Oui je sais, le titre est un peu racoleur, je l'avoue humblement. Mais il résume assez bien finalement la scission que ce jeu a créée au sein de la communauté de gamer. Heavy Rain, on aime ou on déteste, pour les bonnes ou les mauvaises raisons, mais au moins il ne laisse pas indifférent. Mais avant tout, Heavy Rain qu'on le considère ou non comme un jeu au sens propre c'est: des personnages travaillés, de l'émotion, et une histoire. Et une très bonne qui plus est !
Une oeuvre pas aidée par son créateur...
Commençons, une fois n'est pas coutume par une petite partie « mavie.com ». Avant de posséder les deux consoles majeures de cette génération (en termes de jeux pas en termes de vente bien évidement), j'étais un joueur exclusif 360. Et comme tout joueur exclusif ou presque d'une plateforme, on a plus ou moins une bonne dose de mauvaise foi et de « fanboyisme ». Le battage médiatique autour de l'arrivée de Heavy Rain dans les bacs, exclusivité Playstation 3, avait eu, je dois bien l'avouer, tendance à m'agacer pour diverses raisons. Et il m'avait d'autant plus agacé que quelques mois plus tard, le traitement d'Alan Wake, jeu au moins aussi bon et original (oui c'est subjectif), avait été bien moindre (la faute à mon sens, avec du recul, à un soutien médiatique bien moindre de Microsoft pour son exclusivité comparé à ce qu'a fait Sony pour le jeu de Quantic Dream).
Mais avant d'être un jeu qui divise par son gameplay au point que certains ne lui octroient même pas le qualificatif de « jeu », Heavy Rain est une œuvre d'un certain David Cage, créateur français, PDG de Quantic Dream, et auteur de The Nomad Soul ou encore Fahrenheit. Si la carte de visite du monsieur parle pour lui, le personnage est a l'image de ses jeux : il ne laisse pas indifférent. Si Peter « le pipeauteur » Molyneux est connu pour son enthousiasme démesuré l'obligeant par nature à faire des promesses tout aussi démesurées qu'il ne tiendra finalement jamais, David Cage, lui, est connu pour etre un personnage egocentrique au possible, persuadé qu'il est là pour révolutionner le monde du jeu vidéo qu'il souhaite rapprocher du monde du cinéma. Génie incompris, cinéaste raté qui cherche à se faire un nom dans un monde plus accessible, je ne rentrerai pas dans le débat qui finalement n'est pas le sujet du billet. Mais une chose est certaine, David Cage ne m'avait donné aucune envie de tester son jeu à l'époque tant sa personnalité, à mon sens insupportable, m'avait donné envie de détester son œuvre avant même d'avoir mis la main dessus. D'ailleurs je me demande dans quelle mesure le personnage serait beaucoup moins apprécié en France s'il n'était pas français justement... Toujours est-il qu'un an plus tard j'ai fini par m'acheter une PS3 et qu'après avoir fait les deux premiers Uncharted (raison pour laquelle j'avais acheté la console), j'ai fini par me laisser tenter par HR, d'occasion, et avec un apriori plutôt négatif. Il ne m'a pas fallu longtemps pour changer radicalement d'avis...
Une histoire sous quatre angles
Le thème du blog étant les histoires, impossible de parler d'Heavy Rain sans évoquer son histoire. Le problème dans cet exercice est que l'on a vite fait de spoiler, ce qui serait bien dommage étant donné que la force numéro 1 de ce jeu est son scenario interactif à embranchements multiples. On va quand même essayer d'introduire l'intrigue...
L'histoire prend place sur la cote est des Etats-Unis dans une ville fortement inspirée de Philadelphie, ou va sévir un tueur en série : le tueur aux origamis. Ce tueur enlève de jeunes garçons lors des fortes pluies automnales que l'on retrouvera morts quelques jours plus tard, un origami dans la main. C'est alors que l'enquête piétine que le fils d'Ethan Mars, Shaun, est enlevé, lançant une véritable course contre la montre qui va réunir le destin de 4 personnages.
