Aujourd'hui, le 2 avril 2012, nous avons assisté à un phénomène classique de la bulle Internet que l'on pourrait résumer sous l'appellation « LOL » (Laughing Out Loud, ou « rire à gorge déployée »). Dans une partie typée « réseau social » d'un site de jeu vidéo, un internaute anonyme a lancé une remarque portant sur une top model qui s'est immédiatement vu commenté par d'autres internautes. Le phénomène a prit une ampleur relative, le fil des statuts de la partie réseau social étant immédiatement rempli d'autres statuts parlant de la même top model et de la véracité de sa poitrine, ou bien affichant clairement la demoiselle en question en bikini en train de danser via des GIF (un type de fichier image permettant une animation). Rapidement est arrivé ce qui arrive en général sur Internet dans ce genre de cas ; une personne a coupé court à tous les statuts en arguant qu'ils étaient peu mature, ce à quoi les personnes incriminées dans la première partie du phénomène, la partie « LOL » ont également répondu, soit par un « mea-culpa » soit par une réflexion ironique quant à la teneur humoristique des propos suivant : « D'après une enquête très sérieuse de professionnel...la poitrine de Kate Upton est 100% real. C'est bon les gars, l'humanité peut continuer d'avancer! ».
Merci Jinks pour cette illustration très parlante
La Top Model Kate Upton, en pleine séance de danse, mettant en avant sa sculpturale et 100% naturelle poitrine.
Dans cet exposé, nous tenterons donc d'expliquer dans un premier temps, pourquoi le phénomène est partie aussi vite, en s'appuyant notamment sur le rapport d'Olivier Donnat (rien à voir avec les sandwichs) sur les pratiques culturelles françaises, ainsi que, dans un second temps, de montrer pourquoi pour une grande partie de la population masculine présente sur Internet et participant à des forums (de jeux vidéo entre autre) les « boobs » et les « babes », c'est intéressant voire « LOL », cette fois-ci en argumentant à partir d'un article de Sylvie Ayral et d'un texte de Daniel Welzer-Lang (qui a ma connaissance n'a pas de lien avec ce bel homme qu'est Jacques Lang).
Du rôle d'internet
Si l'on en croit les résultats de l'enquête nationale sur la consommation culturelle menée en 2008, parue en 2009 et relatant donc les 10 années d'évolution de cette consommation en France entre 1997 et 2008, dont Olivier Donnat (toujours rien à voir avec les sandwichs) nous fait un fort bon résumé dans « Les pratiques culturelles des Français à l'ère du numérique ; Éléments de synthèse 1997-2008 », aujourd'hui en France, Internet a fait un pas de géant dans notre quotidien. Passant d'une inexistence complètes avant les années 1990, au constat que non seulement un français sur deux l'utilise pour leur temps libre mais qu'en plus 67% de ces consommateurs sont des consommateurs réguliers qui se connecte quotidiennement, on peut déjà affirmer que c'est un phénomène de masse, sans vraiment engager sa crédibilité de sociologue.
Donnat met également en avant la tranche d'âge touchée par ce qu'il appelle les « nouveaux écrans » (internet, les DVD et les jeux vidéo...qui ont 40 piges...enfin bref) et ceux qui consomment le plus Internet sont de toute évidence les moins de 35 ans (voir Graphique 1). Même si le « média à tout faire » touche également les tranches d'âge du dessus, la consommation diminue à mesure que l'âge avance. Si l'on tente de faire un lien entre maturité et jeunesse relative des internautes, on pourra expliquer pourquoi le phénomène a duré dans le temps (parce que 10 minutes c'est vachement long quand même!). Cependant cela n'explique par pourquoi il a démarré, ni pourquoi il a démarré sur un statut évoquant les « boobs » (littéralement les « seins »).
Pour le moment, les plus gros consommateurs d'Internet sont les 15-24 ans également cibles de FHM. C'est un début d'explication.
Pour expliquer la création du phénomène, il nous faut mettre l'emphase sur une autre partie du rapport d'Olivier Donnat et par la même occasion abordé très brièvement les rapports sociaux de sexes théorisé par Erving Goffman dans l'Arrangement des Sexes. L'opposition entre nature et culture, montre selon Goffman, que les genres (la version sociale des « sexes ») sont des créations sociales. Les naturalistes pour maintenir les hommes en état de domination (de manière pas forcément consciente, attention, pas d'amalgame!) justifiaient la place moindre des femmes dans la société par leur propension à, de manière naturelle donc, être plus douce et guidée par leur passion et non par leur raison ; les hommes ayant en revanche les deux, la raison ET la passion, ils pouvaient jouir de la liberté du public (la culture et la vie politique) et du privé (la tendresse du foyer); Jean-Jacques Rousseau par exemple soutenait cette thèse à son époque. Ceci a entraîné une conséquence secondaire, les hommes ne prêtaient pas leurs outils aux femmes et de là s'est propagée à la fois l'idée que la politique c'est pour les hommes (quand on voit ce qu'ils en font, c'est vrai que c'est du beau boulot!) et que la technologie ainsi que ce qui a trait à la technique (le bricolage, la maintenance des véhicules etc) n'était pas non plus fait pour les femmes.
