Depuis quelques temps, il est impossible de dissocier mode et jeux vidéo. Autrefois cantonnés à leur propre secteur, les deux aujourd'hui sont interdépendants, jouent avec leurs codes mutuels, et contribuent à l'amoindrissement progressif de la barrière réel / virtuel qui avait coutume de les séparer.

Et l'Homme fit l'avatar à son image.

Difficile de dire quand exactement l'importance de l'industrie vestimentaire s'est imposée dans les jeux vidéo. Il fut un temps où seul le gameplay comptait, où seule l'histoire importait. Il fut un temps durant lequel les tenues spéciales ne se débloquaient pas, durant lequel le physique du personnage nous était imposé. Oui, il fut un temps où il n'était pas important que notre avatar soit "fashion". Tout a commencé par une personnalisation d'avatar. Couleur de cheveux, forme de corps, traits du visage, l'avatar prenait forme humaine avec pour mission ultime celle de "matérialiser" le joueur, ou du moins sa propre représentation fantasmée (Second Life excellait en la matière, poussant l'importance physique jusqu'à être un critère déterminant pour réussir à "emballer" virtuellement en soirées, boîtes de nuit, etc.). La Wii proposait également de se faire plus ou moins grand, plus ou moins gros, avec un nez plus ou moins flatteur, mais tout ceci ne constituait que les prémices...

Il fallait aller plus loin.


Des avatars bien familiers.

Pour que la métamorphose soit complète, il ne fallait pas se contenter d'un éventail de représentations physiques, il fallait en plus de cela les personnaliser, les "pimper", les rendre uniques. Associer à chaque avatar sa propre identité vestimentaire, de manière à ce que virtuellement, il soit lui aussi en adéquation avec les normes sociales. La customisation de l'avatar était passée de la satisfaction purement personnelle à la peur d'être stigmatisé, ou de ne pas être "unique".

Ainsi dans la saga GTA et notamment dans GTA IV des magasins proposant des looks pointus arboraient les rues du crime, permettaient à Niko Bellic de passer du style hip hop à celui de mafieux Scarface-isé, World of Warcraft offrait des panoplies à complètes et assorties aux explorateurs de donjons dont le look comptait pour certains plus que les avantages, tandis que dans Second Life, de nombreux stylistes indépendants proposaient des styles variés moyennant de l'argent... qui cette fois était bien réel.

La mode s'était immiscée dans l'univers du jeu vidéo, en allant plus loin que le simple costume design. Les normes vestimentaires de la "vraie vie" l'étaient aussi virtuellement.

L'homme avait façonné l'avatar à son image. Seules ne comptaient plus les capacités techniques du personnage, seule ne comptait plus son immortalité, le joueur, plus que tout, réclamait d'être looké.

Et l'Homme se fit à l'image de son avatar.

Et puis un beau jour, le joueur en a eu marre de claquer toutes ses économies dans des tenues XBLA et a décidé d'enfin penser à lui. Finies les heures passées à se faire beau virtuellement, désormais il se ferait à l'image de son avatar, de son personnage de jeu favori.

De la copie conforme cosplayée aux collections dérivées telle que UT Metal Gear Solid chez Uniqlo, le joueur rendait hommage à celui qu'il avait soigneusement habillé, telle une poupée, chaque matin. De la casquette L4D à la natte sportive de Lara Croft, en passant par la proposition aléatoire de tenue du menu XBLA ou par le modèle RS-100 par Puma découvert dans True Crime, le joueur pourrait lui aussi prendre l'apparence de ses héros virtuels.

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Concours ESMOD : création de tenues pour les Sims (2006)

Alors que nous réserve l'avenir ? Après avoir habillé l'avatar ou le personnage virtuel à son image, après avoir cherché à lui ressembler dans la vraie vie, serait-ce bientôt au tour des personnages de fixer eux-mêmes leurs impératifs vestimentaires ? Mario pourrait ainsi enfin s'affranchir de sa salopette bleue et lorgner du côté du costume du master chief de Halo 3 pour enfin se faire respecter de ses ennemis, Snake pourrait enfin avoir droit lui aussi au manteau flamboyant de Revolver Ocelot. Little Big Planet avait ouvert la voie, puis c'était au tour d'Altaïr de fricoter avec Snake en lui prêtant sa tunique.


Snake look Michael Jackson ecossais

Trente ans d'évolution n'auront donc pas su résister au crossover vestimentaire. La mode aura progressivement su imposer sa griffe et étendre son empire au-delà des frontières du jeu, Skynet se sera emparé d'H&M et de nos consoles... Bientôt nos personnages refuseront d'acheter une ration ou un médicament pour dépenser utilement leur argent volé en tenues excentriques. Bientôt ils feront l'économie de munitions pour pouvoir acquérir la tenue spéciale Noël ou Halloween. Quant à nous, nous ne serons plus que l'ombre de nous même, au service de la crise d'adolescence de nos avatars, enveloppés dans un vieux Tshirt Big Boss qui ne parviendra plus à nous rappeler qu'un jour, c'était encore nous qui les contrôlions.

Salomé Lagresle

Bloggeuse jeux vidéo et gameuse irréversible, Salomé, jeune fille sage de 22 ans, reste néanmoins la femme d'un seul homme : Snake. Collectionnant les jeux Ken le survivant et les pistolets en plastique, cette étudiante en communication expose, parfois même en chanson, ses humeurs et aventures quotidiennes sur son site coloré : Junkflood.