Pouvez vous nous parler des débuts du projet Amy ?

Il y a plusieurs éléments différents qui ont joué un rôle dans la création d'Amy. Ce sont des choses qui sont arrivées en parallèle et qui ont finalement abouti à la genèse de ce projet. Déjà en 2003, j'ai commencé a travailler avec Delphine Software sur quelque chose, avec la volonté de réaliser un titre réaliste. Mais cela n'a pas abouti à l'époque. Peut-être parce que ce projet était trop cinématographique, ça aurait pu ressembler à des choses qui existent aujourd'hui comme Heavy Rain ou Fahrenheit. C'était vraiment plus des séquences qui s'imbriquent entre elles mais c'était dans un univers très différent de celui d'Amy. L'idée était de plus travailler sur les personnages que sur les mécaniques de jeu elles-mêmes. Il s'agissait donc de raconter une histoire. Et ça c'est c'est un projet sur lequel j'ai pas mal bossé. Nous l'avions d'ailleurs présenté à l'E3. Au départ, cela s'appelait le projet Humanity et ensuite c'est devenu La Toile du Diable. C'était le nom de la maquette pour présenter la techno, ainsi que l'idée qu'il y avait derrière. La première base d'Amy, c'est ça. Je l'ai montré à Eric (Viennot). Il a trouvé ça intéressant. La seconde étape était mon envie de raconter une histoire avec deux personnages qui sont faibles face à une situation extrêmement hostile. L'important, c'est la relation entre la jeune femme (Lana) qui protège la petite (Amy). C'est un symbole énorme. Pour moi, c'était approprié à un récit épique. Cela était pas mal exploité au cinéma mais assez rarement dans le jeu vidéo. Evidemment, il y a des gens du marketing qui doivent se dire que ce n'était pas du tout la bonne idée (deux héroïnes...) mais je trouve que cela fait vibrer. Et j'espère que les gens le ressentiront aussi. Il s'agit donc d'un mélange entre un ancien projet et une envie de raconter une histoire. Ensuite, tous les ingrédients du jeu ont fait rentrer Amy dans une catégorie, celle du Survival Horror. Tout cela s'est fait naturellement, c'est venu au fur et à mesure. Nous n'avons pas choisi de faire du Survival Horror, c'est ce style qui s'est imposé de lui-même...

Pouvez-vous nous parler un peu du contexte dans lequel se déroule Amy ?

Ce n'est pas évident d'en parler car j'ai peur de spoiler. Mais l'environnement et l'époque sont liés à ce qu'il va se passer par la suite dans l'histoire, donc on va comprendre pas mal de choses au fur et à mesure, dont ce qui arrive à cette ville, Silver City, à ces gens, etc. Une fois que vous aurez joué au jeu, vous comprendrez mieux pourquoi ce contexte. Néanmoins, comprenez que Amy propose une histoire fictive mais basée sur une réflexion profonde. Mais je ne peux pas en dire plus. Je pense, j'espère même, en tout cas, que vous ne serez pas déçus du scénario et de ce qu'il y a derrière. Au delà de cette apparence (ce que nous avons montré dans la démo), il y a un scénario travaillé, des personnages qui ont des motivations et des raisons de faire certaines choses. Et on essaie de comprendre ce qui se déroule... C'est difficile d'en parler à partir d'une vision fragmentaire des choses et si je recolle trop les morceaux, il risque d'y avoir du spoil.

Pourquoi, finalement, avez-vous choisi des héroïnes pour Amy ?

Ca aurait pu être des hommes, comme dans le film La Route. Un père et son fils, ça marche aussi. Moi, c'est le côté maternel qui m'interpelle. J'aurais pu faire un père et sa fille, aussi, mais vraiment je trouve que cette jeune femme avec un enfant, c'est le symbole de la force et de la fragilité à la fois. Pour moi, c'est une symbolique plus forte encore et je pense que dans mon esprit de concepteur de personnages, c'est ce qui allait le mieux avec le récit que je voulais raconter. Il y a un réel contraste dans Amy entre la symbolique et ce qui entoure les personnages, qui est assez trash. De même, il y a un contraste entre les festivités de Noël, durant lesquelles se déroulent le jeu, et la situation horrible à ce moment-là. Ce sont ces contrastes qui créent une dynamique et on peut utiliser, ainsi, des ressorts pour réagir à ça. Bref, je pense que deux personnages, qui sont si fragiles dans un univers si dur, et qui arrivent, parce qu'ils sont attachés l'un à l'autre, à se sortir de situations difficiles, est intéressant. Je pense que c'est une aventure passionnante à vivre, même si on est un joueur masculin.

Quelles sont les relations entre Amy et Lana, les deux héroïnes ?

Leur relation va se construire au fur et à mesure de l'aventure. Elles vont finir par former une équipe. Je ne peux pas trop m'étendre mais finalement ce jeu raconte la construction d'une équipe. Chacune apporte des choses différentes, à sa manière, et elles deviennent complémentaires au fur et à mesure de l'aventure.

