NOTE : L'article a été rédigé par bleubleubleu initialement pour Numericity.fr

 


Lors de ma courte expérience d'internaute j'ai souvent eu l'occasion de m'emporter sur les fora consacrés au jeu. Pour des raisons diverses et variées, l'impression de ne pas être compris, l'impression d'être pris pour un imbécile, en réponse à des insultes, en réaction à des discours biaisés prétendument objectifs mais racistes ou partisans, gratuitement parfois parce qu'on ne se défait jamais soi-même d'une part de bêtise.
Il ne m'était encore jamais arrivé de ne pas pouvoir m'emporter! C'est arrivé dernièrement suite à la sortie japonaise de Final Fantasy XIII le 17 décembre dernier; le nombre et la violence des attaques portées au titre de Square-Enix par une majorité de personnes n'y ayant pas seulement joué m'aura laissé incrédule et interdit sur mon siège. Le phénomène mérite bien une petite analyse.

Annoncé en 2006 avant même la sortie occidentale de son prédécesseur, Final Fantasy XIII se sera fait attendre. Sur une période de promotion qui a donc duré quatre ans, en parallèle de sa production, le jeu fut montré tour à tour comme le symbole de la fuite des exclusivités Sony vers la concurrence et de la généralisation du développement multi-plateformes chez les développeurs tiers, le plus grand espoir des rôlistes (et des boutiques import), l'exemple de la démesure tentaculaire de son éditeur, l'image d'un certain retard de l'industrie japonaise et son contraire, le symbole d'un retour de Sony aux affaires en 2009... Bref Final Fantasy XIII a su faire parler de lui.
Rien de comparable toutefois avec le nombre et l'importance des commentaires laissés par les joueurs sur les fora suite aux premiers retours, globalement négatifs, des journalistes professionnels. Le fil du jeu sur NeoGaf compte plus de 6000 messages, plus de 2000 commentaires chez Gamekult, plusieurs centaines de posts sur Kotaku; plusieurs dizaines de milliers de réactions sur les sites occidentaux quand la sortie japonaise du titre de Square-Enix ne concerne effectivement qu'une population de joueurs extrêmement minoritaires capables de payer le prix fort pour un jeu dans une langue qu'ils ne comprennent que partiellement et qui finalement, participent rarement à ces discussions sur la toile. La grande majorité des participants sont donc des joueurs qui réagissent non pas à leur expérience de jeu mais aux textes des professionnels sur lesquels ils se sont jetés en masse pour savoir enfin de Final Fantasy XIII, ce qu'il vaut.

On se serait certes attendu à des commentaires négatifs et en nombre, la série a toujours divisé les joueurs, mais pas à ce que la majorité des commentaires soient négatifs ni à ce qu'ils prennent une forme si radicale. Il est légitime de comparer ce qu'on lit d'un titre à sa propre expérience de la série. Chaque joueur a son (ou ses) Final Fantasy favori et attend du suivant des plaisirs comparables. Mais ce que l'on a pu lire par milliers sur le net ce ne sont pas des fantasmes de joueurs. On ne lit pas "ça ne me plaira probablement pas". On écrit "Final Fantasy XIII est un mauvais jeu de rôle", on porte un jugement de valeur sans avoir joué, on tente de l'inscrire dans une historiographie du jeu vidéo avant même qu'il soit sorti. Cela prend des formes différentes.

