Ce billet contient des spoilers pour Portal 1 et Portal 2.
Portal est un jeu que je respecte énormément. Ce n'est peut être pas tant dû au plaisir certain que j'ai eu à y jouer, que par sa réussite conceptuelle. Portal, c'est une idée réduite à l'essentiel, un diamant poli.
Une série de salles vous apprend à jouer avec une mécanique jamais vue alors, sans jamais répéter un même challenge inutilement. La nature répétitive et contraignante de la formule se justifie pleinement par le contexte des tests et de la relation cobaye-scientifique, et est grandement atténuée par la complexité progressive des épreuves. C'est l'image même du jeu vidéo, le joueur/avatar étant soumis à une série d'épreuves explicitement conçues par une entité externe, invisible et désincarnée (les développeurs pour le joueur, l'IA GLaDOS pour l'avatar) pour tester ses capacités, introduisant progressivement les complexités. Le rythme est suffisamment élevé et le monde et les personnages suffisamment en retrait (Chell est muette et n'est pas plus qu'un portal gun flottant seul dans des environnements neutres et fonctionnels) pour qu'on ne se soucie initialement pas de voir au delà de ce schéma basique, comme on ne s'interroge pas sur l'envers du décor de Tetris. Puis, quand on commence à se poser des questions sur la vraie nature de l'affaire, éveillé par les inscriptions au mur des sujets de test précédents, par l'humour étrange de l'énigmatique intelligence artificielle, tout se dévoile et s'inverse. De sujet ignorant et docile, nous passons à agent conscient et libre, de proie à prédateur, le joueur en parfaite adéquation avec le personnage. Cette transition se voit également dans les décors, les grandes salles immaculées et impersonnelles des débuts laissant place à d'étroits corridors rouillés oppressants, bruyant du travail des pistons et machines qui témoignent de la vie et du passé d'Aperture. Nous utilisons alors l'ensemble de ce que nous avons appris de GLaDOS contre elle, et nous émergeons victorieux et libres. L'aventure ne dure pas plus que nécessaire, ne cherche pas à se diluer pour satisfaire d'arbitraires impératifs, distille subtilement son humour, enveloppe son histoire d'un voile de mystère intrigant tout en se concluant de façon satisfaisante, et propose un gameplay (non-violent !) qui fait appel à nos méninges et nos réflexes.
Pour toutes ces raisons, j'admire Portal. Et comme d'autres refusaient d'entendre parler de BioShock 2 qu'ils jugeaient accessoire et opportuniste, la nouvelle d'une suite fut accueillie par le plus grand désintérêt de ma part.
Néanmoins, victime ordinaire de la hype, j'ai rapidement cédé devant les louanges (presque) unanimes, pour pouvoir aborder l'histoire vierge de tous spoilers. Après avoir désormais fini l'aventure, est-ce que je regrette mon investissement ? Non, j'ai passé un excellent moment dans les locaux virtuels d'Aperture Science. Par contre, je ne suis toujours pas convaincu de la pertinence des choix effectués dans cette suite.
Tout d'abord, j'avais quitté Chell libre dans Portal 1. La retrouver enfermée à nouveau dans les locaux d'Aperture Science sans la moindre explication n'est pas franchement satisfaisant. J'ai cru comprendre qu'un comic était censé faire le lien, et que la cinématique de fin du 1 avait été légèrement modifiée pour mieux justifier ce nouveau départ. Je trouve pour le moins dommage qu'un point aussi crucial soit ainsi relégué en dehors du scénario canonique des jeux, comme s'il s'agissait d'un détail anodin, sans parler du fait de réécrire, serait-ce de façon mineure, une histoire parfaitement satisfaisante pour des besoins commerciaux. On se retrouve donc comme par hasard à nouveau prisonnier d'Aperture Science. On pourrait cependant espérer que notre personnage ait tout de même appris quelque chose de sa première aventure, qu'elle conserve sa conscience éclairée, qu'elle se rebelle et n'obéisse pas aveuglément aux ordres en accomplissant docilement les tests.
