C'est une question qui revient régulièrement, celle de savoir quel est le film qui rend le mieux hommage à notre cher média interactif. Le plus souvent, il s'agit de regarder le traitement réservé aux licences de jeu vidéo lors de leur passage sur grand écran, pour vérifier si notre loisir est dignement représenté. Néanmoins, il ne s'agit jamais pour les producteurs de mettre en avant l'interactivité qui nous séduit, mais de reprendre l'ambiance, le scénario, les personnages des séries que nous affectionnons, dans l'espoir d'avoir un produit déjà connu du public, et nécessitant donc moins de marketing. A ce titre, les adaptations peuvent être cinématographiquement réussies (ou pas), mais elles ne rendent quasiment jamais compte de l'expérience du joueur (certains se retrouvent peut-être dans Avalon ou eXistenZ, pas moi...).

Paradoxalement, en dépit de n'avoir aucune attache explicite avec le jeu vidéo, le film qui apparait le plus proche de mettre en scène ceci est Un Jour Sans Fin (The Groundhog Day en VO).
Dans ce film d'Harold Ramis, Bill Murray, toujours excellent, joue un présentateur télé coincé contre son gré dans un trou paumé par une tempête, obligé de couvrir une cérémonie hivernale un brin ridicule. Le twist ? Chaque matin, il se réveille à devoir vivre cette journée, encore et encore, inlassablement.

Comme dans un jeu vidéo, Bill Murray ne peut aller où il le souhaite : réveillé chaque matin au même endroit, coincé par le blizzard, il doit vivre chaque jour dans un décor immuable aux frontières bien délimitées. De même, les personnes autour de lui répètent inlassablement les mêmes comportements, comme des PNJ suivant leurs scripts, à la minute et à la virgule près.
Ainsi, chaque jour débute par la même chanson et les mêmes commentaires à la radio, Bill Murray croise toujours au même endroit une vieille connaissance, le discours du maire est toujours le même. On se retrouve dans un cadre précis, avec des règles connues, exactement comme un niveau d'un jeu vidéo, régi par les règles de développeurs qui tirent toutes les ficelles en arrière plan et encadrent le joueur. Au début, le joueur, Bill Murray, n'a pas forcément conscience de ces limites, et essaie de s'échapper de la ville et du cycle. Mais ses actions sont limitées et la prise de conscience est alors brutale. 

En effet, il se tourne d'abord vers le suicide. Mais là-bas, comme dans la majeure partie des jeux vidéo, même la mort n'a aucune conséquence, et ses multiples suicides inefficaces renvoient aux game over si fréquents et inconséquents des jeux vidéo. 

Ça me rappelle toutes ces vidéos de suicide depuis le haut de l'Empire State à la sortie de GTA IV

Désormais bien conscient des limites de ce monde, le joueur va alors expérimenter avec le jeu. Dans cet espace sans lendemain, sans conséquence, tout est permis. La morale n'est qu'un lointain souvenir. Ainsi Bill Murray n'hésite-t-il plus à dire toute sorte d'insanités en direct à l'antenne, à se goinfrer de pâtisseries sans considération pour son cholestérol, à mettre un pain dans la gueule d'un ancien camarade exaspérant, sans jamais se préoccuper des conséquences. Tout est essayé, de la même manière qu'on essaye une ligne de dialogue improbable dans un RPG, juste pour voir, quitte à recharger juste après. De même, tous les délires sont possibles, avec Bill Murray se déguisant en cowboy à poncho pour aller au cinéma, dépensant son argent sans compter pour une voiture, ou allant kidnapper la marmotte mascotte de la ville. Il peut donner libre cours à ses fantasmes dans ce lieu irréel.

Le jeu permet à chacun de réaliser son rêve : lui mettre une bonne beigne

Cette expérimentation se retrouve aussi dans ses tentatives de résoudre des "quêtes". En effet, il se fixe des objectifs, au premier rang duquel, naturellement, voir avec qui il peut coucher. Comme dans un RPG Bioware. On voit alors Bill Murray suivre un procédé très similaire à du quicksave/reload (die & retry n'a jamais été aussi approprié) : il reproduit à l'identique chaque journée jusqu'à trouver la solution optimale, la bonne réponse à toute situation, en passant par l'essai et l'erreur. Il questionne ainsi une première femme sur son background, ses gouts, pour exploiter cela le jour d'après, avec succès ! Cela ressemble d'ailleurs aux simulations de drague, où il faut connaitre les bonnes réponses, pas toujours évidentes du premier coup, pour gagner des points et séduire la fille. Le déroulement se répète en plus complexe pour Andy McDowell. Il arrive néanmoins à élaborer la journée parfaite, le run ultime en quelque sorte, au bout de nombreux essais, mais se retrouve tout de même confronté à l'échec, aux limites de sa liberté. Malgré cela, on voit une exploration exhaustive des possibilités, un "jeu" avec le "bac à sable" à disposition.

Tant de tentatives pour arriver jusqu'ici

De même, malgré toutes les solutions envisagées pour sauver le clochard, le mettre dans de bonnes dispositions, prendre soin de lui, essayer de l'amener à l'hôpital, rien n'y fait, celui-ci meurt toujours à la fin de la journée. C'est comme un problème à solutions multiples, sauf que la fin est déjà écrite.

Le dernier parallèle avec le jeu est l'apprentissage par la répétition. Bill Murray met en effet à profit son temps dans le "jeu" pour apprendre le piano, la poésie italienne, la sculpture sur glace, des tours de magie. On peut rapprocher ceci du grind, de la montée en expérience de ses personnages. Puis comme dans un MMO, il remplit les bonnes quêtes chaque jour, réparer une roue, sauver un enfant qui tombe d'un arbre, une personne qui s'étouffe au restaurant. Le fait de savoir qu'on aide de vraies personnes, comme dans une guilde, peut faire passer la pilule de la répétition.

La morale du film est un peu mignonne, avec un personnage qui dépasse ses intérêts personnels, son égocentrisme, pour apprendre sur lui même, devenir une meilleure personne et finalement s'en sortir. Je ne suis pas sûr que le parallèle avec le jeu vidéo puisse être étendu jusque là ^^, mais le message est encourageant.

Un jour sans fin met donc en scène l'apprentissage par mémorisation, le gain d'expérience, le peu de conséquences qui entraine une impunité, un exercice libéré de la liberté, avec toute sorte d'expérimentations, et la découverte des limites. Pour toutes ces raisons, il ne sert à rien d'attendre une bonne adaptation de jeu vidéo au cinéma, ça fait plus de 15 ans qu'elle a été réalisée. On peut alors se demander de quel jeu il serait l'adaptation. De mon point de vue, si le film avait plus exploré les penchants sadiques de l'homme, que Bill Murray s'était essayé au meurtre (juste histoire de satisfaire une saine curiosité, évidemment), on aurait d'ailleurs eu la parfaite reproduction de l'expérience qu'on peut avoir en jouant un niveau d'Hitman. Et oui, rien que ça.