler, mais je fais plusieurs fois allusion, sans les citer explicitement, à certains événements importants du jeu. En revanche, libres à vous de spoiler à volonté en commentaires. Soyez donc prévenus !
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Aujourd'hui, j'aimerais vous parler d'un sujet qui me tient à cœur. Vous n'êtes pas sans savoir que dans le monde, il y a des guerres, de la haine, du rejet, et tant d'autres fléaux qui font des ravages dans le cœur des hommes. C'est pourquoi il faut adopter une attitude "pacifique", comme l'océan, vaste étendue d'eau infinie et abyssale, où des bancs de poissons entiers, fort peu concernés par d'aussi futiles problématiques que les nôtres, suivent le courant de la chaine alimentaire pour, finalement, honorer quelques requins de leur chair si délicieuse. Tout au plus un apéritif pour ces insatiables prédateurs, car le plat de résistance se trouve ailleurs, sur les plages de quelque ilot hawaïen, où il dompte les vagues avec une simple planche, s'offrant ainsi quelques moments de grâce maîtrisés par des années d'expérience et de pratique. Ainsi pourrait-on dire de Hironobu Sakaguchi, développeur mais surfeur dans l'âme, qu'il aime s'aventurer dans ces eaux hostiles peuplées de requins aux dents longues, avec en tout et pour tout qu'une modeste planche de bois, dans le but simple d'éprouver à nouveau cette sensation si familière, si plaisante, peut-être même si grisante, qui a contribué depuis plus de vingt-cinq ans à entretenir sa légende. Celle d'un conteur hors-pair, qui nous revient avec cette nouvelle, et dernière histoire...
...mais une dernière histoire somme toute assez classique et convenue, pour couper court à tout suspense. Reprenons du début : nous incarnons Zael, membre d'un groupe de mercenaires à l'avenir incertain, et jeune homme plein d'espoir qui aspire un jour à devenir chevalier. Un rêve, une ambition que partage son camarade d'infortune Dagran, qui voit en cette perspective un échappatoire à cette vie instable de mercenaire. Si l'on comprend assez vite que ces deux-là sont les piliers de la bande, il serait malvenu de ne pas citer leurs autres compagnons, hauts en couleurs et en stéréotypes, parmi lesquels Lowell, le charmeur au grand cœur, mais aussi Yurick, le plus taciturne d'entre eux qui, fils de pirate oblige, arbore à l'œil droit un fier bandeau de... pirate. Enfin, pour équilibrer un peu ce casting jusque là masculin, n'oublions pas la mystérieuse Mirania, dont le tempérament doux et posé contraste avec celui de Syrenne, la dévergondée du groupe, qui ne pense qu'à l'alcool, qu'à la taverne, qu'à l'alcool, qu'à la taverne, et qui ne manque jamais d'utiliser à outrance le terme "murge" pour parler avec passion de ce grave problème d'addiction.
Un casting varié donc, à défaut d'être profondément marquant, auquel viendra se greffer la belle Calista, princesse malheureuse de l'île de Lazulis, dont la rencontre fortuite avec notre héros n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle de Djidane et Grenat dans un certain Final Fantasy IX. Bref, tout ce petit monde constitue notre équipe tout au long de l'histoire, certains s'en allant, certains revenant, et force est de constater que, malgré le peu d'empathie que j'avais à leur égard dès les premières heures, on finit par s'attacher à eux, notamment via cette abondance de dialogues circonstanciels qui, entre deux phases d'action, permettent de confronter les caractères des uns et des autres, sur des détails parfois subtils, voire futiles, mais qui ne manquent pas d'apporter au périple une touche de vie sensible, et plutôt bienvenue. Mais tout ce qui permet de faire oublier le lag ambiant ne peut qu'être bien vu.
Ahem, passons.
Bon par contre, ils ont de drôles de tête parfois.
Dans un registre lié, j'ai souvent lu comme reproche que le jeu était assez court. Ce qui peut, selon moi, s'expliquer par le rythme assez élevé de l'aventure; les quelques quarante chapitres qui la constituent s'enchainent en effet rapidement, certains ne dépassant qu'à peine la demi-heure, et à moins que vous ne trainiez un peu en ville pour dégoter quelques quêtes bonus, ou pour aider mémé à tricoter un pull en allant chercher cinq morceaux de fil de soie et une aiguille, l'histoire se boucle en effet assez vite, mais reste très dense malgré un léger coup de mou à l'orée des chapitres vingt et quelques. Les dernières heures, tout particulièrement, sont si intenses et dénuées de temps mort qu'on s'étonne à réaliser au bout d'un moment que, oui, on est bien engagés sur la dernière ligne droite depuis tout ce temps. Est-ce un défaut pour autant ? Est-il préférable de passer cinquante heures répétitives et lassantes, que vingt-cinq relativement intenses ? Je ne pense pas. Ce qui est sûr, c'est que passer vingt-cinq heures à lagger, ça, c'est pas terrible.
