Fan de tennis et de jeux de tennis depuis mon plus jeune âge (Davis Cup World Tour sur Megadrive !), j'ai récemment cédé aux sirènes de Top Spin 4, acclamé partout ou presque comme la référence actuelle. Le léger lag occasionné par ma connexion Wi-fi lors des parties online puis le coma prolongé du PSN m'ont naturellement conduit à me consacrer principalement à la carrière solo.
En tant que "vétéran" à la recherche d'une expérience réaliste, je me suis directement lancé en mode pro. Je n'avais pas peur de manger la terre battue de Roland Garros plusieurs saisons durant, comme semblent le faire si bien nos compatriotes, et la possibilité que je n'atteigne jamais le sommet de la hiérarchie ne me repoussait pas. Je ne tenais pas spécialement à revivre la carrière de Sampras ou Federer, m'attendant plutôt à celle d'un Grosjean, avec ses hauts et ses bas et quelques rares coups d'éclats. J'étais surtout à la recherche d'une compétition sévère mais juste ©, où chaque victoire se mérite et se célèbre. Le mode normal s'avérant de plus être une insulte aux capacités psychomotrices des joueurs de plus de 3 ans, mon choix était rapidement scellé. Pour faire simple, si le gameplay m'a plutôt satisfait, j'ai été quelque peu déçu par le fonctionnement de la carrière.
La carrière nous place dans le short d'une jeune pousse qui pointe de façon prometteuse à la 80e place mondiale, et qui devra monter en compétence et dans la hiérarchie du tennis. En effet, notre personnage a à ce moment des capacités bien limitées, qu'il conviendra d'améliorer en accumulant de l'"expérience" sous forme de points au cours des tournois et des matchs d'exhibition ou d''entraînement. Les premiers temps, seuls les tournois mineurs nous sont accessibles, et nous permettent de se frotter à des adversaires de rang équivalent.
Rien que dans ces prémices, on peut noter plusieurs choix loin d'être anodins. Tout d'abord, on commence à un rang relativement élevé, et l'on est pourtant assez mauvais. Dans le jeu, il est quasiment impossible au début de battre le moindre adversaire qui possède un classement un peu trop élevé. Si je comprends que l'élite des 5 ou 10 premiers mondiaux soit d'un niveau bien supérieur au reste des joueurs, j'estime que la compétition au tennis est pourtant suffisamment rude pour que l'écart de niveau entre un 80e et un 50e mondial ne soit pas si significatif qu'il l'est dans le jeu. L'idée derrière cette décision est évidemment de mettre le joueur sur le chemin tout tracé d'une progression , à la fois en compétence et en hiérarchie. Et en effet, les joueurs mieux classés ont un niveau d'expérience (numérique) supérieur.
Le problème au début du mode carrière est donc très classiquement d'accumuler suffisamment de points d'expérience pour développer son joueur et enfin être en mesure de gagner des matchs, et donc mécaniquement encore plus de points d'expérience. C'est une approche que je n'apprécie pas du tout. Les capacités réelles du joueur qui tient la manette sont alors inutiles, reléguées loin derrière l'importance prédominante des capacités chiffrées de son avatar. Une fois monté en niveau, il est quasi impossible de perdre contre des joueurs de niveau inférieur, ce qui enlève beaucoup de l'intérêt de certains matchs.
Pour compenser cet écart béant et assez artificiel de niveaux entre les personnages, et brosser les joueurs dans le sens du poil en leur assurant tout de même un certain nombre de victoires, la carrière compartimente les joueurs de différents niveaux dans différentes compétitions. Dans les faits, impossible de croiser un Gilles Simon ou un James Blake en dehors d'un Masters ou d'un Grand Chelem. Vous avez donc tout loisir de gagner de nombreux titres, puisque le jeu ne laisse rentrer dans ces compétitions mineures que des inconnus relativement faibles. Pire, l'accès aux compétitions prestigieuses vous est interdit avant un certain niveau. Le jeu nous vend ça comme des prérequis légitimes de classement mondial ou équivalents, mais ce sont surtout des barrières pour conserver un semblant d'équilibre vis à vis des capacités ingame. Il ne me paraîtrait en effet pas si extravagant qu'un 80e mondial puisse participer à un Grand Chelem, quitte à participer à des éliminatoires. Smash Court Tennis Pro Tournament 2 le proposait bien.
Cette séparation en deux «divisions» qu'opère la carrière de Top Spin 4, entre les joueurs inconnus et incapables confinés à des compétitions mineures d'une part, et de l'autre les "vrais" joueurs qui s'affrontent en Masters et en Grand Chelem, me parait nuire à la compétition générale. Toute la première partie de la carrière, quand je ne suis encore qu'en «deuxième division» en quelque sorte, on m'épargne les meilleurs joueurs, on me laisse sur un chemin tout tracé de progression miraculeuse, avec à la clé une poignée de titres mineurs. Car, étrangement, je suis apparemment le seul joueur au monde à gagner de l'expérience, à monter de niveaux et donc à être en mesure de gagner ces tournois, pendant que les autres stagnent et pataugent dans ce "bas du tableau" sans espoir d'en sortir.
On a donc un sentiment d'une progression artificielle, les victoires s'accumulant pour nous motiver sans qu'on n'ait nécessairement progressé manette en main. Pire, comme il s'agit surtout d'assiduité (il n'est pas toujours nécessaire de gagner pour engranger de l'expérience), plus je joue, moins j'ai besoin d'être bon pour gagner. Le jeu récompense donc contre tout bon sens le temps bien plus que le talent.
