Il est des expériences vidéoludiques qui marquent l'âme humaine au fer rouge, qui l'élèvent, la transcendent et l'habillent en dentelles Angelic Pretty avec des jolis nœuds autour. Et lui font une teinture, au passage. Avec quelques bigoudis en diamant quatorze carats. De ces expériences qui vous font dire, ébahi, que « vous n'aviez jamais joué, avant », et qui donnent tout son sens à votre sulfureux passé de joueur (car vous avez touché à la Lynx, ne le niez pas, je lis la souillure dans vos yeux ). De ces expériences qui font que vous concluez, touché par la grâce, que « toutes ces foutues plates-formes mouvantes en 2D que vous avez ratées dans un hurlement de colère, tous ces shoot épileptiques qui vous ont filé la phobie du 14 juillet (« Ils attaquent ! Ils attaquent ! »), tous ces beat'them all poussifs dans lesquels les personnage testaient leurs nouvelles chaussures aux semelles en mélasse, c'était pour vous mener ICI. A CET INSTANT PRECIS ».
Eh bien tenez-vous le pour dit : 9 Hours, 9 Persons, 9 Doors n'est PAS de celles-là, non... Il est AU-DELA de ces considérations. Et si dès les premières minutes, vous ne vous dites pas « je n'avais jamais joué avant », au moins vous demanderez-vous à coup sûr « quand est-ce que je joue, maintenant ? ». Car dans vos esprits primitifs nourris de préjugés et de stéréotypes, un jeu vidéo doit forcément être amusant, jouable, ludique, interactif... et quelle vision réductrice de la chose, mes frères ! 999 vous invite à dépasser ces a priori d'un autre âge et à voir la lumière de la vérité. Vraie. Véritable. 999 vous libère. Louez-le, louez sa grandeur, louez sa toute-puissance. Ou mieux : achetez-la. Sur Play Asia, sur Amazon, qu'importe. Oui, faites donc ça.
Car 999 n'est pas seulement un jeu Nintendo DS, non. C'est un Ovni. Une révolution. L'étape supérieure dans l'évolution des loisirs informatiques. Avec lui, fini la maniabilité tâtonnante, les contrôles à l'avenant. Finies, les erreurs de level design. Finie, la 3D en 3D. Finie la difficulté mal dosée. Finis, les QTE intempestifs. Finis, les touches sur lesquelles appuyer. Fini, l'immersion par l'incarnation. Ces vestiges d'un autre âge sont bons pour les personnalités influençables, corruptibles, faciles à abuser, séduites par les mensurations parfaite du superficiel et du conformisme. Avec 999, vous déferez vos chaînes de soumission. Vous vous extirperez des rangs du troupeau aveugle. Vous rejetterez tout ce que vous avez appris, tout ce que vous avez aimé, tout ce qui vous a fait vibrer jadis. Le plaisir de jeu vous semblera bien puéril, tout à coup, et sera remplacé par la satisfaction d'être devenu une entité d'énergie pure, détachée des contingences du monde matériel (pensez quand même à changer votre litière de temps en temps, si détachés que vous soyez - par égard pour autrui qui, lui, possède toujours le sens de l'odorat).
Extrêmement élaboré, le gameplay de 999 mettra votre expérience à rude épreuve car dès les premières minutes, vous vous trouverez confronté à une série de caractères pareils à ceux qui composent cet article, mais qui monteront inexorablement en lignes vers le haut de l'écran (un peu comme dans Tetris, mais à l'envers) pour former ce qu'en jargon technique on appelle des « phrases »... Phrases qu'il sera impératif de lire pour pouvoir avancer dans l'aventure, un peu comme dans ce que les gens du passé appelaient des « livres », avant l'avènement de la sainte télévision (c'est qu'on apprend plein de choses, avec 999). Le principe du livre, nous enseigne Wikipédia, était extrêmement astucieux pour l'époque, puisqu'en l'absence d'images, les phrases imprimées sur une matière légère et flexible appelée « papier » formaient une unité de sens qu'on appelait « histoires », avec un début, un milieu et une fin, comme dans les meilleurs films de Michaël Bay (Sony ne s'y est d'ailleurs pas trompé en faisant du livre l'attraction principale de son E3 2012. Des visionnaires). Puis, une fois que ces phrases auront rempli l'écran tout entier, ce sera à vous (OUI, A VOUS !) qu'il reviendra d'appuyer sur le bouton pour passer à la séquence de « texte » suivante ! Pics d'adrénaline garantis, vous n'avez pas fini de trembler sur votre siège à l'idée d'appuyer trop tôt ou trop tard. C'est simple : on n'avait rien inventé d'aussi trépidant depuis l'avènement du curling. Un titre, donc, à réserver aux amateurs de sensations fortes.
