Yop tous,

Vous avez peut-être déjà vu passer quelques articles sur le sujet, toujours est-il qu'il semble que la bande dessinée belge soit dans le colimateur de nos grands penseurs par les temps qui courent. Et pas pour de très belles raisons. Les classiques de la BD, à savoir les schtroumpfs, Astérix et Tintin sont en ligne de mire pour des raisons que je qualifierais d'emblée fallacieuses. Je m'explique.

Tout a commencé avec Tintin, et le fameux opus Tintin au Congo. Si vous l'avez lu, vous y avez certainement constaté que l'image de l'homme noir n'est guère avantageuse. De fait, Hergé avait placé son intrigue à l'époque de la colonisation et donc, selon ses propres termes dès 1975, avait indiqué avoir souhaité reproduire l'image que la société de l'époque se faisait des civilisations africaines. Mais le XXIè siècle n'est guère tendre avec ce type de représentations, au point d'en devenir stupide. En 2007, en Angleterre, la commission pour l'égalité raciale a ainsi jugé l'ouvrage "porteur de préjugés racistes abominables", au point de faire ajouter un préambule d'avertissement à l'ouvrage. De quoi susciter un frisson dans le dos.

Hergé aurait-il été facho? C'est la thèse que l'on a pu lire ici et là. Le fait que le dessinateur ait été accusé de collaboration avec l'ennemi pendant l'Occupation, durant la Deuxième Guerre mondiale, n'a sans doute pas aidé. Mais c'est oublier l'accueil que l'Afrique a réservé à l'oeuvre à l'époque. En 1969, la revue Zaïre analysait ainsi le sens de l'imagerie véhiculée par le dessinateur: «si certaines images caricaturales du peuple congolais données par Tintin au Congo font sourire les Blancs, elles font rire franchement les Congolais, parce que les Congolais y trouvent matière à se moquer de l''homme blanc qui les voyait comme cela». On y comprendra donc que l'oeuvre est avant tout fruit de son époque davantage que traduction d'intentions néfastes de l'auteur, et elle est à comprendre dans son contexte exclusivement, celui des années 1930. Et cette thèse a le mérite de rendre plus compréhensible la figure de Chang, particulièrement humaniste et sensible. Un "raciste" n'aurait jamais pu concevoir une telle amitié pour Tintin.

Depuis, les choses se sont un peu tassées, mais ceci pour reprendre de plus belle avec Peyo et ses "Schtroumpfs". En juin 2011, Antoine Bueno, maître de conférence à l'IEP de Paris et romancier, publiait le Le petit livre bleu. Et là encore, quelle image des héros de notre enfance: selon l'auteur, la société schtroumpfe serait rien moins qu'"un archétype d'utopie totalitaire empreint de stalinisme et de nazisme". Les termes sont forts, Bueno soupçonne les schtroumpfs de xénophobie et de misogynie. Pire, le sorcier Gargamel, avec son nez crochu, serait une caricature antisémite. Que d'intentions, décidément, prêtées aux petits hommes bleus. (A lire, l'entretien avec Bueno: https://www.actuabd.com/Antoine-Bueno-Le-village-des)

Evidemment, la réaction des auteurs de bandes dessinées et des fans des schtroumpfs ont été à la hauteur des attaques. N'empêche que désormais, le mal est fait. Et il me semble donc important de rappeler, tout simplement, que Peyo était tout sauf un homme engagé. Et qu'une fois encore, je trouve très dangereux de surinterpréter ce qui doit rester une oeuvre à voir avec des yeux d'enfant. D'autant que cette vision est très vraisemblablement complètement fausse, qui plus est. C'est davantage une société fondée sur le respect mutuel et l'absence totale de violence et d'agressivité que Peyo a essayé de décrire, en partant de l'imagerie d'un village traditionnel et don chef, aussi sage que vénérable. Pour faire clair: un monde idéal, et plus ouvert sur l'extérieur que semble le croire Bueno: il arrive ici et là aux petits hommes bleus de venir en aide à ceux qui sont en détresse.

Enfin, vient le dernier coup de boutoir porté aux génies de la BD belge. Depuis la mi-septembre, c'est cette fois Astérix qui fait l'objet de l'ire de quelques "grands" penseurs. En l'occurrence, le philosophe Michel Serres, sans doute tout émoustillé de se voir offrir un peu de temps à la radio, a porté une attaque sous la ceinture à l'oeuvre de Goscinny et Uderzo, qualifiant notre gaulois préféré d'"éloge du fascisme et du nazisme". Là, franchement, c'est le pompon. Et le gaillard a des arguments: les Gaulois utilisent la force pure pour se sortir des problèmes, donc c'est forcément facho. Ils baillonnent le barde? C'est que le modèle de société proposé par Astérix est anti-culturel, et ce n'est sûrement pas parce qu'Assurancetourix chante faux. Et la potion magique? "Un éloge de la drogue", estime Serre. La connerie, lui, c'est sûr, il est tombé dedans quand il était petit.

Depuis, Michel Serres est revenu sur une partie de ses propos, constatant l'émoi suscité par son analyse. Mais là encore, il vaudrait peut-être mieux, parfois, tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. Cela aurait laissé le temps à cet éminent chercheur de découvrir que Goscinny était d'origine juive polonaise et qu'une partie de sa famille est morte à Auschwitz durant la Deuxième Guerre mondiale. Et cela lui aurait peut-être permis de mieux comprendre pourquoi, dans les années 1960, la figure d'Astérix était davantage considérée comme un symbole de la Résistance. Après tout, toute la Gaule est occupée. Toute? Non, car un petit village d'irréductibles Gaulois continue à résister. Moi, le sous-texte de l'intro des ouvrages me parle nettement plus clairement que les âneries proférées contre le petit guerrier.

J'imagine que cette relecture soi-disant "adulte" des oeuvres qui ont fait notre bonheur durant l'enfance ne fait que commencer. On n'a pas encore parlé de Franquin, après tout, et je suis sûr que l'un ou l'autre champion de la réflexion va bien nous trouver quelque chose pour affirmer que Gaston est un hymne à l'anarchisme et que Prunelle renvoie au rêve d'une société militaire où tout le monde marcherait droit à coups de pompes dans le cul. Mais par pitié, que ces personnes-là se rendent compte qu'elles sont en train de souiller ce qui faisait partie de l'innocence de notre enfance. Personnellement, je le vis mal. J'espère simplement que les parents et futurs parents n'en nourrirront pas quelques hésitations avant de partager ce bonheur des planches avec leurs enfants...

A lire aussi, un très bon papier résumant la situation: https://livres.fluctuat.net/blog/50494-asterix-est-il-nazi-resistant--ou-juste-gaulois-.html#