Je m'intéresse ici avant tout aux jeux un minimum scénarisés. De plus ce billet contient quelques spoilers sur les relations entre les personnages de Mass Effect (1 à 3), Heavy Rain, Bayonetta ou encore GTAIV...pliz bi quérefoule.

Régulièrement le sujet est soulevé ; dans le jeu vidéo, la place de la femme n'est pas des plus gratifiantes. Récemment, c'est l'article d'impressions de Joystick sur le prochain Tomb Raider qui a fait sensations en opposant ce qui me semble être un article d'un mauvais goût assez certain, à une féministe engagée (et un peu enragée) avec beaucoup d'arguments recevables. Pour ma part, je ne parlerais pas de la place de la joueuse, acheteuse, consommatrice de produit vidéoludique puisque je n'ai pas en ma possession de chiffres précis sur le sujet et que la statistique n'est pas la vérité absolue (prenez ça dans les dents, amis démographes). En revanche, je voudrais vous faire part d'une réflexion idiote mais qui désormais me semble une évidence cachée sous notre nez ; la femme de jeu vidéo est toujours un cadeau pour le stéréotype du joueur masculin, c'est-à-dire hétérosexuel. 

Combien y a-t-il d'héroïnes dans le jeu vidéo actuel ? Combien de personnages féminins peut-on incarner ? Lara Croft, Jill Valentine, Claire Redfield, Samus Aran, Jade, Bayonetta, Lightning, Madison Paige...on en trouve toujours qui réagissent à nos sollicitations par le biais de la manette. Si l'on ajoute aux quelques unes citées les bimbos de jeux de combats, la somme ne paraît pas si dérisoire, même si relativement à la production vidéoludique globale, elles ne forment qu'une petite minorité qui conforte l'ambiance entre hommes d'apparence du jeu vidéo. Pourtant, elles ont toutes une particularité en commun. Elles sont conçues avec comme finalité de simuler métaphoriquement une relation amoureuse, monogame (pour elle) et fidèle avec le joueur.

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Si l'on se place d'abord dans l'observation des héroïnes de jeu vidéo (je reviendrais sur les personnages secondaires après) on observe deux traits. Le premier, qui est souligné de manière systématique, c'est l'apparence physique très fantasmée. De longues jambes, une poitrine généreuse, pas un centimètre cube de cellulite et le plus souvent un visage dans les canons de beauté de l'ethnie choisie ; de grands yeux clairs, une peau blanche, avec des exceptions comme Sheva Alomar de Resident Evil 5 qui reste une beauté typée Zoé Saldana. Quoi qu'il en soit, les ''gueules'' (dans le sens Josianne Balasco ou Gérard Depardieu du terme) féminines dans le jeu vidéo sont tout simplement inexistantes, alors que l'on trouve des Marcus Phénix balafrés au dernier degré, des Niko Belic pas franchement glamours ou encore des Kratos pour le moins effrayants. Ceci étant dit, et même si je suis moi-même dans le constat de cette écrasante dictature de la beauté, on peut souligner qu'Alan Wake, Adam Jensen, le Commandant Shepard ou encore Nathan Drake ne sont eux-même pas des repoussoirs ambulant et forment également le club des personnages ''mâles alpha'' ; blanc, brun, mince (voire sportif) et la trentaine.

On est bien servi des deux côtés pour ce qui est de l'apparence physique. Par contre, le nombre écrasant de héros masculins permet une plus large diversité malgré tout. On ne joue pas forcément des apolons à chaque fois.

Pour moi, le traitement différentiel entre héroïnes et héros de jeu vidéo ne se fait donc pas vraiment sur l'apparence qui à mon sens est de toute manière biaisée par la puissance du « beau » (et surtout de sa norme). Même si Charlize Theron a remporté un oscar pour Monster, c'est avec Blanche Neige et le Chasseur qu'elle a rapporté une somme conséquente aux producteurs du film et je ne doute pas que son apparence de nouvelle Grace Kelly y soit pour quelque chose. Ce qui fait que le traitement différentiel homme/femme dans le jeu vidéo n'est pas sexuel (physique), mais genré (social). Ce n'est pas l'apparence physiologique des personnages qui différencient vraiment hommes et femmes puisque dans les deux camps on trouve des lignes de designs propres aux canons de la beauté, occidental majoritairement et donc globalisé. C'est le rôle social, de chaque genre qui n'est pas le même. Dans le jeu vidéo, le genre féminin des personnages est contraint par l'appartenance au joueur masculin hétérosexuel.