Ahem, passons.
Bien, on vient d'évoquer les personnages, le rythme, et jusque là c'est pas trop mal. Mais vous l'avez lu plus haut, l'histoire en elle-même ne déborde pas d'originalité et se veut, dans l'ensemble, assez prévisible. Si l'on retrouve bien les thématiques chères à Sakaguchi, comme l'écologie, ainsi qu'une certaine touche humoristique qui lui est propre, le scénario n'en reste pas moins gangréné ci et là par des stéréotypes usités, et par de furieux airs de déjà-vu qui, hélas, ne dépassent pas ou si peu leur cadre habituel. Qui plus est, les quelques twists scénaristiques censés nous surprendre un tantinet sont cousus de fil blanc, en particulier le dernier "coup de théâtre" que l'on voit venir à trois kilomètres en tenant des jumelles à l'envers, tant il est prévisible et mal dissimulé; alors certes, il ne sort pas de nulle part, mais je m'interroge quand même sur la surabondance d'indices grossiers que l'on nous donne à ce sujet au fil de l'histoire, qui rend cet ultime twist beaucoup trop téléphoné et, par conséquent, beaucoup moins fort. Mal-exploité ? Peut-être.
Avant de passer à des considérations plus techniques, j'aimerais terminer en abordant les choix faussement cornéliens auxquels nous sommes parfois confrontés, et qui ne nous proposent en réalité qu'une seule véritable réponse, la seconde étant "d'attendre et réfléchir" pour délayer cette question à choix unique. Ça peut paraître trivial, mais je vous avoue que ça m'a frustré; non pas parce que j'attendais de ce jeu qu'il me laisse décider de ma propre histoire, mais parce que les enjeux que l'on nous fait ressentir peu avant m'avaient véritablement emballé quant à la perspective des conflits que l'une ou l'autre de ces alternatives allait immanquablement provoquer. Je l'admets, c'est un peu rattrapé plus tard, dans le sens où, à un moment crucial de l'intrigue, on nous implique enfin dans l'un de ces choix en nous demandant, concrètement, d'accepter ou de refuser quelque chose. Choix illusoire qui, quelle que soit la réponse, aura les mêmes conséquences ? C'est probable, mais ma frustration, elle, s'est un peu atténuée suite à ça et c'est un moindre mal. Restera tout de même cette déception, qu'il me paraît toutefois important de relativiser, car ce n'est pas facile de passer après Tactics Ogre, qui a fait le bonheur de ma PSP tout récemment et dont la particularité, appréciable, réside dans les nombreux embranchements scénaristiques qui nous sont proposés via de réels choix. Relativisons donc là-dessus, mais rappelons-nous par la même occasion le plaisir simple et insoupçonnable de jouer à un jeu dénué de lags. Ouais, c'était vraiment cool.
Ahem, passons.
J'aimerais bien, c*nnard.
Extirpons-nous donc de ces quelques considérations scénaristiques pour nous pencher sur ce qui étonne finalement le plus dans ce jeu, à savoir son système de combat. Première surprise, et après deux minutes chaotiques à se dire "boudiou, mais c'est quel bouton pour attaquer ?!", on finit par comprendre que c'est l'orientation du stick qui permet de déclencher l'assaut de base. Déroutant de prime abord, et pas toujours bien maîtrisable, ce système permet à moyen/long-terme de se focaliser sur les nombreuses capacités spéciales qui nous sont octroyées au compte-goutte durant l'aventure, à un rythme suffisamment régulier, d'ailleurs, pour ne pas sombrer dans le répétitif et lassant. Le gameplay évolue et s'enrichit donc constamment de nouvelles options, du début à la fin, ce qui est un excellent point malgré la difficulté relativement basse du jeu (dans les trois premiers quarts, disons). En revanche, l'IA de vos ennemis est, hmm, comment dire ?...
...ULTRA STUPIDE !!
Et encore, je pèse mes mots. Qu'ils soient humains ou bestiaux, vos adversaires vous perdront purement et simplement de vue lorsque vous aurez la brillante idée de vous cacher derrière un mur, pilier, ou autre baril nain, quand bien même furent-ils littéralement à trente centimètres de vous. Vous me direz, ça avantage le gameplay et les "attaques-surprise" (*kof kof*), mais à quel prix ? Le point d'orgue étant cette séquence d'infiltration invraisemblable vers le milieu de l'histoire, où l'on se retrouve à endormir des adversaires à coups de flèches soporifiques, sans JAMAIS que cela ne suscite l'étonnement chez leurs comparses, qui continueront de marcher nonchalamment et d'éviter soigneusement, comme si elles n'existaient pas, les masses lamentables qui jonchent pourtant leur route. Et c'est en partie à cause de ça que le jeu est si simple, le comble étant d'ailleurs que vos compagnons sont un peu plus malins - quoi que, à bien réfléchir, j'ai souvenir d'un boss très pénible qui, absorbant l'élément glace, a pu compter sur le soutien acharné d'un des mes coéquipiers magiciens, avant que celui-ci ne finisse par rendre l'âme. Cinq fois, parce que oui, chacun de vos personnages se voit généreusement accorder cinq vies à l'orée de chaque bataille. Et c'est long, cinq vies. Croyez-moi.
