Un étudiant en journalisme de l'Université de Cergy Pontoise m'a aimablement contacté suite à la publication de mon livre afin de réaliser un article sur les rapports entre nos hommes politiques et les jeux vidéo. Voici le fruit de notre interview et de ses recherches pour le compte de "M le journal" numéro 3, décembre 2013, page 7 et 8. Ce qui explique la mise forme du texte en colonne.

Des politiques

loin d’être geeks

La scène se passe en octobre

2010, dans le salon familial

de Nadine Morano. Celle qui

était alors secrétaire d’État à la famille

se prête volontiers aux flashs de

Paris-Match. Sur l’un des clichés, on

la voit jouer aux jeux vidéo avec son

fils. Le site Arrêt sur images relève

immédiatement le détail qui fait

tâche : Nadine Morano joue à GTA

IV, dont la saga symbolise à elle

seule le combat des politiques contre

les jeux vidéo dit “violents”.

 

Celle qui ne sévissait pas encore sur

Twitter a eu beau se défendre, affirmer

qu’il n’y avait là qu’une visée

pédagogique, le cliché a fait le tour

de la toile. Et ce qui aurait pu rester

un moment anodin de la vie privée

d’une personnalité publique représente

en réalité un paradoxe bien

français : les politiques ont peur des

jeux vidéo, pourtant première activité

culturelle du pays.

 

« Il faut interdire les jeux »

 

Depuis une quinzaine d’années,

chaque fait divers voit ressurgir la ritournelle

: « Il faut faire interdire les

jeux vidéo violents. »

L’année dernière,

la mouvance anti-jeux vidéo a

même atteint son acmé en pleine

campagne présidentielle après la tuerie

de Toulouse par Mohammed

Merah. Le farfelu candidat Jacques

Cheminade exigeait la taxation des

jeux vidéo « non pédagogique » et

l’interdiction des plus violents. Branle-

bas de combat au sein de la communauté

des passionnés qui se moque

et s’insurge contre ces détracteurs. Un

discours bien connu des joueurs

puisqu’en 1998 déjà, le sénateur MPF

Philippe Darniche évoquait des « jeux

vidéo défiant toute morale humaine et

civique », incitant « les adolescents à

la violence urbaine et aux combats de

rues. »

Contacté par la rédaction, il

confirme ses positions. « Beaucoup

de jeux vidéo font l’apologie de la

violence et ont, j’en suis certain, des

conséquences nocives sur les joueurs.

» Le sénateur propose même la

mise en place d’un comité d’éthique

afin « d’autoriser ou non la diffusion

des jeux vidéo. »

 

Pourtant, a-t-on déjà prouvé que les

jeux vidéo violents rendaient agressifs

? À ce jour, aucune étude sérieuse

en France ne l’a établi. Et le jeu vidéo

apparaît comme un bouc émissaire

idéal aux yeux de politiques étrangers

à ce monde. Benjamin Berget, spécialiste

du genre et auteur d’une récente

trilogie sur « L’histoire des jeux vidéo

polémiques », parle de politiques

« francs-tireurs ».

« Ils ne jouent pas

aux jeu vidéo,explique-t-il, mais ils

font savoir aux médias qu’ils abhorrent

les joueurs et les éditeurs, perçus

comme des dealers de violence (virtuelle).»

 

 

Et Benjamin Berget cite alors l’exemple du

jeu Rule of rose, que plusieurs qualifièrent

de « jeu pédopornographique. »

Lionel Lucas, alors député UMP des

Alpes-Maritimes n’avait pas mâché

ses mots : « L’objectif consiste à violer

une petite fille de 5 ans, c’est du nazisme

ordinaire. »

« Tout ceci n’est bien

entendu que de purs fantasmes, réplique

Benjamin Berget, mais comme

ces politiques là parlent de ce qu’ils ne

connaissent pas, ils se trompent lourdement.»

 

Et les exemples continuent d’alimenter

la polémique aujourd’hui encore. En

mai 2013, après la mort de Clément

Méric sous les coups de skinheads, le

député UMP Bernard Debré déclarait :

« Il est dramatique que cette violence

règne. Il faut aussi comprendre que

tous les jeux hyper violents mis à la disposition

des enfants qui, lorsqu’ils deviennent

adultes, ont cette culture

dramatique. »

 

2,1 milliards de chiffre d’affaires

 

L’industrie du jeu vidéo a donc encore

du chemin à parcourir avant de redorer

son blason. Pourtant, les politiques

oublient un détail : le jeu vidéo en

France représente un marché exponentiel,

et même l’un des nouveaux

fleurons de l’exception culturelle française.

Fin 2012, le Syndicat national

des jeux vidéo (SNJV) publiait des

chiffres qui feraient pâlir d’envie d’autres

secteurs de l’industrie made in

France.

 

Le jeu vidéo est devenu le premier

bien culturel dans l’hexagone

avec 2,1 milliards d’euros de chiffre

d’affaire en 2012. Et pourtant, cette industrie

qui fait travailler 250 entreprises

et 5 000 personnes, a perdu près

de 10 000 emplois en quelques années.

 

Ce qui pousse certains parlementaires

à changer, tant bien que mal, les mentalités

afin de valoriser la création de

jeux vidéo made in France. Les sénateurs

André Gattolin (EELV) et Bruno

Retailleau (UMP) ont même rendu il y

a quelques semaines un rapport intitulé

Jeux vidéo : une industrie culturelle innovante

pour nos territoires. « Le jeu

vidéo souffre encore de nombreux préjugés,

nous explique Bruno Retailleau.

Mais les jeux vidéo sont une industrie

encore jeune, le cinéma aussi, à sa

naissance, souffrait de nombreux clichés.»

Si l’on en croit le sénateur, c’est

en « alliant une politique économique

et culturelle que l’on aidera l’industrie

du jeux vidéo et que l’on changera son

image.»

 

 C’est ce que tentent de faire les ministères

de la Culture et du Redressement

productif (photo), en lançant un groupe de travail

dédié, en avril dernier. Il faut savoir

que, début 2013, le cabinet de Fleur

Pellerin avouait au site PC Inpact que

« personne ne s’occupait du jeu vidéo

à Bercy et à la Culture. »

Enfin une avancée ?

Plutôt une bonne volonté de

façade si l’on en croit Benjamin Berget.

« Ce sont des génuflecteurs, ils font

semblant de s’intéresser au “divertissement

des jeunes” afin de transmettre

l’idée qu’ils ont changé d’attitude et

qu’ils sont modernes. Il s’agit d’une

stratégie de communication et de récupération

du jeu vidéo. »

 

Si les préjugés demeurent, certains politiques,

bien conscients des enjeux

économiques, seraient donc enfin décidés

à rentrer dans la partie. Quand

on sait que le jeu vidéo sera, dans

quelques années, le pilier de notre

économie numérique, il serait dommage

de rater cette course à cause de

politiques effrayés à l’idée de prendre

les manettes.

Source : Vincent Manileve