Mais-ce-n'est-pas-tout ! Parfois, vous vous retrouverez dans la peau du personnage principal et vous devrez résoudre des énigmes d'une difficulté à vous retourner le cerveau et à le laver à 40° sans qu'il perde sa belle couleur grise (ou ses belles tâches vertes, pour ceux qui ne s'en servent pas beaucoup - et je sais que vous êtes nombreux !). Seuls les plus brillants d'entre vous (échappés du Centre de Blue Cove, Delaware, que même qu'il voudrait les récupérer vivants de préférence - ou adhérents à Mensa France, France, que même qu'ils voudraient récupérer leurs sous vivants-ou-pas-ça-n'a-pas-d'importance) sauront venir à bout de casse-têtes d'une intelligence vertigineuse, après plusieurs nuits blanches passés à se shooter aux hormones de croissance. Car qui, parmi nous, simples quidams, aurait la présence d'esprit d'utiliser l'ouvre-boîte sur la boîte fermée, de manière à l'ouvrir ? Qui ? 999, c'est votre passeport pour Science Po.
L'intrigue n'est pas en reste puisque, si j'ai bien tout compris (l'anglais n'est pas mon fort. Je de le français de le préférer moi), vous suivez les aventures de Junpei, jeune japonais lambda qui, à la suite d'un pari perdu, s'est trouvé forcé de se cosplayer en Tetsuya Nomura (collection automne-hiver - celle sans les bretelles, heureusement). Après une nuit de franche picole (du moins le déduit-on), il se réveille dans la cabine d'un bateau Costa Croisière, pile au moment où son hublot made in China arrive à date de péremption et où l'eau tente de s'incruster sans avoir payé son billet. N'ayant pas demandé une chambre avec piscine, notre infortuné archétype shonen veut aller demander réparation (au propre comme au figuré) mais, pour ce faire, il doit d'abord résoudre la première énigme d'une longue série : car ce qu'il ne sait pas encore, c'est qu'il fait partie des 9 individus sélectionnés pour le Nonary Game, un jeu pervers dont ils devront venir à bout en 9 heures maximum. Sinon, c'est le bouillon. Simple, concis, efficace, comme dirait l'autre. Sauf que tout le monde a ses petits secrets, que Junpei retrouve son amour d'enfance comme-par-has-ard, qu'il y a une go go danseuse qui sa balade à moitié nue, qu'un type explose dès les premières minutes sans même s'être présenté avant (les bonnes manières se perdent) et qu'accessoirement, il y a de grandes chances pour que Zero, le maître-marionettiste, soit parmi eux. Une Croisière Costa comme les autres, quoi. Sauf qu'a priori, ça parle aussi physique, histoire, mathématiques et parasciences, et qu'il y a plein de références que même Wikipédia, il a un peu de mal avec. C'est dire si la migraine ne sera pas un DLC.
Mais là où 999 fait très très fort, c'est au niveau de la durée de vie puisque même s'il se termine en quelques heures à peine (quelques années, si vous avez le QI de Mickaël Vendetta ou le niveau en anglais de Gad Elmaleh option « waire ize Brayane ? »), vous ne l'aurez pas terminé pour autant. Si ça, ce n'est pas une révolution, qu'est-ce que c'est ? En effet, il ne vous faudra pas moins de six parties consécutives pour boucler l'aventure à 100%, et obtenir ainsi toutes les réponses aux questions que vous vous posiez (« quand est-ce qu'on joue ? » exceptée), ce qui prolonge d'autant plus le non-plaisir du non-jeu et vous permettra de vous frotter à de nouvelles énigmes inédites (ou pas). Luxe ultime : vous aurez même le droit (mais n'en abusez pas) d'accélérer le défilement des textes que vous aurez déjà lus lors de vos parties précédentes. Elle est pas belle, la vie ?
Bref. Si vous détestez les jeux vidéo, ce titre est fait pour vous. A peine plus interactif qu'un Michel Houellebecque (beaucoup moins interactif qu'un Michel Houellebecque, quand on se sert du bouquin comme frisbee), il présente un capital ludique proche du zéro absolu (all ice, les amis, all ice)et les quelques animations artisanales qui émaillent cette suite d'images fixes ne suffisent pas à dissiper l'impression de statisme qui s'en dégage à juste titre. Oui, si vous secouez la console, ça bouge, mais à ce régime-là, on chope vite des crampes au bras. Sans compter que devoir refaire six fois la totalité du jeu n'aide pas à rompre la monotonie ambiante..
