Je n'ai pas vraiment fait mystère des problèmes que j'avais avec le scénario de Red Dead Redemption (doux euphémisme), et particulièrement des incohérences dans le caractère de John Marston. Aujourd'hui, je viens partager avec vous une intéressante théorie, développée originellement ici dans ce post The "real" John Marston, qui permet de voir le jeu d'un tout autre oeil. Il s'agit bien sûr d'une théorie, qui n'a qu'un nombre limité d'échos dans le jeu lui-même, mais je la trouve assez satisfaisante.

Ceci est donc une adaptation du texte de Michael "Sparky" Clarkson linké ci-dessus. Spoilers importants.


Le Far West est une période mythique. Pas uniquement dans le sens où tout le monde la connait, grâce aux nombreuses histoires qui l'ont prise pour décor, mais aussi parce que la perception que l'on en a a justement été influencée par toutes ces fictions. La réalité a ainsi été beaucoup romancée, à commencer par les westerns hollywoodiens qui dépeignaient d'héroïques fins tireurs s'attaquant aux bandits, ou de gentils colons en lutte contre les sauvages indiens. Le cinéma des années 70 lui a donné une allure plus crade, moins noble, moins manichéenne aussi, mais cela reflète sans doute plus l'évolution du cinéma de l'époque qu'une attention accrue à la réalité de l'Ouest. En ce sens, l'Ouest tel que l'on connait, et tel qu'il est dépeint dans Red Dead Redemption, tient plus de la légende qu'autre chose. On peut alors se demander si John Marston lui-même ne serait pas un mythe, une légende imaginée en grande partie par son fils Jack.

Il n'est pas dur d'imaginer que Marston soit le fruit de l'imagination de quelqu'un, étant donné les contradictions notables qui existent dans son comportement. Violent et brutal dans le gameplay mais pourtant docile, coopératif, voire passif à la moindre suggestion que l'on va l'aider. C'est un hors la loi élevé par des hors la loi et, à une époque ou la femme était bien peu considérée, il a aussi des vues féministes apparemment bien plus modernes. Au dela de ça, ses actions sont clairement surhumaines. Il démantèle tous les gangs de New Austin, laissant derrière lui des centaines de cadavres, puis traverse la frontière, décime alors à lui seul la majorité des rebelles révolutionnaires, et change ensuite de camp pour tuer la moitié de l'armée mexicaine. Enfin, il mate une insurrection indienne, et extermine encore plusieurs dizaines de militaires avant de rendre son dernier souffle.

Le joueur est naturellement censé prendre cela au pied de la lettre, comme l'indiscutable réalité. On en conclut donc que la faute revient aux scénaristes, pour lesquels le média jeu vidéo peut très bien s'accomoder de telles invraisemblances. Le jeu vidéo n'est alors pas beaucoup plus qu'une machine à accomplir des fantasmes de toute puissance. Après tout, les joueurs râlent  bien quand les alliés sont à peine à moitié aussi efficaces qu'eux... 
La particularité par rapport à d'autres jeux vidéo néanmoins, et notamment GTA IV, est que le jeu change le contrôle à la fin, nous faisant diriger Jack. Il est donc clair que le joueur ne joue pas que John. Mais l'a-t-il jamais joué ?

Dans l'une des dernières scènes, Jack est plongé dans la lecture d'un roman qui conte l'histoire d'un homme poursuivant l'assassin de son père. On peut évidemment voir ça comme un présage insistant lourdement sur la destinée familiale, mais il est intéressant de voir la place que la fiction a dans le rapport de Jack au monde (son père ne manque d'ailleurs pas de lui faire remarquer qu'il s'enferme trop dans les livres, dans une allusion à peine voilée aux jeux vidéo). On note d'ailleurs que lors de l'épilogue, Jack préfèrera le destin romanesque plutôt que la rédemption qu'aurait souhaité ses parents. Il choisit ainsi la légende plutôt que la réalité. On s'interroge alors : aurait-il pu imaginer son père comme étant l'une de ses légendes ?