Il y a bien sûr l'éternel joueur PC élevé au grain des Baldur's Gates et à qui l'homonymie des deux genres, le jeu de rôle japonais et le jeu de rôle occidental, provoque de graves réactions urticantes sous prétexte que "Dans jeu de rôle il y a rôle. Dans les Final il n'y a pas de character building donc ce ne sont pas des jeux de rôle."
Il y a ensuite la victime de la mode ou "l'anti-Nomura" dont la moindre allocution contiendra nécessairement au moins une fois les mots gel ou lotion: "Non mais comment tu veux faire un scénario cohérent avec une héroïne aux cheveux "blond-rose"? De toute façon, ils ont tous le cerveau figé dans le gel de coiffure."
Ces deux personnages et leurs critiques nous sont familiers, presque sympathiques. Mais si leur discours ne manque pas de nous faire rire (car dénué de logique) il révèle un effet pervers du web. Si sur Internet tout le monde peut parler de tout, très rapidement on ne sait plus qui est celui qui parle. Et ces détracteurs là contribuent effectivement à construire l'image d'un jeu et d'un genre qu'ils ne connaissent pas ou qu'ils n'apprécient pas. L'un et l'autre perçoivent le jeu et le présentent, à tort, comme pauvre en contenu ou superficiel. A les lire, on se croirait revenu à l'époque des années 90 où le jeu de rôle japonais était présenté comme des jeux d'aventures rébarbatifs et compliqués par une presse qui n'y connaissait rien.

Il y a ensuite le joueur hardcore qui ne saurait se satisfaire d'un jeu diffusé à plus de 25 000 exemplaires dans le monde. Trop de promiscuité avec la plèbe gâcherait manifestement son plaisir. De lui on peut lire "FF XIII est une belle merde, ça étonne quelqu'un? Vous auriez mieux fait de tester Demon's Soul au lieu de me faire perdre mon temps bande de caves."
On peut d'ailleurs s'étonner du succès franc que rencontre le D-RPG de From Software dans les fora, en tant que contre-exemple, alors qu'il n'eut intéressé que très peu de joueurs il y a quelques années. Probablement parce que le joueur hardcore est accompagné d'un rémora dont le grand plaisir semble être de tirer à boulet rouge sur les licences les plus commerciales, pour le style ("Final Fantasy, c'est pour les moutons! Hinhinhinhin!"). Ces deux personnages ci n'ont aucun problème avec Final Fantasy XIII. Le premier n'y jouera même pas d'ailleurs, tandis que le second y jouera suffisamment pour pouvoir clamer partout qu'il n'a pas dépassé tel point tellement il s'ennuyait. Ils ont un problème d'image. Les uns regrettent qu'une telle réputation d'excellence soit apposée à une titre mainstream quand les jeux qui les occupent, également excellents, ne bénéficient pas d'une couverture médiatique similaire. Les autres se soucient d'avantage de leur propre image que de jeu vidéo.

Il y a encore l'historien et le documentaliste qui depuis 1987 se sont efforcés de disséquer chaque titre de la série et d'en ranger les membres dans leurs casiers, soigneusement emballés et étiquetés, afin d'en évaluer objectivement les mérites et les faiblesses. Le documentaliste vient en premier, qui se charge de décréter (littéralement, l'infaillibilité de son jugement fait foi) ce qu'est Final Fantasy XIII: "RPG in rails, A-RPG, roman interactif, RPG cinématique, D-RPG, RPG couloir...". L'historien est le gardien du temple, sa charge lui impose de dégager les grandes tendances esthétiques et narratives de la série et de les hiérarchiser. Entre autres choses savantes et merveilleuses, l'historien peut écrire "qu'un joueur qui aime FFVI ne peut pas aimer FF XIII".
Ces deux personnages sont réellement représentatifs des débats qui se sont relancés autour de la sortie du jeu. Tous deux, avec un degré d'intolérance relatif, regrettent, reprochent ou refusent que Final Fantasy XIII s'écarte de leur vision personnelle de la série. Les moins hermétiques concèdent que le jeu pourrait être bon malgré tout et qu'ils pourraient même y prendre du plaisir. Mais il leur faut pourtant refuser catégoriquement de l'inscrire dans l'évolution naturelle du genre. "Ce n'est pas un bon Final Fantasy mais je le prendrais bien comme un Beat'em all ou comme un jeu d'aventure." Il leur faut savoir précisément la nature du plaisir qu'ils éprouveront à jouer au jeu avant même de l'éprouver; comme s'il était absolument essentiel de définir et de maîtriser le cadre dans lequel on joue, dans quel but, à quelles conditions (et à quel prix).

