C'est arrivé un jour. Je crois qu'il faisait beau, mais ce n'était pas en été. En tout cas, les volets étaient ouverts, donc je ne devais pas vraiment jouer sérieusement. Sur l'écran, l'inoubliable interface de Diablo II s'affichait sans vergogne, étalant la fenêtre d'inventaire et ses petites cases bien remplies. Aux pieds de mon amazone, une décharge d'objets aux noms grisâtres n'attendait même plus d'être ramassée, sachant bien qu'ils ne valaient rien. Moi, je comparais l'intérêt d'une nouvelle arme par rapport à celle qui me servait depuis un petit moment. Il n'y avait pas trop de différences. Je réfléchissais. Et finalement, je me suis dit... À quoi bon ?

Prise de conscience

Oui, à quoi bon ? Pourquoi continuer à accumuler des haches, des épées, des boucliers, des bottes, des runes ? Ah non les runes, je garde c'est important. Bref, que faire de tout ce matos, à part le refourguer au marchand habituel qui doit avoir, depuis le début du jeu, assez de stock pour équiper une petite dizaine d'invasions mongoles ? J'ai du mal à comprendre l'économie locale, d'ailleurs. Vu l'offre et la demande, il devrait refiler un set complet dernier cri pour l'achat d'une potion de soin, le seul truc utile dans son bazar. Bah, de toute façon, personne n'en voudrait. À quoi bon ?

Consumérisme virtuel

Je ne vais pas tout mettre sur le dos des Diablos, les RPG ont toujours proposé de gagner de la puissance à travers des moyens bassement matériels pour faire face aux challenges (impossible de ne pas citer Daggerfall The Elder Scroll II, où l'on avait une charette pour entreposer le butin pillé dans les donjons !) et vaincre le Mal. Sauf que dans Diablo, le Mal, tu l'affrontais une fois, deux fois, trois fois, etc. Au bout d'un moment, le boss de fin n'avait pas beaucoup plus d'intérêt que la sortie du samedi après midi au Leclerc du coin. La course au loot n'est pas exclusive aux Hack&Slash, mais elle tient dans ces titres (Diablo, Titan Quest, Torchlight, Dungeon Siege, Borderlands, Loki...) une place prépondérante. Moi qui ne suis pas un grand collectionneur dans l'âme, ni même un perfectionniste invétéré, je m'arrête souvent de jouer en me demandant vraiment pourquoi je devrais lutter comme un damné pour obtenir un truc dont, au final, je n'ai rien à faire ! Et ce sentiment se retrouve dans un autre genre de jeu : les MMO.

Victime de la mode

Blizzard ayant fait Diablo, et Blizzard ayant fait World of Warcraft, on retrouve un certain savoir-faire dans la variété des objets, leur colorisation par rareté, les mécanismes de «drop» (la manière dont les monstres offrent des récompenses lorsqu'ils meurent), la propension à ne faire gagner que des trucs inutiles (des objets gris), etc. Ces mécanismes ne sont pas exclusifs à World of Warcraft, ils existaient avant, mais le talent d'équilibrage et de peaufinage de Blizzard les ont ancré dans le gameplay par défaut d'un bon MMO. Tout d'un coup, des millions de gens apprennent ce qu'est un set d'armure, ce que signifie Tier 1, 2, 3, l'incontournable code couleur et tout ce qu'il faut savoir comme jargon afin de ne pas passer pour un noob. Et tout le monde surveille son matos, farment les mobs pour leur loot selon leur droprate et, d'une manière générale, entasse un max de puissance virtuelle. Pourquoi ? Pour être des badass ? Pourquoi cette course au loot, que les MMO n'hésitent pas à relancer toujours plus loin à chaque titre ou extension ? VOUS N'EN AVEZ PAS MARRE SANS DÉCONNER ?

Hey man, slow down

Ben non. Ça marche toujours. Impossible de s'arrêter et de renifler une fleur, de discuter avec un joueur pour ne rien dire, de lire une quête... On n'a pas le temps, faut arriver au dernier niveau, faut se stuffer, faut être le plus beau ! Cela engendre même des comportements odieux comme le ninja looting, ou l'art de piquer le meilleur matos au nez et à la barbe de tout le monde. Eh les gars, vous vous ressemblez tous, pétez un coup, ralentissez... Les jeux vidéo c'est surtout pour l'aventure, l'exploration, l'histoire, la communauté ; la progression autant que le end game. Alors, lâchez donc cette épée d'habileté du chihuahua et dites déjà « bonjour ». Ça sera un bon début.

Pilleurs de tombes, collectionneurs chevronnés, ne prenez pas mal ce billet d'humeur. Mais avouez tout de même cette manie d'obtenir l'ultime gadget à la mode est déjà bien frivole dans le monde réel, on est en droit de se demander son intérêt dans les jeux vidéo. Rassurez-vous, je m'interroge, mais je suis aussi impatient que vous quand j'ouvre un coffre ou un monstre fraîchement tué. Faut juste savoir doser et ne pas s'obséder !