A triste raison, Ubi Soft y croit dur comme fer : les jours de ces fameux jeux triple A sont comptés. Ceux dont le pédigrée soulève à la fois l'enthousiasme pour ses graphismes léchés et souvent la controverse pour ses tests proches des brochures commerciales, "n'ont plus d'avenir" d'après Patrick Redding en charge du développement du prochain Splinter Cell.
 
C'est un véritable coup de massue pour l'industrie dont la croissance est habituellement rythmée par des jeux de grande envergure, mobilisant des centaines de développeurs, nécessitant plusieurs dizaines de millions de dollars pendant près de trois ans ainsi qu'un seuil de rentabilité très élevé. Et les éditeurs qui s'engagent dans cette quête du Saint Graal se comptent sur les doigts d'une main. Si bien que ces heureux élus n'hésitent pas, à l'exemple d'Ubi Soft avec Assassin's Creed 3, à saturer l'espace médiatique pendant plusieurs mois afin d'assurer au jeu une carrière commerciale très lucrative et accessoirement faire de l'ombre à la concurrence.
 
Cette provocante déclaration est d'autant plus inquiétante qu'elle émane justement d'un éditeur champion des grandes licences : "le marché va dans son ensemble connaître un important bouleversement dans la fixation de ses priorités, la prévalence absolue des graphismes, de la production de valeur ajoutée" prévient Redding. Ce renversement de la hiérarchisation des priorités touchera surtout les développeurs spécialisés dans la production industrielle de suites de grande franchise. Cette situation donnera également l'occasion aux petites structures de prendre leur revanche sur une évolution de marché qui n'a eu cesse de les pousser à la marge.
 
Il distingue trois facteurs responsables de cette nouvelle donne : le joueur de mieux en mieux "éduqué", les canaux de distribution dématérialisés, et l'inévitable augmentation des coûts de production. Toutefois, cela ne signifie pas pour autant des productions au rabais anticipe le producteur. Bien qu'il qualifie cette nouvelle génération de jeux vidéo de titre triple "a" (écrit en minuscule), cette catégorie s'oriente vers "une conception systémique". C'est à dire imaginer une approche qui offre un éventail de possibilités au joueur plutôt qu'un cheminement "rigide" comme c'est le cas actuellement.
 
 
Cette méthode d'élaboration originale comporte néanmoins de gros risques admet Redding. Le retour sur investissement est plus qu'incertain, il ne se solutionne pas uniquement en mobilisant plus de designers à l'exemple des jeux "AAA". Le résultat obtenu pourrait même être l'effet inverse.
 
Et comble du comble pour une industrie donnant au joueur l'illusion d'être libre de ses choix et de ses déplacements à l'intérieur de mondes virtuels, les créateurs de jeux devront s'effacer au bénéfice de ce dernier. Désormais, le rôle du créatif se bornera à mettre en place des mécanismes de jeu, au joueur et à lui seul d'en saisir le potentiel et d'écrire sans la tutelle d'un game designer, sa propre histoire. L'incontournable Minecraft vient immédiatement à l'esprit de Redding car il synthétise cette passation de pouvoir entre le professionnel et le joueur. Enfin, le "multi-joueurs asynchrone" est perçu comme la clef de voute des jeux "aaa". Le joueur ne dépend plus d'une session multi-joueurs, c'est à elle de s'adapter à son emploi du temps et ses envies.
 
C'est une profonde et ambitieuse mutation que Redding appel de ses voeux. Elle est opposée à celle du président de Rockstar, d'Electronic Arts, de Square Enix, d'Activision et surtout d'Epic qui a fait de ses moteurs 3D le maître étalon des jeux nouvelle génération. Ubi Soft paraît donc bien seul dans sa quête d'assainissement par le haut du marché du jeu vidéo.