Il y a parfois de ces jeux que l’on qualifie de ‘petit’ mais qui en fait sont bien loin de l’être. Des titres que l’on attend moins que les gros blockbusters triple A qui tâchent mais qui pourtant à leur sortie savent marquer durablement les joueurs qui les auront arpenté. A Plague Tale - Innocence est de ceux-là, incontestablement. Un jeu qu’il fut bon de découvrir, de parcourir et de finir. Un véritable plaisir de Jeu Vidéo comme il se fait rare désormais…

 

RAT DE BIBLIOTHÈQUE

1348. Amicia De Rune est une jeune châtelaine en promenade avec son père, seigneur de la région. Au cours de leur pérégrination matinale dans les bois, Lion le chien maître-chasseur flaire un danger…pestilentiel !
De retour au domaine pour préparer une expédition afin d’éliminer cet étrange fléau, une autre menace - bien plus connue – se rajoute à la première. L’inquisition investit les lieux, massacrant tout ceux sur leur chemin. Ils recherchent Hugo, le cadet malade des De Rune, qu’Amicia connaît à peine. C’est pourtant bien avec lui qu’elle prend la fuite, sous les derniers mots de leur mère qui les enjoint de retrouver Laurentius, un médecin assez étrange qui vit au moulin…

Amicia se retrouve à avoir la charge de son petit frère alors qu'elle n'a rien demandé...

Dès lors il nous faudra guider les deux jeunes gens à travers 17 chapitres, une impitoyable inquisition à leur recherche et une armée de rats dévoreurs de chair fraîche. Heureusement ils ne manquent pas d’astuces et de courage pour faire face à tous ces dangers. Ils rencontreront également des compagnons de route qui s’avéreront de précieux alliés en toutes circonstances. Ainsi ils progressent dans un jeu mixant aventure, action et énigme de la plus belle des manières.
Question environnement, c’est avec ravissement que l’on se retrouve dans la campagne française du XIVème siècle. Entre ses forêts profondes, ses villages de pierres, et ses villes médiévales on se replonge dans l’histoire de nos ancêtres avec un œil curieux. Cependant ce coté exotique ne délaissent pas la grande misère, la pauvreté et la folie de la Guerre très présente en ce temps-là. Car en l’an de grâce 1348, cela fait une décennie que fait rage la Guerre de Cent ans. Et ses stigmates seront bien visibles lors du trajet de notre fratrie.

 Les décors sont parfois bucoliques...

...et d'autres fois tragiques!

Cet ‘état des lieux’ de la France en cette année-là est de loin l’aspect le plus réussi d’A Plague Tale. Que l’on traverse des décors enchanteurs au bord de l’eau ou des champs de batailles jonchés de cadavres, l’atmosphère qui se dégage de l’ensemble nous imprègne de cette époque lointaine. On y croit car on y est.
Cette sensation est sublimée par l’ambiance sonore, tout simplement enchanteresse. Olivier Derivière à une fois de plus fait des prouesses avec son art, n’hésitant pas à ressortir des instruments peu courant et évoquant l’époque pour fournir une bande musicale d’exception. Faisant appel à des musiciens sachant manier ces instruments d’antan, il dirige une petite troupe jouant divinement, ce qui fait merveille aux esgourdes.

Une instrumentation peu courante pour le jeu vidéo...