Pas de bol, Chell subit sans sourciller tous les événements ou presque. Elle suit Wheatley, le premier robot qui passe, sans se poser de questions, et empile salle après salle comme si de rien n'était, s'enfonçant de plus en plus profondément dans le complexe. L'objectif de s'échapper est perdu de vue en même temps que la routine des vieilles salles s'installe, une blague à l'entrée, une blague à la sortie. On est alors réduit à suivre le rail littéral de l'aventure et à subir les railleries des développeurs à ce sujet. Une fois GLaDOS comme par hasard rétablie, les salles s'enchaînent. J'aurais ajouté "sans discontinuer" si l'on ne devait pas supporter très régulièrement des temps de chargement bien notables, qui plombent le rythme et renforcent la répétitivité de la formule. Là, on retombe explicitement sous les ordres de GLaDOS, comme dans le 1. Pourquoi continuer à se plier à ses ordres ? Ce n'est pas comme si on pouvait la croire digne de confiance. Alors certes, il n'y a pas d'autre sortie, mais je trouve ça bien trop facile comme justification.
Chell subit tout donc sans émettre le moindre doute. Son silence se justifiait à peu près dans le jeu original, puisqu'en tant que cobaye, on n'attendait pas qu'elle commente les épreuves ou engage la discussion avec les messages préenregistrés diffusés dans chaque salle. Et qu'une fois le pot aux roses découvert, il s'agissait surtout de rejoindre GLaDOS à son insu, à travers l'envers du décor, pour détruire l'IA. Dans Portal 2, le mutisme de Chell est bien moins justifiable. On a des partenaires en face de nous (Wheatley puis GLaDOS) et on n'engage jamais la discussion. Ils n'arrêtent d'ailleurs pas de jacasser, font la conversation pour deux, pour couvrir notre silence. Le silence de Chell la prive de toute initiative dès qu'il y a quelqu'un d'autre. Pourquoi ne pas interroger Wheatley sur ce qu'il se passe ? Ne pas s'engueuler avec GLaDOS ?
Le mutisme de notre personnage n'a qu'un avantage, il dispense les scénaristes de justifier les actions de Chell...
Le jeu nous offre bien quelques lueurs d'espoirs lorsqu'on échappe enfin aux griffes des robots au début du deuxième acte. Mais cette liberté et cette euphorie sont de courte durée, puisqu'on retombe, comble de malchance, sur une autre série de salles de tests. La blague. La formule rempile magiquement, avec les salles de tests, les ascenseurs, la voix off qui fait des blagues et même le sidekick atteint de diarrhée verbale. On comprend que les développeurs ne savaient pas trop que proposer d'autre en plein air que de la chasse au pixel-blanc-à-portail, et qu'ils ont préféré se rabattre sur la bonne vieille méthode.
Il y a également une tentative de nous expliquer le passé d'Aperture, son évolution à travers les âges. Étrangement, les enregistrements sonores sont supposés venir d'époques différentes (ils ne pouvaient pas refaire les anciens quand ils devenaient obsolètes ?), ce que semblent confirmer les tableaux du personnage Cave Johnson à différents âges, mais j'ai toujours eu l'impression d'avoir affaire à Jonah Jameson de Spiderman. L'histoire passe donc surtout par un relookage des logos pendant les chargements, et la prédominance de la couleur marron pour les décor en lieu et place du gris et blanc.
Que ce soit dans les nouvelles ou les anciennes salles, et encore plus s'agissant de l'envers du décor, la direction artistique de Portal 2, par ailleurs bien réussie, n'est jamais vraiment raccord avec celle de l'original.