Advient pourtant un moment où la logique de la carrière bascule. En effet, il n'est pas possible d'améliorer les capacités de son personnage ad vitam eternam et donc de grimper le tableau ATP simplement en surclassant ses adversaires grâce à des caractéristiques qui placent la victoire hors de leur atteinte. Une fois le niveau 20 atteint, notre personnage devra faire avec ses capacités désormais figées. Ce niveau ne permet en aucun cas de créer un joueur parfait, et le joueur devra donc composer avec des qualités et surtout des défauts pour mener son personnage au terme des différentes compétitions qui s'offrent à lui. A sa charge alors de progresser manette en main pour venir à bout de ses adversaires. C'est clairement l'approche de la carrière que je préfère. Un peu comme dans un Skate, c'est au joueur de parvenir à réussir à se dépasser s'il veut accomplir de grandes choses, et la moindre réalisation est alors bien plus méritée et bien plus satisfaisante, même si elle peut se faire bien plus rare.
Le problème que j'ai néanmoins rencontré rapidement, c'est le manque d'adversité. Une fois le niveau 20 atteint, et à une ou deux exceptions notables près (Andy Murray particulièrement), la majeure partie du tableau peut être vaincu sans trop de difficultés. A vous donc les Masters, les places en finale de Grand Chelem et le titre de numéro un mondial. La compétition ne s'annonce donc pas aussi sévère qu'attendue, même en mode pro. Pire, elle s'avère en même temps injuste. En effet, lors des finales de Grand Chelem et des phases finales de tournois spéciaux, les adversaires deviennent soudainement et inexplicablement surpuissants. A caractéristiques comparables, ils sortent des coups qui nous sont inaccessibles, ont des réflexes hors du commun, et la fatigue ne semble plus les affecter autant.
Je comprends que les développeurs aient voulu placer un enjeu supplémentaire pour la conclusion de ces compétitions prestigieuses. Mais piper les dés n'est pas la solution. Je ne souhaite pas que l'on me déroule le tapis rouge en me permettant d'écraser tout le circuit la majeure partie de l'année, et me retirer le même tapis de sous mes pieds lors de la conclusion. C'est l'équivalent de la si décriée carapace bleue de Mario Kart. Mais là ou Mario Kart s'en tire tant bien que mal dans son approche arcade/fun, cela passe beaucoup moins dans un titre qui se veut un minimum réaliste, avec une carrière avec classement persistant sur plusieurs tournois et plusieurs saisons.
S'ils voulaient rendre la victoire en Grand Chelem plus rare et plus significative, ils n'avaient qu'à élever de façon permanente la qualité de jeu de mes adversaires (et accessoirement ajouter des scènes de remise de prix plutôt que de se contenter de l'animation simpliste de victoire). J'aurais probablement gagné bien moins de titres en Masters et ailleurs, mais j'aurai survécu, j'aurai joué avec le même enthousiasme.
La victoire n'est pas le seul facteur de fun, la condition sine qua none du plaisir que je prends à jouer au jeu. Dans mon expérience contre des adversaires humains, les points sont le plus souvent accrochés, et même si je perds parfois avec des scores impitoyables, je livre souvent de belles batailles et je m'amuse tout de même. Le gameplay est suffisamment bon pour cela. Les possibilités de jeu à ma disposition sont suffisamment riches. Je sais que je peux arracher certains points. Je reconnais que mon adversaire me surclasse parfois largement. Mais il mérite alors sa victoire.
Quand je me fais exploser par Nadal en finale de Roland Garros alors que je lui ai roulé dessus en finale du Masters de Madrid le mois précédent, je suis hors de moi. Pas par frustration de la défaite. Simplement parce que c'est injuste. Ça ruine la logique du jeu et au delà, ça diminue même mes victoires passées. La main du développeur qui décide quand je peux gagner et quand je dois perdre se fait à nouveau trop présente. Sauf exploit hors du commun, le joueur et ses capacités manette en main n'ont plus leur mot à dire. La compétition n'a plus de sens.
La carrière pêche donc en voulant s'assurer que tout le monde progresse au long du jeu, et atteigne le sommet, et en conservant une poignée de pics de difficulté invraisemblables pour conserver un semblant de réalisme dans le nombre de titres majeurs que le joueur peut s'arroger.
Merci, mais moi, Je voulais simplement mesurer mes capacités de joueur à une galerie variée de tennismen compétents, m'améliorer et progresser dans la hiérarchie à travers la maîtrise progressive des subtilités d'un gameplay complexe, quitte à buter contre des adversaires légitimement meilleurs que moi et ne jamais atteindre le haut du tableau si je ne suis pas assez compétent.
Je ne voulais pas d'un joueur surprotégé au début, dont les capacités augmentent miraculeusement au cours de sa carrière en même temps qu'il grimpe artificiellement le classement, pour rapidement dominer tout le circuit mondial et enchaîner les victoires mais buter sur une poignée de matchs parce que ses adversaires se réveillent enfin et produisent le tennis sans faille dont ils sont le plus souvent incapables par ailleurs.
Messieurs les développeurs, c'est si dur de lâcher votre emprise toute puissante sur l'expérience des joueurs et de les laisser gagner et perdre sur leurs propres mérites dans une compétition disputée, ouverte et juste ? En jouant au mode pro, il ne me serait jamais venu à l'idée de râler parce que les victoires étaient trop rares ou mêmes hors de ma portée, je n'aurai pas considéré que le jeu était une bouse infâme qu'il me fallait revendre au plus vite. Au pire, si la soif de victoire et de progression avait été si importante à mes yeux que vous semblez le penser, j'aurais baissé la difficulté. En rendant le mode pro à la fois trop facile et trop injuste par contre, vous vous assurez que je me contenterai à l'avenir de jouer contre des joueurs humains. Heureusement qu'il y a le mode online.