Extrait de la bande originale

Il faut aussi évoquer l’excellence de l’écriture et du sens du récit qui élève le dernier-né des Studios Asobo au dessus de la moyenne des productions actuelles. Amicia et Hugo évoluent beaucoup durant leur trépidante épopée. Dans leur relation d’abord, puis dans celles avec leur compagnons…et enfin et surtout face à eux-mêmes. Ce dernier échange de regards entre le garçonnet et le Grand Inquisiteur qui en dit tellement long…(le regret du vieil homme, l’espoir et comme une passation de pouvoir vers celui qu’il considère comme son héritier, et ce regard cru, dur et qui ne se détourne pas du petit garçon, acceptant cette mort avec sagesse mais dureté, révélant alors un aspect de la nature sombre d’Hugo…laissant présager d’un peut-être obscur futur pour le jeune homme…).
Puis cette montée graduée, toute en demi-mesure, qui nous fera passer d’un monde très réaliste et brut à un univers plus enchanté et fantastique, sans que le revirement d’ambiance ne se fasse sentir outre mesure. Cela n’a l’air de rien, mais en terme de développement scénaristique, il faut une certaine maestria pour pouvoir l’amener sans ‘casser’ sa narration globale.
A cela il faut apporter toute la notion allégorique de La Peste, parfaitement retranscrite ici. Bien sur elle est présente physiquement, avec ses rats, ses malades, ses mourants, ses cadavres. Mais aussi de manière symbolique, dans cette église chrétienne et son inquisition ayant perdu toute raison, dans ces villageois éplorés ayant perdu toute Humanité, et dans Amicia elle-même, forcée à faire des choix difficiles et douloureux pour protéger son petit frère des fléaux qui le menacent.
Cette prouesse d’écriture, à tous les niveaux, est remarquable. Ce qui fait que le jeu restera dans les mémoires, c’est çà. Accompagné de décors soignés et authentiques et aussi d’une maniabilité et une réalisation aux petits oignons, on obtient là une pépite. Mais détaillons ces derniers points dans le prochain chapitre…

 On trouve parfois un peu de féérie dans ce monde de brutes

RATS DES VILLES, RATS DES CHAMPS

Alors concrètement, comment se déroule le parcours d’Amicia ? Le gameplay se divise en plusieurs phases, qui parfois se chevauchent, se complètent et finissent même par fusionner. L’apprentissage de ces différentes jouabilités est donc nécessaire pour progresser sereinement. Encore une fois tout cela se fait de manière fluide et intelligente, sans que cela ne paraisse forcé. Une touche de tutoriel par-ci, une explication affichée sur l’écran par-là, de nouvelles mécaniques de jeu arrivant qu’à la toute fin permettant de parachever l’arsenal et les compétences de notre héroïne, fin prête à affronter les plus grands dangers présent sur son chemin.

Il va falloir affronter ses peurs pour aller de l'avant...

Commençons déjà par présenter la capacité première de la jeune fille: sa fronde. Cette dernière lui permet d’atteindre des cibles éloignées dans une relative discrétion. Sa portée, sa puissance et surtout sa nuisance sonore peuvent être amélioré aux établis que l’on croise ici et là au cours de notre périple. Car le jeu à aussi un système de craft, devenu d’une confondante banalité dans les jeux du genre désormais - et c’est pourquoi je ne vais pas m’étendre dessus, étant ici présenté sous sa forme la plus classique (des ressources, des recettes, des outils…). Elle peut aussi lancer ses différentes munitions à mains nues, avec une portée moindre mais sans émettre le moindre bruit. Ses munitions sont diverses et se révèlent utiles dans tout un tas de situations. Il y a celles qui rallument les braises, celles qui éteignent les feux, celles qui explosent, celles qui attirent les rats, qui étourdissent les ennemis, voir les endort…toute une variété qui va permettre d’appréhender toute les phases de jeu sous les meilleurs auspices.

Une petite troupe finit par se former au fil des rencontres

Et venons-en à ces phases de gameplay. En premier lieu, il y a les passages de discrétion. Vous devez franchir une zone donnée, gardée par la milice de l’inquisition, sans vous faire repérer. Si c’est le cas vous pourrez toujours tenter de vous défendre avec votre fronde mais c’est généralement perdu d’avance…
Il faut donc observer le rythme des rondes des gardes, détourner leur attentions, parfois les estourbir en douce…bref faire en sorte que le chemin soit dégagé pour atteindre l’autre coté.
Ensuite il y a les séquences d’actions, où vous serez amené à courir comme une dératée sur une longue distance ou bien devrez affrontée un ou plusieurs ennemies en face-à-face. Des duels à la David contre Goliath bien souvent, qui sembleront impossible au premier abord mais qui avec de la ruse et de l’agilité seront âprement mené à bien.

Les gardes de l'inquisition ne sont pas des plus vivaces...Admirez au passage la beauté et la véracité des décors.

Entrecoupant ces différentes sections, il y a les zones d’exploration – sommaires mais que l’on découvre avec ravissement – qui parfois contiennent quelques énigmes à base de mécanisme ou de caisse à déplacer. Ce n’est jamais lourd ou bien bloquant, cela permet surtout d’amener un peu de réflexion au milieu de scènes bucoliques. Il se peut que la miss réclame de l’aide à ses compagnons de route, dans ces cas-là une icône apparaît au-dessus du levier à manier et il suffit d’indiquer quand on est prêt pour que le camarade s’exécute. La coordination des deux actions étant nécessaire pour parvenir à résoudre l’équation.