Étrangement, les débuts de John dans l'histoire sont d'ailleurs assez peu glorieux. Il se fait abattre à Fort Mercer de manière peu honorable, et ses tâches au ranch de Bonnie ne nécessitent pas non plus des compétences hors du commun. Il est intéressant de noter que Bonnie est le seul personnage de l'histoire que Jack rencontre, et donc à même de lui rapporter une version des faits exacte. Et ces faits ne sortent pas vraiment de l'ordinaire. Il y a bien sûr le sauvetage de Bonnie par John, mais John est épaulé par le shérif et tous ses adjoints lors de cette mission, sa responsabilité est donc peut être moindre que celle qu'on observe dans le jeu. L'Ouest ayant toujours magnifié la légende de ses héros, peut être Bonnie en a t-elle rajouté sur l'exploit de John. En dehors de cet incident, Jack n'a de toute façon aucun moyen de connaitre précisément les événements de la vie de son père. Tous ceux qui y ont pris part sont morts ou partis depuis longtemps.

Les seules sources d'informations auxquelles il a accès sont en fait les journaux. Ceux-ci relatent évidemment tous les événements contemporains au périple de John dans les différentes contrées du jeu. Ceux-ci ne mentionnent pourtant presque jamais son nom, bien que chaque personne dans le jeu semble le connaitre, et qu'il semble être impliqué dans chacune des situations rapportées. S'il était réellement un acteur majeur de l'histoire, et que les gens le reconnaissaient si bien, les journaux passeraient-ils son identité sous silence ? Peu probable, étant donné la propension des journaux à mettre en avant toute sorte de héros locaux. On peut penser que Jack, avec tous ces journaux à disposition, une image idéalisée de son père, et pas mal de temps à revendre, a pu imaginer que celui-ci était impliqué dans toutes ces histoires.

Que John ait participé à tout ce qui a lieu à son époque dans la région dans le jeu défie toute cohérence et crédibilité, mais si son fils peut s'inventer des prétextes pour relier tous ces éléments, pourquoi ne pas leur accorder du crédit ? Si son père était au Mexique en même temps que son idole Landon Ricketts, pourquoi ne pas imaginer qu'ils s'y sont rencontrés ?

En définitive, John Marston était peut-être un vaurien qui expédiait ses missions le plus vite possible, sans aider personne, s'arrêtant seulement pour retrouver les prostituées du bordel du coin. Vu l'époque et le passé de Marston, cela serait en tout cas peu surprenant. Personne n'aurait passé des semaines à aider un escroc, un pilleur de tombes, combattu des deux côtés de la révolution mexicaine, et tué des milliers de bandits dans une région qui semble n'abriter qu'une centaine d'habitants. Surtout pas une personne telle que John. Le surhomme que l'on dirige pendant le jeu doit sortir de l'imagination fertile d'un garçon qui a perdu trop tôt un père qu'il admirait sans jamais vraiment l'avoir compris.

Red Dead Redemption dépeindrait ainsi la légende d'un homme du Far West. Si l'on écarte cette hypothèse, sa noblesse d'âme et son agilité sont si extrêmes qu'elles en confinent à l'absurde. On pourrait se contenter de supposer que lorsque le jeu s'arrête sur Jack près des tombes de sa famille, on passe simplement à un autre membre de la famille, et qu'il n'y a rien à lire de plus. Mais il est plus fascinant, et plus satisfaisant, d'imaginer que nous avons été près de ces tombes tout le jeu durant avec Jack, ce qui justifierait que le monde qu'il parcourt est le même que celui dans lequel nous dirigeons John. Nous n'étions donc pas en 1911, en train de vivre les derniers moments de l'Ouest. Nous étions en 1914, l'Ouest était bel et bien mort et enterré. Sa légende elle, ne faisait que commencer.