Ethan, père de famille qui a perdu pied lors d'un premier drame dans sa vie de famille ; Madison Paige, une journaliste souffrant d'insomnie ; Norman Jayden, profiler au FBI qui enquête sur l'affaire avec la police locale ; et Scott Shelby, détective privé à l'ancienne, engagé par les parents des premières victimes. Vous passerez donc d'un personnage à l'autre de façon assez naturelle dans un schéma très cinématographique, pour essayer de dénouer ce drame qui va les réunir de façon plus ou moins directe au fil de l'aventure. Ce procédé souvent utilisé dans le milieu du cinéma et de la littérature a le mérite de faire de l'intrigue le centre du jeu, plutôt que de centrer celui-ci sur un personnage en particulier. Il permet également par alternance d'approfondir les personnages en mettant la lumière sur leurs démons et leurs motivations. En somme, leur background. Je pourrais bien évidemment en parler des heures, approfondir la vue d'ensemble, mais ca serait au détriment de votre expérience et de votre découverte si par chance je vous donne envie de vous y essayer...
Un gameplay qui divise...
Film interactif ou jeu vidéo? On va pas se le cacher, le gameplay d'Heavy Rain, à l'image de celui d'Alan Wake, n'est pas son point fort. Si celui d'Alan Wake avait tendance, sur la longueur, a etre repetitif, celui d'Heavy Rain lui pourrait se resumer à une suite de QTE, en tout cas c'est ce que l'on lit le plus souvent de la plume de ses detracteurs. Cependant le resumer ainsi serait se meprendre sur la definition meme d'un QTE. Si il y a effectivement des sequences de QTE rythmant le plus souvent les phases de course poursuite pour accentuer justement la frenesie de la mise en scene, la grande majorité des choix se font via des actions contextuelles. Vous allez me dire que je joue sur les mots... Oui et non. Le Quick Time Event repose essentiellement sur la notion de rapidité, jouant sur les reflexes du joueur. Ce n'est pas le cas dans la plupart des interactions avec le personnage dans Heavy Rain.
Mais oui,il faut bien l'avouer, le choix fait par Quantic Dream pour son gameplay va diviser. Diviser ceux qui cherche avant tout de la difficulté et des mécaniques de gameplay profondes dans un jeu, et ceux qui veulent une expérience rapprochant au maximum le monde du cinéma et celui du jeu video. Je sais, je sais, l'idéal serait d'avoir les deux, je suis bien d'accord. Mais pour atteindre un tel niveau de maitrise de la mise en scène, il faut forcement passé par un système plus directif, donc moins libertaire. Le système de Quantic Dream n'est donc pas parfait loin de la, je peux même comprendre qu'on le déteste (ou qu'on s'ennuie ferme a faire une action contextuelle pour ouvrir une porte de frigo), mais pour peu que l'on rentre dans l'histoire, et que l'on ressente le poids de l'histoire dans chacun de nos choix (en réussissant ou non les fameux QTE plus ou moins compliqué selon la difficulté de l'action que le personnage doit réaliser), on passe outre la maniabilité rigide de ceux-ci.
Une implication de tous les instants
Parce que si l'on dépasse la mécanique pure du jeu, que l'on aime ou que l'on n'aime pas, et qui le rend facile de prise en main; on rentre très facilement dans un scenario a embranchement multiple qui laisse l'impression que chacune de nos actions a une répercution. Que ce soit vrai ou non, c'est réellement le sentiment que le jeu laisse. Bien évidement, si l'on rejoue plusieurs fois le jeu et qu'on cherche à comprendre les ficelles de son scenario, il est facile de désacraliser cette sensation. Mais lors du premier run, Heavy Rain réussi son pari d'éviter le manichéisme. En d'autres termes, a aucun moment le jeu nous laisse l'impression que l'on a fait le bon ou le mauvais choix, ne nous donnant jamais envie de recharger une sauvegarde. La continuité est respectée et l'impression de jouer « notre histoire » est continuelle.