Parfois des icones apparaissent à l'écran, pour signaler une action à effectuer par l'un de vos partenaires

Le cœur du jeu reste cependant les phases ‘avec les rats’. Les sales rongeurs, présent par milliers n’ont qu’un seul défaut: ils craignent la lumière. Il faut donc impérativement créer des zones éclairées pour pouvoir avancer sans se faire dévorer tout cru. Observation, connaissances de ses ustensiles et ses capacités…franchir les rivières de rats fera appel à tout ce que le jeu mets à votre disposition pour réussir.
Parler de rivière n’est pas anodin car la manière dont se meuvent les hordes pestilentielles se fait de manière ‘liquide’. Il semble que leur mouvement ait été traité comme un ‘fluide’, ce qui donne cette sensation très particulière aux mouvements de cette armée à quatre pattes. Presque irréelle, ce qui accentue l’impact sur notre imagination.

Les fameux rats.

Ils sont vraiment partout et sont répugnants. Heureusement la moindre étincelle de lumière les repousse!

Là ou le titre devient vicelard, c’est que ces différentes phases finissent par se superposer. Et qu’il faut donc redoubler d’astuce et d’observation pour passer les zones. Une séquence de discrétion au milieu d’une mer de rat - attirer les bêtes plus loin tout en évitant les rondes des soldats. Résoudre une énigme dans un temps imparti, car poursuivi par une troupe surarmée qui ne souhaite que de vous passer au fil de son épée. Affrontement à la fois contre un garde en armure renforcée et une cohorte de rongeurs… Toutes les possibilités seront présentes à un moment ou un autre. Ce qui est remarquable car cela apporte une variété de situations – on fait rarement deux fois la même chose – avec toujours le même but (passer la zone) mais jamais de la même manière. Un grand bravo !

Le mal qui ronge le pays laisse des marques.

FAIT COMME UN RAT

Cette réussite générale possède cependant aussi ses défauts. Par exemple, la distance d’affichage n’est pas des plus fameuses et il n’est pas rare de voir disparaître des éléments mineurs au fur et à mesure que l’on s’en éloigne. Rien de bien fâcheux rassurez-vous. J’ai pu constater aussi au cours de quelques cinématiques des textures se chevauchant, nuisant un peu à l’immersion (« Ah tiens, son écharpe passe à travers son col ! ») mais là aussi c’est du chipotage. Le plus notable reste le temps de chargement en début de chapitre (l’écran indiquant le numéro et le titre de celui-ci) qui dure parfois une longue minute. Mais c’est pour mieux ne pas avoir de coupure ensuite au sein du susdit chapitre, c’est donc un ‘mal’ pour un bien.

Le Grand Inquisiteur Vitalis, qui porte bien mal son nom, souhaite à tout prix mettre Hugo sous sa coupe...

Et en ce qui concerne les défauts…et bien c’est tout! Je n’ai eu aucun bug, aucun ralentissement, aucun freeze…que dalle ! Pour faire le polisson on pourra ergoter sur les rats en eux-mêmes qui ne sont pas ultra-détaillés – même modèle, pas de ‘poils’ - mais ce serait vraiment faire le chieur pour pas grand-chose. Par contre je vais m’autoriser un aparté car j’ai bien eu un gros défaut en jouant à A Plague Tale - Innocence, mais n’ayant pas rapport avec le jeu en lui-même…

Profitons de cette belle vue sur le lac pour aborder un tout autre sujet...