Quelles ont été vos inspirations lors de la création d'Amy ?

J'ai beaucoup aimé ICO. C'est l'émotion qui se dégage de ce jeu qui m'a vraiment séduit, la dimension poétique qui en émane. C'est incroyable d'avoir réussi à faire un titre qui est aussi fort émotionnellement et finalement ancré sur des mécaniques de jeu aussi simples et basiques. Faire ça avec si peu de moyens, en tout cas, à l'époque, c'est fantastique. Cependant, Amy se déroule dans un univers radicalement différent donc l'émotion n'est pas la même. Nous avons la volonté de proposer une émotion avec la mécanique de la main entre Amy et Lana mais c'est très difficile à réaliser. Notre volonté est d'arriver à ce que les joueurs se disent : j'ai protégé Amy parce que je l'aime bien. Il est là notre pari. Après, si c'est la symbiose entre Amy et Lana que vous voyez à l'écran, l'important c'est surtout la symbiose entre le joueur et Amy.

Quelle est votre plus grande fierté dans Amy ?

Je ne suis pas encore fier de tout (rires). Mais aujourd'hui, je pense qu'on peut dire que pour un jeu PSN, on arrive avec un certain niveau de qualité et que nous n'avons pas à rougir face à d'autres productions qui sortent en boite dans les magasins. Mais surtout, je suis fier de mon équipe qui a fait un boulot vraiment extraordinaire. Nous ne sommes que dix, nous avons fait notre moteur (basé sur PhyreEngine, le moteur de Sony) et tous les outils qui vont avec. Phyre est un moteur graphique dans lequel il faut tout créer : tous les Shaders, toutes les recherches pour charger les textures en temps réel pour que ça ne se voit pas en jeu, qu'on arrive à charger les décors en même temps pendant qu'on avance, etc. Nous sommes arrivés à le faire, on en est fiers et on y est arrivé avec une petite équipe. C'est tout bête mais ça prouve que tous les membres ont du travailler énormément pour y parvenir. C'est plaisant de voir que tout le monde s'investit. J'ai ce sentiment que toute l'équipe est solidaire et que ce n'est pas un projet de commande. Nous n'avions pas de budget, ce ne fût pas facile mais on y est arrivé...

Pourquoi avoir choisi de proposer Amy sur un support numérique ?

D'abord il y a une raison économique. Il y a des jeux qui sortent en version boite et qui ont, en général, un budget relativement important. Mais prendre un tel risque sur un projet qui n'est pas une IP connue et qui fait intervenir une fille et une fillette, c'est délicat. Il y a un certain nombre de choses qui font que le projet est risqué, c'est pourquoi il est compréhensible qu'un éditeur hésite à investir dedans. D'un autre côté, il y a des titres sur le PSN qui sont souvent des jeux de garage, réalisés par de toutes petites boites, avec seulement deux ou trois personnes aux commandes. Je ne suis pas en train de dire que ça n'est pas bien, il y a vraiment des jeux super sympas sous ce format. Mais entre ces deux extrêmes, il n'y a rien. Il n'y a pas de jeux PSN sur lesquels il y a un budget conséquent, de l'investissement au niveau technologique, etc. car ça coûte beaucoup d'argent. L'idée pour nous était de se dire : est-ce qu'on est capables de produire un jeu avec un budget assez petit mais suffisant pour proposer un vrai jeu complet sur le PSN. C'est cette adéquation que l'on essaie de trouver. Et le format PSN, et éventuellement XBLA, peut répondre à ça et amener à créer une variété de jeux différents. Ainsi l'éditeur peut prendre plus de risques et les développeurs peuvent proposer des idées qui changent de ce qui existe déjà, de manière à trouver des empreintes et des ambiances un peu différentes. Un peu comme ce qu'il y avait il y a dix ans. Dans les magasins il y avait, alors, un grand nombre de catégories différentes de jeux. Aujourd'hui, j'ai l'impression qu'on a des catégories très formatées et j'ai, personnellement, un peu de mal à trouver chaussure à mon pied. Mais cela se comprend, c'est très difficile de prendre des risques aujourd'hui, surtout avec un jeu qui s'écarte des tendances actuelles. Je pense donc, enfin j'espère, que le format dématérialisé est plus adapté à ce que nous faisons. C'est un pari pour créer quelque chose de nouveau et le proposer sur ce format. On ne sait pas si les gens vont accrocher et se dire que ça vaut le coup de payer 10€ pour cela. D'ailleurs, toute la suite dépend un peu du succès d'Amy. J'en profite pour dire que j'ai conçu une histoire qui dépasse le format d'Amy aujourd'hui. Donc je pense qu'il y a matière à faire deux ou trois épisodes, éventuellement. En tout cas, pour le moment, nous n'avons pas prévu de DLC. Mais s'il y a une suite, elle arrivera assez rapidement...