J'ai donc un certain nombre de griefs contre le jeu, principalement que la formule gagnante de l'original a été réappliquée comme si on n'avait pas joué au premier et qu'il était normal pour les personnages de suivre un rail sans se poser de questions, en étirant l'aventure plus que de raison, et en meublant avec une avalanche de blagues pour divertir à tout prix. La liste ne s'arrête pas là, je trouve que la profusion d'éléments de gameplay différents nuit à l'exploration complète de leurs potentiels respectifs (funnels, ponts de lumière, peintures, etc). Les décors mettent également trop en évidence la solution des puzzles, qui est le plus souvent unique et ne laisse pas de place à l'expérimentation. Les nouveaux puzzles bloquent trop souvent un portail en position évidente (un portail pour "récupérer" un pont de lumière, un funnel ou de la peinture), ce qui limite le puzzle à trouver ou poser le deuxième portail. Le passé de GLaDOS et le retournement de Wheatley sont deux parties de l'histoire mal amenées et qui auraient pu nous être épargnées.
Mais ce qui m'énerve pas mal en fait, c'est de voir comment ces choix ont été fait.
Pourquoi GLaDOS est là :
At one point there were no portals, or GLaDOS. We try everything and we playtest everything.
People wanted more portals, they wanted GLaDOS, they wanted to be Chell. You don't want to meet GLaDOS in the second game and she has no recognition of you.
When the player first stumbled on GLaDOS in early tests, the idea was that you as the player would turn her on. But no one wanted to. We were curious, because everyone wanted GLaDOS back. And we realised, yes they want her back, but as embodying the player they thought, "Why would I want this killer to turn back on again?"
Résultat, Chell se retrouve à nouveau dans Aperture Science, et c'est Wheatley qui rallume notre Nemesis. Mouais, la voix des playtesteurs a parlé, mais je ne trouve pas ça satisfaisant ni bien amené (perso, je croyais que Wheatley était une ruse de GLaDOS).
GLaDOS en sidekick
One thing I wanted to try was: wouldn't it be neat to have you and GLaDOS as buddy cops against a new threat? It wasn't until we started executing it that I realised that half of this buddy-cop team doesn't talk, so that doesn't work too well. So that required some last-minute rejigging.
And what we discovered was, point blank, no one wants to hear this woman telling you you're an awful person, dumb and fat, while she's sitting on your gun. People were asking, "Why am I carting this person along?" By a matter of necessity GLaDOS needed to have a character shift.
Résultat, on se tape un demi-tour complet de la personnalité de GLaDOS, obligée de faire la conversation pour deux sans pouvoir nous aider en quoi que ce soit, le tout justifié par un passé bidon.
Et mon préféré, le summum de la logique
Portal 2 is two and a half times longer than Portal 1 - we couldn't just have the same test chambers. It would have gotten fairly dull. So it was a lot of fun for us to create new characters.
Pour conclure, et ne pas peindre un tableau uniquement négatif, résoudre certains puzzles avancés est particulièrement satisfaisant et donne bien l'impression d'être intelligent. Certaines mécaniques de gameplay ont été bien retravaillées et améliorées depuis l'original (lasers plus pratiques, tourelles moins létales, moins de timers). Certains environnements sont vraiment réussis et transmettent bien le sentiment de perte dans un complexe gigantesque à moitié laissé à l'abandon. Les dialogues, même si leur présence peut parfois paraître forcée, sont très bien écrits, et Stephen Merchant est impérial dans son interprétation. L'animation de Wheatley mais aussi des décors (les panels en particulier) force aussi le respect.
Enfin, le mode coop est aussi bien jouissif, avec une entraide réelle pour des challenges plus complexes et plus corsés que dans le solo, et un enrobage réussi. Les robots testent sans se poser de questions, et c'est bien plus logique.
Portal 2, c'est donc une expérience que je conseille sans trop d'arrière pensée, avec un univers artistiquement étoffé, des dialogues plein d'humour et des challenges originaux, mais c'est incomparable avec la réussite du premier épisode. C'est sympa à jouer, beau et drôle, mais ce n'est plus aussi malin et inspiré.