Bien évidemment, Heavy Rain n'est pas le premier jeu a s'essayer au scenario a embranchement multiple, ou même a fin multiple (HR en compte 17), Fallout ou encore Mass Effect sont déjà passés par la pour ne parler que d'eux, et les mauvaises langues diront qu'au moins ces deux jeux avaient un vrai gameplay. Mais pour ce qui concerne le jeu de Quantic Dream, l'implication est de tous les instants, et l'impression que chaque geste aura son importance (bien que ce soit bien évidemment illusoire) est beaucoup plus présente. Ce sentiment est d'autant plus présent que le « game over » n'existe pas, le jeu continue sa marche en avant sans la moindre rupture dans la narration et si vous êtes amené à perdre un personnage (à le voir mourir), ce fait fera donc parti de votre histoire et se répercutera sur « votre » fin. Exit la frustration de l'échec, à mon grand bonheur...
Une réalisation cinématographique
Coté réalisation, Heavy Rain n'est pas en reste. Aussi bien d'un point de vue purement technique que du point de vue de la mise en scène. Le moteur du jeu utilisé aussi bien pour les cinématiques que pour le « in-game » rend l'ensemble extrêmement crédible, et si les expressions des visages ne sont pas au niveau de ce que l'on trouve dans un L.A Noire, l'ensemble de la motion capture rend l'ensemble plus naturel et réaliste. La pluie, au centre du jeu comme le laisse deviner le titre est bluffante de réalisme et sublime les décors. Etant donné le choix artistique très cinématographique, Quantic Dream a pu travailler ses décors avec énormément de détails sans que le jeu en pâtisse niveau fluidité (l'avantage de choisir un jeu coupé en plusieurs scènes, en taille et en durée, et non en monde ouvert).
Le doublage français de son coté souffrira de quelques problèmes de synchronisation labiale, ni plus ni moins que la grande majorité des autres jeux, mais reste d'une très bonne qualité. Les intégristes préféreront surement la VO sous titrée, question de choix. Enfin pour ce qui est de la mise en scène, Heavy Rain fait définitivement parti du très haut du panier. Quelques emprunts intelligents à des films comme Seven ou encore Saw pour ne citer qu'eux, aussi bien dans la mise en scène que dans le scenario font de ce jeu une réelle réussite d'un point de vue réalisation. Surtout si l'on y ajoute une bande son qui fait partie des plus marquantes que j'ai eu la chance d'entendre dans une œuvre vidéoludique avec un thème principal revisité plusieurs fois et qui arrache encore des émotions longtemps après avoir fini l'aventure.
Heavy Rain, est de ces jeux qu'on l'on apprécie autant jouer que de voir jouer, pour peu qu'on l'apprécie tout court, parce qu'effectivement, on aime ou on déteste. Une réalisation cinématographique parfaite (ou presque) se basant sur de grands classiques du 7ème art, une bande son somptueuse qui donnera encore des frissons et fera remonter des souvenirs des mois après avoir bouclé le jeu (le « Painful Memories » est une pure merveille), ce jeu ne laissera de toute façon pas indifférent. Attachant, prenant, jouant sur des cordes émotionnelles vues et revues certes, mais qui fonctionnent toujours à la perfection, ce jeu est celui qui dans toute l'histoire du jeu vidéo m'aura donné le plus l'impression de vivre « mon histoire », une différente de celle que pourrait vivre un autre joueur. Probablement l'une des expériences rapprochant le plus le monde du cinéma et du jeu vidéo, vous l'aurez donc compris, pour moi le choix est fait: Heavy Rain est un jeu, et je dirais même plus, un grand jeu.