En matière de jeu vidéo comme ailleurs, on lit souvent des choses un peu récurrentes, des idées, théories, et autres avis redondants qui tiennent à la fois du lieu commun et du factuellement faux. Après le très long édito de la semaine passée, je m'en vais traiter celui-ci de manière plus légère et plus courte... mais le sujet me tient tout autant à coeur.

"Les jeux sont de plus en plus courts"

Quoi ? Les campagnes de Call of Duty ne font que 6 heures ? Les développeurs n'en foutent donc plus une ramée ? Cette sensation que les jeux raccourcissent, ressentie par de nombreux joueurs, revient si souvent qu'ils en viennent à associer d'autres tendances pour la justifier : par exemple, c'est la faute des modes multijoueurs. La belle affaire !

En réalité, cette idée reçue là est facile à démonter. Il suffit par exemple que je vous passe ci-dessous la vidéo d'une partie complète d'Another World, dans sa version Amiga (91) :

Oui, ça dure à peine plus d'une vingtaine de minutes, générique compris et pourtant, à l'époque, je crois que je n'avais jamais réussi à le terminer complètement, malgré des semaines et des semaines passées dessus. Mais ce n'est évidemment pas le seul exemple de jeu qui est en réalité bien court quand on sait le jouer. Simplement, comme c'était bien dur, on galérait à les finir... mais beaucoup de jeux d'il y a 20 ans ou plus n'étaient en vérité pas plus longs qu'aujourd'hui, bien au contraire. Mais surtout, court ne signifie pas mauvais...

"Avant, le jeu vidéo était plus créatif"

Sympa aussi, celle-ci. C'est vrai, en tout cas, que quand un truc marche dans le jeu vidéo (comme ailleurs, serais-je bien tenté de dire), on a tôt fait d'en bouffer, du clone. Mais c'est oublier un peu vite que c'est une constante, et non une variable, de notre industrie. A l'époque des grands jeux d'arcade des années 80, les plus grands noms ont donné lieu à des tonnes de clones : d'Arkanoid à Asteroids (dont Super Stardust est le dernier clone en date), en passant par Pac-Man ou Space Invaders (dont même les clones type Galaga sont devenus archi-connus), on peut difficilement soutenir que les game designers étaient plus créatifs à l'époque qu'aujourd'hui, en tout cas pas les absoudre du péché de copie. Tellement d'ailleurs, que la profusion de clones insipides et le manque de créativité est en partie responsable de l'effondrement du jeu vidéo occidental dans les années 80.

Quant aux idées et aux noms de jeux, amusons-nous avec quelques trucs de l'époque :


Pas de doute, on avait de l'inspiration avant.

"Les jeux vidéos sont majoritairement violents"

Cette idée reçue là, ce sont plutôt les non-joueurs qui la trimbalent, en général. Encore une fois, il est facile de lui tordre le cou : l'année dernière, aux Etats-Unis, seuls 5 pourcents des jeux passés en revue par l'organisme de classification ESRB ont reçu un classement "Mature" (i.e. 18+). 55 pourcents d'entre eux ont reçu un classement "Everyone" (pour tous âges). Evidemment, certains pourraient toujours avancer le fait qu'un Super Mario Bros, classé "Everyone", promeut toujours la violence puisqu'un plombier y élimine des gombas en leur sautant sur la tête, mais ces certains-là, je pense, feraient sans doute mieux d'aller créer quelques nouveaux mots politiquement corrects pour remplacer les insultes qui me viennent en tête à leur propos, plutôt que de s'en mêler.

Par ailleurs, les jeux les plus vendus ne sont pas les plus violents. Même si un Call of Duty cartonne dans les charts, la plupart des plus grosses ventes de jeux de ces dernières années étaient des titres classés pour tous. Par conséquent, on ne peut même pas dire que les jeux les plus violents sont les plus couramment joués.

"Les jeux sont de plus en plus chers"

Prix moyen d'un jeu neuf sur Amazon aujourd'hui : environ 55 euros. Voyons voir, si je fais une bête conversion en francs au taux fixe de lancement de l'Euro (1 euro = 6,55 francs), ça nous fait 360 francs et des poussières. Hop, hop, hop, donnez-moi deux secondes, je vais farfouiller dans ma collec' de vieux Joypad. Tiens ! Une pub pour Espace 3 Games, datant de septembre 1997 : Ouah ! International Superstar Soccer Deluxe sur Super Nintendo : 399 francs ! Legacy of Kain sur PlayStation : 349 francs ! Destruction Derby 2, toujours sur PlayStation : 369 francs. Ah, mais il y a mieux : Pilot Wings 64 sur N64, 449 francs. Super Mario 64 : 399 francs. Par contre, c'est sûr, ils proposent un bon plan : tous les jeux Jaguar à 99 francs.

Mais le pire, dans tout ça, c'est que non seulement ce n'était pas vraiment moins cher à l'époque du franc et des 16/32 bit, mais c'était même plus cher : car en tenant compte de l'inflation, qui est estimée à environ 24,7% entre septembre 1997 et novembre 2011, mon jeu à 349 francs d'alors vaudrait aujourd'hui non pas 53,20 euros, mais bien 66 euros. Par ailleurs, le prix moyen des jeux, français ou étrangers, tous supports confondus, est passé de 37,68 euros en 2008, à 37,29 euros en 2010, ce qui représente une baisse de... pas grand chose, m'enfin quand même (1).

Enfin, le jeu vidéo n'est pas nécessairement un loisir pour les plus riches : en France, au second semestre 2010, 20,9% des joueurs sont CSP+, 32,7% CSP-, 46,5% inactifs (dont 11,5% d'enfants) (2).

"Avant, il ne s'agissait que de fun"

Variante : "le vrai problème des jeux aujourd'hui, c'est qu'on ne s'intéresse plus qu'aux graphismes, et à la technologie plutôt qu'au fun". C'est certain, les jeux développés aujourd'hui sont faits pour nous prendre la tête. Quoi ? Attendez, mais c'est absurde ! En fait, cette idée reçue là, c'est celle qui fabrique les réacs : pourquoi quand j'étais plus jeune, les Pim's ils étaient tellement meilleurs que maintenant* ? Pourquoi à mon époque, les films d'action avec Bruce Willis et Schwarzy, il étaient si géniaux alors que j'ai l'impression de perdre des neurones à chaque fois que je matte un Transformers ? Pourquoi, quand j'étais gosse, un pauvre Shuffle Puck Café sur Atari ST m'éclatait des heures ? Pas parce que c'était plus fun. Parce que j'étais un gosse, avec tout à découvrir.

Et tant d'autres

Ce n'est qu'un petit échantillon de choses qu'on peut lire ça et là et qui ont souvent le don de me faire bondir. Mais j'en oublie sans aucun doute un bon gros paquet. Comme souvent, à force d'entendre des choses qui sont assenées comme des vérités, on les prend pour telles. Le seul problème, c'est que c'est rarement le cas, et bien souvent, un peu de recherche ou de réflexion suffisent à le montrer de manière évidente. Les joueurs sont d'ailleurs souvent la cible d'idées reçues, comme celle ci-dessus sur la violence, alors pourquoi se faire à soi même ce qu'on ne veut pas que les autres nous fassent ?


* Parce qu'ils ont changé la recette, les couillons !
(1) Etude du CNC "Le marché du jeu vidéo sur support physique en 2010"
(2) Etude du CNC "Les pratiques de consommation de jeux vidéo des Français (2ème semestre 2010)"