 
Comme évoqué en amont, il y a plusieurs scènes du jeu qui nécessitent de faire courir Amicia durant de longues phases de poursuites. Ce qui me posa de ‘graves problèmes’ étant donné ma Dualshock PS4 défaillante…En effet l’analogique gauche déraille, depuis un moment maintenant. Faire aller le personnage en avant ‘à fond’ avec l’analogique n’est plus possible avec ma manette, car même quand je suis au maximum ‘en haut’ c’est comme si je maintenais le bitoniau au ¾. Ce qui fait qu’en pratique dans aucun de mes jeux mes personnages ne peuvent aller au-delà du ‘trottinement’. Ce qui vous en conviendrez peut poser quelques soucis. Hors dans l’aventure qui nous intéresse ici, pour faire sprinter la demoiselle il faut maintenir R2 et la faire cavaler en poussant le stick à donf. Et donc je suis mort plein de fois au cours de ces phases de poursuite, ne pouvant pas la faire aller à sa vitesse optimum ! Bon j’y suis parvenu tout de même au bout de plusieurs essais, connaissant à force le chemin, et puis j’ai eu la N64 et je sais déplacer mes persos en ‘crabe’ pour les faire déplacer plus vite avec l’analogique.. ; mais cela reste toujours galère. Au point que j’ai dû sortir ma deuxième manette – ma première en fait, qui à énormément servit et qui est très fatiguée (bouton usés, analogique droit désaxé vers le haut et qui ramène donc systématiquement la caméra en ‘contre-plongée’, gâchettes qui couinent…) pour affronter le Boss final tant elle n’arrivait pas à esquiver ses attaques suffisamment rapidement ! Une fois le remplacement effectué *HOP!* ce dernier malandrin est devenu tout de suite bien plus simple à affronter !
Il y a un moyen de ‘réparer’ ce problème d’axe sur les sticks analogiques, qui consiste à souffler comme sur les bonnes vieilles cartouches NES à l’intérieur de la manette…ce qui effectivement va atténuer le phénomène…pour un court laps de temps. En vérité il s’agirait de nettoyer l’intérieur de la Dualshock à fond…il faudrait que je le fasse…un jour que j’aurai le temps…
Fin de l'aparté.

 Lucas est mon personnage préféré. Celui qui percoit la situation au-delà que ce que les autres en voit. L'apprenti alchimiste est pour beaucoup dans l'évolution de notre duo de héros.

~€~

Revenons à la Peste, aux rats, à Amicia et Hugo. À bien y réfléchir il n’y a guère de reproches à formuler devant le résultat final. L’aventure est belle, prenante, bien écrite, avec des personnages captivants et empathiques. Le récit nous alpague, nous entraînant dans ce lointain passé de notre pays pour une balade tantôt féérique tantôt cauchemardesque. Graphiquement on y croit, l’immersion est totale, la musique terminant de clouer cet effet de vraisemblance.

Il semble que le jeu s'inspire du fléau bien réel recensé de 1348, même si la région n'est pas la même.

Et puis que cela fait du bien d’avoir un titre qui ne soit pas une suite, pas un reboot, pas un début de franchise, pas un remake…un vrai ‘récit complet’ original et innovant, apportant un peu de fraîcheur au média. Avec un début, un milieu, une fin. Il y a certes toujours possibilité de faire une suite - car certains mystères restent en suspens comme cet étrange décor au sol au château d’Ombrage – mais serait-ce une si bonne chose ? Ce jeu ne se suffit-il pas à lui-même ?

On partage de beaux moments en parcourant A Plague Tale

Ce plan final voyant partir au loin nos héros m’a énormément évoqué la fin du film culte de Jean-Jacques Annaud ‘Le Nom de la Rose’ (1986), quand on quitte Adso et Guillaume de Baskerville partis pour de nouvelles aventures dont on ne sait rien. Au passage Umberto Eco et son ouvrage le plus célèbre est aussi ‘cité’ lors de la recherche de la bibliothèque en suivant ‘le Chemin des Roses’. Il y a de nombreuses références au cours du périple, du Robin des Bois avec Kevin Costner (Kevin Reynolds, 1991) au château Arthurien Camelot de la légende. Sans compter tout ce que je n’ai pas capté…
Alors non, A Plague Tale - Innocence n’a rien d’un petit jeu. C’est un titre passionnant, poignant, avec ses grandeurs et ses bassesses d’Humanité, ses joies et ses peines. Une jouabilité variée, jamais redondante, toujours finement amenée, toujours maline. Un récit à la fois terre-à-terre et symbolique, sachant jouer sur les deux tableaux pour conter son histoire. Un modèle à suivre pour beaucoup, qu’il s’agisse en terme de gameplay, de storystelling, de level-design (pardon pour ces anglicismes).

Un grand jeu, tout simplement.

"Et jamais je n'ai su son nom..."