Nintendo est déroutante. Cette capacité à évoluer à contre sens de l'histoire (la course à la puissance) caractérise une stratégie de cavalier seul qui l'a propulsée au premier rang mondial. Elle récidive avec une Wii U calibrée pour une nouvelle fois bouleverser les règles du jeu. Alors que Microsoft a dépensé des milliards de dollars pour prendre d'assaut le téléviseur au détriment du PC et que Sony se démène avec l'énergie du désespoir pour renflouer sa branche télévision au déficit abyssal, Nintendo veut rompre radicalement avec ces mauvaises habitudes dépensières. Elle souhaite tout simplement éteindre la TV reine.
 
C'est Miyamoto en personne qui détaille dans les colonnes du site 1up.com la stratégie audacieuse et presque insensée du géant japonais. Dans un premier temps, le célèbre game designer retrace la feuille de route qui a autrefois orienté la planification des consoles et jeux Nintendo : "Dans le passé, nous avions créé des jeux dédiés à une console et parfois nous fabriquions une console afin d'être en mesure de créer un jeu spécifique." L'inévitable SuperMario 64 vient à l'esprit, la manette et son stick improprement qualifié d'analogique avait introduit un nouveau standard que l'industrie du jeu vidéo dans son ensemble s'est empressée d'adopter. La manette de la GameCube et de la Wii surferont sur cette même expertise.
 
Toutefois, pour les stratèges de Nintendo les choses ont maintenant évolué. Le divertissement se veut plus créatif et multi-écrans : "ce que nous commençons à vérifier, c'est l'extension du jeu vidéo vers d'autres supports à écrans" déclare le golden boy du constructeur. Il poursuit : "d'après ce que je vois, avec la Wii U en particulier, c'est que la télévision n'est plus indispensable à notre console. Parce qu'elle embarque son propre écran. Bientôt, les joueurs se brancheront en priorité à l'écran de la manette." Cette portabilité préfigure selon Miyamoto des modèles d'expérience de demain : "la manette deviendra une passerelle pour répondre à un tas de besoin, qu'il s'agisse de services de socialisation ou d'une séance de jeu vidéo voire regarder le plus simplement du monde un programme télé." Et de cette convergence des écrans, le numéro un mondial prévoit d'assurer une interaction entre tous les écrans du quotidien (smartphone, tablette...) afin de faire de sa manette une interface Unifiée.
 
Le téléviseur ne serait pas seulement le grand perdant de la stratégie de Nintendo. La Wii U est également une victime potentielle de ce revirement spectaculaire. A l'occasion d'un entretien accordé au site Kotaku.com, le plus grand créatif de sa génération poussait sa déconcertante réflexion : "en définitif, quel est le rôle de la coque extérieure ? Nous avons estimé que l'apparence externe est une variable de moins en moins déterminante dans la mise en place d'une identité imaginée pour une console de salon". Car le vrai visage de la Wii U "c'est son contrôleur. Notre sentiment est que cette console pourrait être rangée dans le placard de la télé."
 
Une réflexion stratégique aux antipodes de ses concurrents très à cheval sur la valorisation du hardware branché à l'incontournable poste de télévision. Les semaines qui viennent s'annoncent riche d'enseignements quant à la validation ou non de cette surprenante logique de marché.