Pensez-y quelques secondes ; combien de femmes que vous avez pu incarner dans un jeu vidéo ont une vie sentimentale (quelque soit l'orientation sexuelle) ? La réponse est simple...très peu voire aucune. La raison à cela me semble évidente ; le personnage féminin, qu'il soit fort et confient comme une Lara Croft ou plus faible et fragile comme une Jennifer (de Rule of Rose), ce personnage doit être réservé, chasse gardé comme une petite amie fantasmée pour le joueur qui la manipule. Alors que le héros masculin est pensé comme un vecteur d'immersion, une incarnation du joueur, l'héroïne est vue automatiquement comme le personnage dont le joueur va se saisir pour y projeter une relation intime. Le joueur serait donc plus le confident et le chevalier servant de ce personnage, cherchant à éviter la mort virtuelle pas simplement pour le principe de jeu, mais aussi pour ne pas faire souffrir son héroïne.

Le début de l'histoire sous-entend que Bayonetta est maman, ce qui entre en contradiction avec son aspect érotique dédié au joueur. La fin du jeu nous apprend qu'en réalité cette petite n'est pas sa fille, rassurant ainsi le joueur qui peut de nouveau la voir comme un simple objet de fantasme qui lui appartient et qui n'est pas lié à un autre homme dans le champ extra-diégétique.

Comme il y a peut-être quelques exceptions, je vais prendre le temps de les chercher. On pourrait dire que notre cher David Cage a fait un pas dans la bonne direction avec son Heavy Rain. Fahrenheit nous proposait d'incarner tour à tour Lucas Kane, Carla Valenti et Tyler Miles ; alors que les deux héros étaient soit en concubinage, soit récemment séparée, Carla était célibataire, comme on pouvait s'y attendre. On pourra alors dire que Madison de Heavy Rain, malgré son apparence physique de mannequin, reste une avancée louable dans le genre, puisqu'elle est un personnage jouable et qu'elle a une relation amoureuse avec un personnage masculin ; mais ce serait omettre le fait que le personnage en question est Ethan Mars, qui est incarné par...le joueur. Elle lui reste donc métaphoriquement fidèle. On en revient à la même problématique. Dans la même veine, on pourrait citer Catwoman dans Batman : Arkham City, qui miaule pour la plus baraquée des chauve-souris et qui ne ''trompe'' pas vraiment le joueur, puisque cette drague est dirigée vers un personnage incarné par le joueur lui-même le reste du temps.

Madison Paige n'est pas loin de casser les codes. Le problème c'est que déjà sa relation avec un autre homme passe par une séquence de sexe qui n'a aucun sens. Surtout le personnage dont elle tombe amoureux est un personnage jouable. Elle ne fait que tomber amoureuse du joueur en quelque sorte.

Que l'on se comprenne bien, je ne dis pas que pour qu'une héroïne de jeu vidéo ne soit pas un appât pour le joueur, il faut qu'elle soit en relation avec un homme ou une femme ; ça reviendrait à dire qu'une femme pour être une femme doit être en interdépendance avec quelqu'un d'autre et c'est précisément là qu'est le problème de cette idée reçue. Ce que j'essaye de dire en revanche, c'est que bien que la romance soit le sujet le plus universel et diversifié au niveau des situations qu'on puisse trouver dans la littérature ou dans le cinéma, le jeu vidéo reste dans le carcan du fournisseur de petite amie virtuelle, toujours fidèle, d'une manière ou d'une autre. Le personnage féminin est pensé (consciemment ou pas) par rapport au public, supposément masculin et hétérosexuel. Comme pour l'apparence physique, on peut encore se livrer à un petit comparatif avec le pendant masculin pour voir si les héros sont aussi fidèles aux joueuses que les héroïnes le sont aux joueurs.

