Vous les connaissez ces jeux. Ces jeux dont vous n'entendez jamais parler par vos amis, même joueurs. Ces jeux dont vous n'avez vu qu'une évasive critique sur un site import. Ces jeux dont parlent uniquement quelques cinglés sur le net, qui énervent tout le monde, obnubilés, vous répétant inlassablement qu'il s'agit de chefs d'œuvres.
C'est bon, vous visualisez ? Bah laissez-moi vous énerver, obnubilé que je suis. Car on m'a fait découvrir un chef d'œuvre. Un chef d'œuvre imparfait. Un chef d'œuvre dont je ne comprends pas la sortie en dehors du Japon. Quel fou a bien pu prendre le risque ? Un chef d'œuvre atemporel et pourtant si anachronique. Un peu de point-and-click désuet. Quelques choix. Beaucoup de lecture. Un gameplay pataud au possible. Une trame narrative incompréhensible. Voilà ce que je pourrais en dire, de ce chef d'œuvre.
Ou alors, je pourrais dire que jamais un jeu ne m'a autant captivé. 999: Nine Hours, Nine Persons, Nine Doors. Si moi aussi, quelques internautes illuminés ne m'avaient pas poussé à m'y mettre, je ne lui aurais jamais accordé la moindre attention. Alors c'est à mon tour de vous bassiner. Car je me sentirais coupable de ne pas le faire.
Retour d'expérience sur un jeu extraordinaire.
Junpei se réveille dans un sursaut. Une explosion. Sa tête est lourde. Il regarde autour de lui, il ne comprend pas ce qu'il se passe. Il ne sait pas où il est. La seule chose dont il se rappelle, c'est de cette personne au masque-à-gaz. Ah ! Oui. Ça lui revient. On l'a enlevé. Il regarde par la fenêtre. Fenêtre ? Non, hublot. Ce dernier craque et cède sous la pression. Quelle pression ? Celle de l'eau. De l'eau ? Quoi ? Oui, Junpei est sur un bateau.
Mais il va rapidement se rendre compte qu'il n'est pas seul. Huit autres personnes ont été piégées dans ce paquebot du début du XXe siècle. Des personnes, comment dire ... Atypiques ? Le bon barbu paternel, la cinquantaine. La lycéenne extravertie qui se teint les cheveux en rose. Une danseuse orientale. Un petit gothique rebelle. Un colosse tout droit sorti des docks. Etc, etc. Mais que font-ils ici ? Que signifie cette montre étrange autour de leur poignet ? Que sont ces portes bloquées, où règne sur chacune un numéro ? Rapidement, un haut-parleur vient les éclaircir : ils participent malgré eux à un jeu. Le Nonary Game. Des règles strictes. Un objectif simple : résoudre les puzzles qui se cachent derrière chaque porte, en moins de neuf heures. Sinon ? Vous avez vu Battle Royale ? Vous avez vu SAW ? Oui ? Dans ce cas, vous savez.
999 est ce qu'on appelle un roman visuel, un genre assez connu au Japon, même si peu présent sur DS. En clair, attendez-vous à passer les trois quart de votre temps de jeu à lire, le texte défilant derrière des fonds (fort bien) dessinés. Le dernier quart est consacré à la résolution d'énigmes. On tapote son écran tactile pour récupérer des indices. On assemble des pièces, on scrute aux alentours. Certaines énigmes sont retorses, mais d'une manière globale, un peu de réflexion suffit à en voir le bout. Et c'est d'ailleurs la seule chose qu'on attend inlassablement dans 999. La suite de l'histoire.
Le script est très bien écrit. La traduction anglaise exceptionnelle. Le rythme, effréné. 999 est une véritable leçon donnée à tous les scénaristes de jeux. Une preuve irréfutable que le jeu vidéo est un média où l'on peut raconter des histoires fortes, bien pensées et captivantes. Soyons clairs : en termes d'identification au personnage, seuls Heavy Rain et Catherine ont su autant m'impliquer. Mais pas pour les mêmes raisons. Ici, nos choix ont une importance capitale. Tous.
Mais on ne s'en rend pas compte. La première fois qu'on finit le jeu, on ne le comprend pas. On ne comprend rien. On est frustrés. Alors on le recommence. On effectue d'autres choix. Une pièce vient commencer à résoudre le puzzle. Alors on recommence, et ainsi de suite.
Peu à peu, le tableau se crée, tous les éléments, qu'on pensait improbables, s'expliquent. 999 propose tout simplement la meilleure gestion de la rejouabiliité que je connaisse. D'ailleurs, et c'est là son unique défaut, que du côté technique, la rejouabilité ne soit pas parfaitement implémentée. Pourquoi toujours refaire les mêmes énigmes, même celles passées quatre fois ? Pourquoi ne pas pouvoir zapper une partie de texte déjà lue, plutôt que de simplement la faire passer plus rapidement ?
Dommage, cette erreur de conception vient parfois casser une ambiance unique. Pesante, crispante, elle est soutenue par une bande-son parfaitement efficace. Non, les musiques ne sont pas incroyables. Mais elles viennent parfaitement se ranger dans nos têtes, alors qu'on dévore les lignes de cette histoire incroyable, passant de la violence brute au surnaturel en quelques instants.
999 n'est pas un jeu qui laisse indifférent. Disponible uniquement en import US sur DS (qui est dézonée, ainsi que la 3DS pour les jeux DS, rappelons-le), il est impossible de passer à côté. Vous ne connaissez pas le genre ? 999 en est un fier ambassadeur. Vous ne parlez pas Anglais ? Il est temps de vous y mettre. Car si quelques détails viennent ternir le tableau, 999 est bel et bien un chef d'œuvre vidéoludique. Pensé avec passion et créé avec maestria, il est la preuve vivante qu'on n'a pas besoin de plus de quinze pixels, trois bruitages et cinq animations pour envoûter le joueur. Un véritable tour de force, qui sera je l'espère réitéré dans sa suite, à sortir en fin d'année sur 3DS et Vita.