La qualité d'un débat dépend en premier lieu de celui qui l'introduit. En témoignent les innombrables news inutiles et racoleuses que produisent les sites professionnels et les flamewars qu'elles provoquent. Ici on peut se contenter de se moquer gentiment des commentateurs et montrer l'inanité de leurs critiques ou tenter de comprendre le pourquoi d'une telle vague d'intolérance.
Il est difficile de ne pas voir le lien entre ces sites qui se disent vouloir guider le consommateur dans ses achats et l'obsession du pattern de leurs lecteurs. A une époque où le jeu parvient laborieusement à se faire une place dans le paysage culturel, il est absurde de tenter d'en évaluer l'intérêt à l'aide du test traditionnel. En premier lieu parce que cela suppose qu'il existe un socle de qualités communes à chaque représentant d'un même genre, et plus largement à chaque jeu vidéo, sur lesquels il est susceptible d'être jugé. C'est ce que l'on fait en reprochant à Final Fantasy XIII sa grande linéarité. C'est ce que fait Gamekult en persistant à noter un jeu sur des critères datant des années 90, graphs, maniabilité, bande-son etc...

Si l'on considère que la liberté d'action est un critère constitutif d'un (bon) jeu de rôle, pourquoi Vagrant Story, également dénué de villes et de personnages non-joueurs, lui aussi composé de couloirs dans lesquels le joueur évolue d'une scène à une autre, serait-il meilleur que le dernier Final? Heavy Rain dont on sait déjà (c'est dire l'intérêt du système de notation) qu'il récoltera une très mauvaise note "en maniabilité" doit-il être considéré (déjà) comme "mauvais"? La critique du jeu vidéo telle que la pratiquent les sites généralistes est probablement la seule qui se propose d'évaluer la valeur d'un objet culturel, qui plus est sur des critères arbitraires et hermétiques plutôt qu'au regard de ce que l'œuvre se propose d'accomplir. C'est évidemment un problème parce que cela mène à l'incompréhension de l'œuvre dans un premier temps, puis parce que l'image donnée du jeu sera nécessairement biaisée, enfin parce que cela amène une uniformisation de l'image du médium, les meilleurs jeux distingués par les meilleures notes étant ceux qui correspondent le mieux au crible.

 

En marge de cette objectivation consumériste du jeu vidéo, certains sites pratiquent le relativisme. Une bonne critique est une critique passionnée, d'ailleurs le test ne reflète que l'appréciation de son auteur; fondée sur des critères évidemment subjectifs, elle ne souffre aucune contradiction. C'est pourquoi lorsqu'un lecteur tente d'émettre un avis contraire en questionnant le raisonnement d'un journaliste, il est rapidement prié de s'abstenir sous prétexte que "ce n'est que son avis et que cela ne mérite pas d'en débattre". Peu importe que ce que l'on écrive d'un titre soit juste ou pertinent pourvu que cela nous plaise de l'écrire et que cela agrée à notre communauté de sympathisants.
Il résulte de ce raisonnement une vision étouffée du jeu vidéo, volontiers clanique et qui n'a finalement plus grand chose à voir avec du journalisme. C'est également un problème parce que cela conduit toute une population de joueur à oublier que le jeu est en premier lieu une affaire de plaisir, en défendant mordicus leur vision personnelle face à une industrie qu'ils jugent agressive, invasive et parce que cela conduit là encore à une certaine intolérance.

Entre les deux il doit exister une place pour une critique et un public qui ne considèrerait pas que les attentes des uns et les jugements des autres font ou sont le jeu vidéo. Une critique capable de saisir le médium dans son ensemble et qui si elle se propose de parler de valeur (champ d'étude dont il reste à déterminer l'intérêt), ne fasse pas l'impasse de déterminer les intentions de l'objet dont elle parle avant d'en proposer une lecture quelconque.

 

bleubleubleu

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