Nathan Drake est d'abord dans la séduction dans Uncharted, puis dans le classique triangle amoureux dans Uncharted 2, puis dans la relation monogame dans Uncharted 3. Alan Wake est marié dans son jeu éponyme. Chuck Green est veuf et père de famille au début de Dead Rising 2, tout comme Sam Fisher. John Marston est marié et père de famille. Le Commandant Shepard est potentiellement un maquereau spatial. Clairement il y a une diversité dans les situations matrimoniales des héros de jeu vidéo qui laisse songeur en comparaison des personnages féminins que l'on incarne qui sont soit célibataires, soit en relation avec un personnage incarné par le joueur à un autre moment. Clairement le héros, l'homme, n'est pas pensé en terme de relation affective avec la joueuse, mais bien comme un membre d'une histoire qui a son passé et qui ne tient pas compte de ce que la joueuse hétérosexuel ou le joueur homosexuel vont bien pouvoir en penser.

Des situations familiales variées commencent à pulluler pour la gent masculine. À quand la même attention aux background des héroïnes?

Heureusement, le jeu vidéo propose également des personnages qui ne seront pas dans les mains du joueurs ou alors de manière indirecte. Malheureusement, à mon sens, le constat n'est pas forcément plus glorieux. Les autres personnages féminins un peu forts du jeu vidéo sont encore une fois beaucoup versés dans le côté poupée gonflable. Je serais néanmoins beaucoup moins catégorique que pour les femmes que l'on peut incarner, pour une raison simple ; leur plus grand nombre fait qu'il y a beaucoup plus d'exceptions, c'est-à-dire de personnages féminins séduisants (ou pas d'ailleurs) qui vivent sans ce soucier du personnage que joue le joueur que cela soit dans l'aspect relationnel ou amoureux ou dans la quête que mène le joueur pour finir le jeu. Reste que la plupart du temps, c'est Nathan Drake qui laisse Chloé Frazer sur le carreau pour rester avec Elena Fisher...et non l'inverse.

Pour moi c'est vraiment un mode de pensé organisé sur la séduction. Il y a trop peu de jeu basé sur autre chose que la surpuissance du héros tout comme il y a trop peu de jeu qui propose que le joueur ne soit pas le centre complet de l'univers créé. Je ne me souviens, par exemple, que de Mass Effect 3 qui ait choisi de produire une relation où un personnage féminin (Tali) avec qui le joueur a pu entretenir une romance dans le volet précédent, finie par s'émanciper du joueur pour avoir une relation avec un autre personnage (Garrus)...et encore une fois cela fait suite à un choix du joueur qui l'aura ''abandonné'' au profit d'un autre personnage féminin (pour mon cas, il s'agit de Liara).

Je t'en collerais des calibrations...

Je vais maintenant faire l'ouverture finale qui est un classique de la conclusion d'exposé. Tout cela n'est qu'une partie d'un problème plus large du jeu vidéo. La femme n'est qu'un des vecteurs par lesquels on peut observer ce problème, celui de ne pas vouloir froisser le joueur, en l'occurrence donc le ''mâle alpha''. Pourquoi n'y a-t-il que dans GTAIV qu'une femme quitte le héros du jeu parce que ses agissements ne sont plus tolérables ? Pourquoi n'a-t-on jamais l'occasion d'incarner une femme mariée ou une mère de famille ? Pour moi ça n'est pas simplement une question de marketing. Ça ne coûterait pas grand chose de faire une héroïne qui, à l'instar de Sam Fisher, produit des choses extraordinaires pendant le gameplay mais qui dans le champ extra-diégétique a une vie de famille (mariée, divorcée, en concubinage qu'importe) sans que cela affecte ce que le joueur, dans le sens global du terme, pourra en penser. Alors dans un premier temps, il serait bon que nos chers développeurs aient un peu plus de couilles ou tout simplement de bon sens et voient que le joueur n'est pas systématiquement un homme, hétérosexuel, mais que tout type de relation est possible. S'ils en prennent conscience un jour, la narration prendra un bon gros coup de pied dans le cul vers l'avant et qui sait, le gameplay qui cajole le joueur aussi par la même occasion.