Des premiers jeux d'arcade aux "expériences" actuelles, la notion de difficulté a quelque peu évolué. Les bornes d'antan étaient en effet conçues pour ne pas se laisser dompter par le premier venu et nécessitaient une connaissance absolue du jeu pour en voir les crédits, obligeant ainsi le joueur à se délester de nombreux deniers.  À l'inverse, la plupart des jeux actuels favorisent le ressenti immédiat du joueur, en essayant d'être accessible au plus grand nombre. La difficulté aurait-elle perdu de son importance ?

De l'intérêt de la difficulté
Une étude s'est justement intéressée à l'importance de la difficulté dans le plaisir des joueurs. Cette étude confirme ce dont nous avons tous plus ou moins l'intuition : nous n'aimons ni les jeux trop durs ni les jeux trop faciles. On constate donc que l'échec améliore sensiblement l'appréciation du jeu. À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Une part importante des joueurs cherche en effet un challenge, un défi contre la machine, et la satisfaction que procure cette victoire. La difficulté et la gratification vont ainsi de pair.

Au delà de ce constat assez évident, l'étude nous apprend que l'origine de l'échec est primordiale quant à son impact sur le ressenti du joueur. Celui-ci est ainsi bien plus réceptif aux échecs dont il pense être responsable, plutôt qu'à ceux dont il ne serait que "victime". Cette responsabilité qu'assume ou non le joueur est directement liée aux informations dont le joueur dispose : s'il ne peut voir l'ennemi qui l'a tué, il le vivra comme une injustice.

L'autre intérêt de la difficulté est d'enrichir le contenu d'un jeu, le rendre plus significatif. En effet, introduire des obstacles particuliers peut obliger le joueur à changer son approche du gameplay, soit par l'utilisation d'équipements ou armes différents, soit en variant sa technique de jeu, et donc à apprendre à exploiter le potentiel qui lui est offert. Si l'on peut finir le jeu en matraquant l'attaque de base, le jeu aura beau proposer un éventail d'actions très large, ce contenu sera gâché, les joueurs allant généralement au plus facile. La richesse d'actions et gadgets disponibles dans un Metal Gear Solid 4 est ainsi grandement diminuée par l'efficacité du snipe par exemple.

Un jeu difficile nécessitera de plus une implication et une attention accrues de la part du joueur, ce qui peut mener à une immersion et un attachement au personnage principal renforcés (la faiblesse de Yorda, ou celle du héros de Demon's Souls participent notamment à ce sentiment).

De l'importance du réglage de la difficulté
Néanmoins, comme je l'ai déjà dit, l'échec n'est pas toujours bénéfique. Vécu comme une injustice, il n'aide plus le joueur. De même si le joueur a l'impression que les compétences requises par le jeu sont plus innées qu'assimilables. L'échec signifie de plus une perte de temps et d'énergie pour le joueur, qui doit recommencer la section jusqu'à la réussite. Pour ne pas que le joueur soit floué, il faut donc que ses tentatives et échecs successifs ne soient pas vains, mais soient compensés par une meilleure compréhension du jeu, qui lui permettra en fin de compte de surmonter l'obstacle.

Les développeurs n'ont en effet aucun intérêt à faire des obstacles insurmontables (hormis jeux de niches dont la réputation est basée sur la difficulté). Plus les joueurs finissent leurs jeux, plus les chances sont grandes que ceux-ci achètent une éventuelle (et probable ^^) suite.

À ce problème d'équilibre entre facilité et difficulté s'ajoute la diversité des joueurs actuels, allant des joueurs férus de highscores et leaderboards aux personnes pour qui la manette constitue une difficulté majeure (et qui méritent autant que les autres de s'amuser avec des jeux qu'elles payent le même prix). On comprend alors que le réglage de la difficulté est un défi important du game design. Un mauvais réglage peut en effet totalement changer l'expérience de jeu, transformant un jeu requérant simplement bonne observation et adaptation aux ennemis, en un jeu ou seuls mémoire et réflexes bioniques permettent de s'en sortir.

Les moyens de régler la difficulté
Pour parvenir à ce graal de la difficulté bien réglée, les développeurs peuvent jouer sur plusieurs leviers que je vais détailler succinctement.
On peut tout d'abord renforcer l'adversité (nombre, résistance, rapidité, précision et agressivité de l'intelligence artificielle des ennemis), ou bien diminuer les ressources du joueur (barre de vie, vitesse de récupération, quantité de munitions et d'items). Le temps est aussi une ressource du joueur sur laquelle on peut jouer (temps au tour à atteindre pour les jeux de course), tout comme les sauvegardes (au nombre variable selon la difficulté dans Hitman) ou la quantité d'informations disponibles (le radar de Metal Gear Solid absent en difficile, les indices plus ou moins abondants dans les énigmes de Silent Hill). Il est aussi possible de mettre complètement de côté certains systèmes de jeux pour accommoder la difficulté (le système de notoriété dans Hitman Blood Money, certaines règles comme le hors jeu pour le football). La complexité peut aussi se régler sur les inputs demandés au joueur, le plus notablement dans les jeux Guitar Hero et Rock Band.

Niveaux de difficulté statiques ou ajustement dynamique ?
Ces facteurs peuvent être évalués et fixés une fois pour toutes par le développeur dans un jeu proposant une expérience identique pour tous les joueurs, sans niveau de difficulté réglable, ou alors fixés sur plusieurs niveaux prédéfinis ou enfin ces facteurs peuvent évoluer dynamiquement en fonction des performances du joueur. Idéalement, un système qui s'arrangerait de lui même pour répondre au mieux aux souhaits des joueurs serait préférable. Mais cela reste impossible à l'heure actuelle, et c'est pourquoi le débat est toujours ouvert quant à laquelle de ces méthodes ou combinaison de méthodes est la plus à même de proposer une difficulté adaptée à chaque joueur.