Pourquoi vous y intéresser, alors ?
Eh bien...
Eh bien je pourrais vous dire, oui, que le scénario de 999 est d'une habileté démoniaque, littéralement, en tous points supérieure à 90% des productions de divertissement actuelles (tous médias confondus), que son architecture interne tient de l'horlogerie suisse, que la logique de ses énigmes peut même réconcilier avec le point and click ceux qui ont essayé Secret Files : Tunguska, que l'ambiance « thriller seinen » à la Doubt / Enigma est distillée avec beaucoup de style, que l'esprit carbure avec joie pour essayer de remettre toutes les pièces en ordre avant l'échéance des révélations finales, qu'arrivé au bout de la sixième partie, on regrette de ne pas pouvoir enchaîner avec une septième, qu'on se fiche pas mal de savoir si c'est vraiment du jeu vidéo, ou de la lecture, ou un hybride bancal de l'un et l'autre... Oui, je pourrais vous dire tout ça, et bien plus, mais ce ne serait pas utile.
Tout ce que vous devez savoir, c'est que l'ultime image sur laquelle l'histoire se termine représente sans conteste l'une des plus belles paires de fesses de l'histoire du jeu vidéo.
Nues.
Et Zoomées.
Amis gamers, à vos cartes bleues.
Les + :
- Idéal pour ceux qui trouvent que les jeux vidéo, c'est trop stressant ou trop compliqué.
- La logique sans failles des énigmes, qui fait oublier certaines dérives antérieures dans le genre. Parce que moi, je veux bien réparer le téléphone portable pour l'utiliser comme caméra et me servir du chatterton pour le scotcher au matou du coin afin de l'envoyer filmer des documents secrets, ou même utiliser une vieille chambre à air avec un filtre d'aspirateur sur le toit d'un train russe pour endormir les chiens du wagon-prison au-dessous grâce aux odeurs de viande chloroformée... mais uniquement dans un jeu PARODIQUE (c'était ma dédicace perso à Secret Files, seul jeu que je n'ai jamais terminé et que j'ai donné gratuitement pour m'en débarrasser)...
- Un scénario complexe et intellectuellement gratifiant, saturé de références fascinantes à des théories ou évènements qui ne le sont pas moins (et qui raviront les hardcore fans de la série Torchwood - du moins, ceux qui ont aussi apprécié la dernière saison à ce jour).
- Des minis-jeux astucieux et variés. Et même un SuDoKu.
- Une soluce habilement intégrée sous forme de conseils donnés par les personnages en cas de blocage impromptu (rappelant ainsi à Junpei que le boulet de l'équipe, c'est lui)
- La véritable énigme du jeu : déduire quels choix de portes faire pour débloquer la « bonne fin », à partir des indices glanés au cours des parties précédentes. Un réel bonheur de gamberge.
- Seuls ceux qui possèderont ce jeu seront épargnés quand Kaminos prendra le contrôle de la terre.
- A chaque exemplaire de 999 acheté, c'est un petit BlackLabel qui disparaît quelque part dans le monde (pour ceux qu'il agacerait).
Les - :
- Même avec beaucoup d'indulgence, il est difficile de considérer ce titre comme un jeu vidéo tel qu'on le conçoit traditionnellement.
- Tout en anglais. Dur dur pour ceux qui le français seul le du maîtriser.
- La facilité des énigmes. Sans aller jusqu'au coup des chiens et de la chambre à air, un peu plus de challenge aurait été le bienvenu. Ne serait-ce que pour qu'il y en ait, du challenge.
- Pas de limites de temps, comme le pitch aurait pu le laisser supposer. Les personnages ont neuf heures. Le joueur, lui, en a entre six et dix mille pour boucler l'aventure. C'est Mickaël Vendetta qui va être heureux.
- A une ou deux exceptions près, seuls le choix des portes a une réelle incidence sur le déroulement de l'intrigue. Même un livre dont vous êtes le héros ou un fil... jeu de David Cage est plus interactif que ça.
- Une go-go danseuse, certes, mais pour quoi faire ? S'il y a bien un point sur lequel le scénario reste obscur, c'est celui-là. Peut-être la réponse se trouve-t-elle quelque part au-dessous de la ceinture ? Voilà un mystère qu'il faudrait approfondir. Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire.
- Oh, et à chaque exemplaire de 999 acheté, c'est un petit BlackLabel qui disparaît quelque part dans le monde (oui, ça vaut aussi pour ceux qui l'aiment bien, allez savoir pourquoi).