On dira que je chipote, à raison; le système dans son ensemble regorge réellement de bonnes idées et vous confronte parfois à des situations solvables de diverses façons, fine ou bourrine, bien que cette dernière option passe un peu trop facilement à mon goût. Le principe des halos, pour conférer divers bonus/malus est également sympathique, et l'aspect collectif poussé des joutes me plait bien, avec notamment la possibilité de jouer les tanks pour permettre à vos compagnons de lâcher la sauce en toute impunité. Alors oui, il arrive que ça soit chaotique, qu'on ait du mal à s'y retrouver, ou que notre plan ingénieux tombe à l'eau pour des broutilles, mais le potentiel est là et, finalement, pas si mal exploité.
Représentation visuelle fidèle d'une situation de combat banale dans The Last Story.
J'en ai déjà beaucoup dit, aussi me contenterais-je de résumer de manière assez concise quelques éléments, triviaux ou non, qui m'ont interpellé à moindre échelle.
En vrac, donc :
- Graphiquement, ça tient plus que la route, et la cité de Lazulis est plutôt bien fichue, mais on sent que la Wii n'était peut-être pas la plus adaptée pour les ambitions du jeu. D'autant plus que les fonctions spécifiques de la console ne sont absolument pas mises à contribution.
- On peut également parler de l'effet bullet-time, fort bien réussi ma foi, qui se déclenche automatiquement quand vous êtes assaillis par une masse imposante d'ennemis. Hmm, à moins que ce ne soit du lag...
- Une arène de combat décevante, qui ne comporte que deux voire trois configurations de combat différentes, ce qui est peu, il faut bien le dire. Surtout qu'il faut attendre un sacré bout de temps avant de voir arriver la deuxième...
- Geri Halliwell chantait "It's Raining Men"; pour Sakaguchi, ce serait plutôt "It's Raining Meteors". Serait-ce là une thématique récurrente insoupçonnée de notre ami moustachu ? Rappelez-vous FFV, ou encore FFVII. Il en fout partout, de ces gros cailloux.
- Je ne sais pas si je l'ai suffisamment répété mais ça lag, parfois. Quand y a trop de trucs à afficher, en fait. Donc souvent.
- Le système de combat est pensé collectif, comme je l'ai expliqué plus haut, ce qui rend certaines scènes à vocation épique (un duel entre deux personnages, par exemple) assez... étranges.
- A t-on déjà vu dans un RPG, ou un jeu vidéo en général, un manoir qui ne soit pas hanté ? Non, je demande, parce que celui de The Last Story l'est aussi. Même que *SPOILER* y a un vampire et un gosse fantôme, un gostôme.
- Le jeu ne met pas la console à genoux, c'est totalement faux. Il la fout à plat ventre sur le sol, lui bloque les bras et les jambes, lui casse trois cottes au passage et lui dilate l'anu... Hem, bref. Ça lag.
C'est pas clair à l'image, mais c'est une nuit orageuse. Brrrr...
C'est donc au final avec un avis riche de contrastes que je vais conclure cet article déjà bien long. S'il ne m'a clairement pas emballé de par ses lacunes techniques et scénaristiques, c'est cependant un bon sentiment que m'aura laissé The Last Story qui, malgré sa durée de vie que d'aucuns qualifieraient de trop courte, reste marquée de l'empreinte de son créateur, à savoir une narration certes prévisible, mais maîtrisée. Alors on rechigne un peu, on se moque gentiment de quelques clichés ci et là, mais on a tout de même envie de se laisser entrainer et de voir comment va se terminer, même si on en a déjà une vague idée, cette histoire au rythme soutenu, porteuse de valeurs chevaleresques et écologiques, et entremêlée d'émotions efficaces bien que parfois faciles et artificielles. Une bonne expérience donc, renforcée par un système de combat novateur mêlant stratégie, infiltration et action, pour un résultat certes perfectible mais plutôt convaincant. Et ce, malgré les lags.
Ah, et je ne peux bien évidemment pas passer sous silence les compositions de l'ami Nobuo, qui nous gratifie une fois de plus d'une partition d'ensemble de très bonne facture, atteignant même des sommets sur certains thèmes dont Toberu Mono, que je vous propose d'écouter dès à présent en guise de conclusion.
Et sinon, je vous ai dit que ça laggait ?...