Revenons-en au rapport de Donnat ; en effet celui-ci mentionne que si les femmes lisent plus, tous supports confondus (forcément, nous on a trois magazines genre GQ qui se battent en duel, et elles c'est la fête aux trucs « beauté, minceur, ragots » et autres sujets culpabilisants type Biba, Be, Cosmopolitain etc...) en revanche elles utilisent moins internet que les hommes (Graphique 3) étant moins équipées technologiquement et/ou moins intéressées, puisque socialement, ce sont les hommes qui sont censés être intéressés par les technologies. Par conséquent et puisque les hommes sont majoritaires sur Internet, on peut penser que les « boobs », sont un sujet plus passionnant, comparativement aux « cocks » par exemple.
Si toute les femmes avaient la classe de Charlize Theron et allaient sur Internet, ce genre de débordement arriveraient moins.
Seulement la surenchère qui aurait pu s'arrêter à de simples commentaires sur le premier statut peut-être expliquée par un autre facteur, tout aussi social ; celui de la socialisation des hommes et du poids de la virilité dans l'acceptation au sein des pairs. C'est ici qu'interviendront Sylvie Ayral et Daniel Welzer-Lang.
De l'importance de la socialisation masculine
Courbe de la fréquence de recherche du mot "boobs" dans le moteur google, pour la France. On arrive régulièrement à plus de 50% des recherches dirigées vers ce mot.
Quand on observe les courbes des « web internet search » de Google (actuellement le site le plus visité de très loin, sur Internet dans le monde) en cherchant notamment le terme qui nous intéresse ici à savoir « boobs », on peut observer qu'au-delà d'une certaine fréquence en rapport avec les saisons (c'est le printemps) le terme est extrêmement recherché, même quand on le restreint à sa recherche sur Google.fr, alors que le terme est anglophone. L'intérêt des français pour les « boobs » est donc affirmé. Seulement compte tenu du type de sujet, la sexualité qui a plutôt trait à l'intimité, on pourrait croire qu'une telle débauche (WOUAH 4 statuts au moins quoi !!!) n'aurait pas lieu d'être. Seulement ce serait omettre d'abord ce que nous avons dit sur la sphère privée qui est plutôt attribué aux femmes, les hommes étant considérés naturellement comme moins pudique. Mais ce serait également oublier que l'homme est contraint dans sa socialisation à la compétition pour prouver sa virilité.
Sylvie Ayral, en relatant un témoignage d'une jeune fille de 13ans qui dans un collège expliquait qu'un garçon lui avait dit « j'vais te baiser » (quel charmant jeune homme) exprime les choses ainsi :
La sexualité évoquée ici est la sexualité de domination et d'humiliation, la femme étant ramenée au rang d'objet sexuel.
Daniel Welzer-Lang se propose d'expliquer le phénomène dans « La mixité non ségrégative confrontée aux constructions sociales du masculin » (c'est normal que j'ai du mal à respirer à chaque fois que je finis de lire un titre?). Il dit :
« La socialisation à la virilité, ses valeurs, ses codes, le sentiment de supériorité par rapport aux femmes sont d'abord enseignés dans les rapports entre pairs, entre hommes, dans une vision du monde hétérosexuée où la sexualité considérée comme 'normale' est limitée aux rapports sexuels entre homme et femme(...) »
Ici le phénomène prend de l'ampleur parce que dans un effort de compétition et d'émulation autour du thème parfaitement secsoual des « boobs » les garçons (rappelons-le, majoritaires sur Internet) tentent de montrer à leur tour leur intérêt pour les attribues féminins, histoire de pas passer pour des « tata », parce que l'homosexualité est à l'inverse de la virilité qui est le modèle qu'on leur a inculqué dans leur socialisation (notamment par le biais de l'école).
Pourquoi mettre une telle image, si ce n'est pour montrer son hétérosecsoualité?
En conclusion, les « boobs » sont, selon une approche macro-sociologique basée sur la statistique, intéressants pour tous les hommes hétérosexuels et donc une grande partie des internautes. Leur jeté la pierre (aux hommes, surtout pas aux "boobs") ne résoudra pas l'abondance d'envie envers ces « boobs » qui sont fermement ancrés dans le schéma de socialisation masculine comme un objectif à atteindre pour la reconnaissance de ses pairs par l'hétérosexualité et donc un objectif à partager, ici à travers des statuts sur un réseau social. Ceci n'entraîne pas l'invalidation de l'explication par l'humour. Une autre voix d'exposé pourrait être orienté vers la question « Pourquoi les ''boobs'' sont ''LOL'' ? ».
Vive les boobs !