Certains s'élèvent contre l'ajustement automatique. La première remarque est que certains joueurs détestent cet ajustement car en diminuant la difficulté après des échecs répétés, il diminue leur challenge. Le joueur étant roi, il vaut mieux éviter de rendre cet ajustement obligatoire. L'autre problème est que ce système change l'expérience du joueur, en le conduisant à s'intéresser au méta-jeu et exploiter le système (chercher à tromper le jeu pour qu'il soit plus indulgent, par exemple volontairement rester 2ème à Mario Kart pour ne pas subir une opposition trop forte) et peut aller à l'encontre de l'expérience voulue par le développeur, en rompant notamment l'immersion.

À l'opposé, les détracteurs des niveaux de difficulté statiques arguent que ces systèmes obligent les joueurs à faire des choix non informés, trop tôt, avant d'avoir pu juger par eux-mêmes quel niveau est effectivement le plus approprié pour eux. Ils ajoutent que les réglages disponibles sont le plus souvent grossiers, puisqu'on peut parfois noter de grands écarts entre deux niveaux de difficulté, et de manière générale que ces réglages n'ont jamais la granularité souhaitée. En effet, impossible de régler séparément l'agressivité militaire ou le rayonnement culturel des ennemis ou l'équilibre de la répartition des ressources dans une partie de Civilization.

Personnellement, je pense que ces derniers problèmes sont moins sensibles, les jeux ayant tendance à aligner la nomenclature des différents modes de difficulté, offrant la possibilité d'en changer en cours de jeu, et parfois évaluant le joueur par un court tutorial ou un questionnaire avant de suggérer un mode au joueur. Enfin, un certain degré de granularité est toujours plus souhaitable qu'aucun. L'inconvénient majeur est que cela multiplie par autant la complexité du réglage de la difficulté qui doit se faire pour chacun des modes.
À noter également les systèmes ou la difficulté dépend de l'investissement du joueur, comme les jeux de rôle ou la difficulté diminue avec le grind. Pour conserver une difficulté bien réglée, certains jeux recourent ainsi à des limites sur l'évolution des personnages en fonction de leur avancée dans le scénario (level caps dans Lost Odyssey).

L'éradication de la frustration
On voit donc que la difficulté n'est pas devenue superflue, elle a toujours sa place, même si se sont ajoutés des modes plus faciles, plus adaptés aux nouveaux arrivants ou aux joueurs occasionnels. Le changement qui m'apparait le plus important est principalement la volonté d'éradiquer en grande partie la frustration liée à l'échec, sans pour autant chercher à éliminer ce dernier. L'échec n'est d'ailleurs pas forcément nécessaire pour qu'un jeu soit difficile (même s'il est suffisant). Cette volonté de réduire la frustration des joueurs peut s'expliquer notamment à partir du constat que la proportion des joueurs ne finissant pas leurs jeux est très élevée (au minimum 30 à 50%, même sur des jeux "gamers"). Et comme les développeurs n'ont pas intérêt à ce que les joueurs ne finissent pas les jeux... La recommandation des game designers est ainsi de faire en sorte que le mode le plus facile se résume à "j'appuie sur une touche, je gagne" ou encore "je me roule la tête sur le clavier en cliquant au hasard sur la souris, je gagne".

Pour diminuer la frustration, il faut que le joueur ne soit pas pris au dépourvu quant à son échec, et donc que le jeu communique les raisons de son échec (ou qu'il lui apprenne bien les mécaniques de jeu, mais ce serait le sujet d'un autre billet). Cela passe par l'information sur l'état du personnage (désaturation de l'image et intensité des vibrations de la manette avec la dégradation de la santé), sur les adversaires (direction des tirs touchant le joueur apparente à l'écran), voire replay de l'échec (killcam dans Modern Warfare et replays de Burnout). Il faut aussi éviter les injustices et les incongruités. Prévenir le joueur de l'arrivée d'ennemis avec un bruit d'hélicoptère et de cordes raides, et la lumière d'un projecteur l'aide beaucoup à accepter un spawn massif d'ennemis dans son dos par exemple. Citons au rang des écueils à éviter les ennemis qui prennent toujours pour cible le joueur, quand bien même il serait entouré d'une foule d'alliés, les configurations de manette farfelues et non modifiables, ou encore les combattants qui ne respectent pas le timing nécessaire à leurs techniques (et je ne parle pas des glitches, problèmes de collision ou de caméra...). Enfin, l'échec représentant déjà une perte de temps et d'énergie pour le joueur, il vaut mieux lui éviter d'en être trop pénalisé avec des checkpoints trop espacés, ou qui l'obligent à revoir une cutscene, ou simplement par des temps de chargements à rallonge. Trials HD jouit ainsi d'une difficulté conséquente sans être démesurément frustrant pour autant.

La démocratisation du jeu vidéo n'a donc pas sonné le glas de la difficulté, le succès, au moins critique, de Demon's Souls ayant prouvé récemment que les attentes des joueurs étaient toujours présentes dans ce domaine. L'horizon s'est juste considérablement élargi, et les jeux difficiles n'occupent plus le devant de la scène.
J'attends avec impatience Heavy Rain, un titre qui pourrait s'affranchir totalement de la notion de difficulté, en refusant les concepts d'échec et de réussite. Il n'y aurait plus que des chemins narratifs équivalents, choisis selon les actions du joueur, tous autant satisfaisants et intéressants à jouer. On n'a pas fini de jouer avec la difficulté.