Si la génération actuelle de console, qui arrive à son terme, aura vu l'avènement du casual gaming via la Wii (copiée par la suite par Microsoft et son Kinect et par Sony avec son PS move) mais aussi l'explosion du jeu sur Smartphone et tablette, elle aura aussi vu la création d'un système prévu à la base pour recompenser le joueur, ajouter un peu de challenge et de durée de vie aux jeux : les trophées (sur PS3) et les succès (sur xbox 360). Présenté au départ comme une récompense ponctuelle couronnant l'avancement du joueur dans le jeu mais aussi ajoutant quelques defis pour augmenter la replay value d'un jeu (ou rejouabilité pour les anglophobe), ce système a, au fil du temps, développé chez certains joueurs (dont moi-même, je dois bien l'avouer) une certaine addiction et de nombreux cotés pervers que je vais tenter de mettre en lumière à travers quelques exemples.
Une bonne idée, vite detournée...
Pour ceux qui n'auraient joué que sur la Wii lors de cette génération voici tout de même un petit rappel des faits... Les succès/trophées ont fait leur apparition au moment de la sortie de la xbox 360 de Microsoft. Sony se rendant compte de l'addiction créée par le système chez les joueurs, emboitera le pas de son concurrent quelques années plus tard. Son but ? Disons qu'à l' origine le but était de récompenser le joueur par des points (sur 360, des coupes sur PS3) tout au long de sa progression. Points qui s'accumulent et qui sont directement liés au gamertag (ou ID PSN) permettant par la suite de « comparer » sa performance ou son avancement dans le jeu avec ses camarades de live. Il suffit de se balader sur les forums de jeux video et de regarder les signatures de chaque post pour se rendre compte de l'importance que prennent les succès/trophées pour les joueurs de nos jours. Plus qu'une collectionnite comme pouvait l'être celle des vignettes panini de mon enfance, le système est très vite devenu une raison de relancer les concours de « celui qui a la plus grosse » ce qui a pour conséquence direct, la consommation, voir la surconsommation. Même si cela ressemble à un procès d'intention, difficile d'imaginer qu'au moment où Microsoft a mis en place ce système, ils n'aient pas pensé au fait, qu'à terme, si addiction il y avait, vouloir augmenter son gamerscore serait synonyme d'achat de nouveaux jeux... Afficher le gamerscore en même temps que les informations de base liées à un joueur, et pouvoir comparer ses succès très facilement prouve que l'idée été déjà là. Le système aurait pu s'arreter à une simple comparaison de score individuel pour chaque jeu, comme on pouvait comparer son skill sur un jeu à l'epoque ou le système de succès n'existait pas. Mais la ou l'invention est "maligne" c'est d'avoir rassemblé l'integralité des points ou coupes obtenus dans un seul et meme score, le but n'etant plus d'etre le meilleur sur un seul jeu, mais sur l'ensemble de la ludotèque de la console. Plus besoin d'être très fort sur un seul et même jeu, il suffit maintenant d'acheter beaucoup de jeu pour pouvoir "se la jouer"...
L'idée initiale était pourtant intéressante. Lorsque l'on connait le faible pourcentage de jeux finis à 100%, ne serait-ce que dans son mode histoire, récompenser la progression dans un jeu pour pousser le joueur à aller au bout permettait aux développeurs d'augmenter ses chances de voir les joueurs aller au bout de l'expérience, voir de lui donner une deuxième chance. Le système permet également de faire découvrir des mécaniques de gameplay que le joueur « de base » n'aurait pas appréhender de lui-même sans qu'on mette le doigt dessus via une récompense. Fifa par exemple, le fait très bien chaque année, mettant des succès plus nombreux pour les nouveautés ou points qu'ils veulent mettre en avant sur leur nouvel opus. Autre exemple, dans Mass Effect, les succès poussent à faire certaines combinaisons de pouvoir auquelles on n'aurait pas forcement pensé et qui peuvent finalement être plus efficaces.
Mais si l'on reconnait sans mal les cotés positifs du système, malheureusement celui-ci a été très vite détourné par des développeurs avec moins de scrupules et d'imagination. Certains, aillant bien compris l'addiction potentielle au système ont même fait en sorte d'être connu pour autre chose que la qualité intrinsèque de leur jeu : la facilité d'obtenir les 1000G ou de platiner le jeu. Si pour quelques uns l'excuse du manque d'imagination dans la liste des récompenses peut, à la rigueur, être pris en compte (King Kong ou il suffit de finir le mode histoire par exemple), pour d'autre la supercherie est évidente. Le meilleur exemple en date reste « Avatar le dernier maître de l'air » ou sans même avoir fini le premier niveau du jeu, vous pouvez déjà avoir « platiné » le jeu. Difficile de ne pas y voir une volonté d'attirer l'addict au succès, surtout vu la médiocrité du titre...
Ce système de récompense à aussi vu naître une certaine fainéantise de contenu. Je m'explique... La durée de vie d'un jeu est toujours importante lorsque l'on fait la démarche d'achat. Sa replay value également. Certains développeurs ont donc profité de ce système pour augmenter artificiellement la durée de vie d'un jeu. Les fans d'Assassin's Creed se souviendront longtemps du premier opus et ses incalculables drapeaux (devenus plumes, puis pages d'almanach, mais le système reste le même, il n'apporte rien d'un point de vue ludique ou contenu). Et que dire par exemple de Devil May Cry 4 qui après le premier run, oblige le joueur a refaire le jeu 2 ou 3 fois, dans des niveaux de difficultés différents, pour espérer dépasser les 200G (d'autant que les niveaux de difficultés élevés ne sont pas accessibles dès le départ). Epic Game, dans un style plus subtile avec sa série Gear Of War, sous couvert de récompenser les « vrais de vrais », s'assure la présence des chasseurs de succès pour plusieurs centaines d'heure sur le live avec des succès a chaque épisode plus inaccessibles les uns que les autres (« Sérieux 3.0 », ca vous rappelle rien ?). Et pour finir avec les exemples, parce que je pourrais y passer la nuit, Electronic Arts a qui on pourrait reprocher beaucoup de choses mais surement pas de perdre le nord, a carrément mis un succès au caractère complètement aléatoire (« obtenir un joueur de la semaine dans un pack ultimate team ») dans ses deux derniers Fifa. Dans quel but ? Faire acheter des packs via de vraies espèces sonantes et trébuchantes à force d'en avoir marre de jouer des heures pour quelques crédits virtuels et donc acheter plus vite des packs pour espérer avoir ce dernier succès. Sans commentaire...
Une addiction qui peut gâcher le plaisir...
Le gros problème avec les succès/trophées, c'est qu'ils nous poussent à appréhender un jeu selon les récompenses promises et non selon notre propre envie. Les jeux d'aujourd'hui tentent de plus en plus de travailler sur l'immersion, dans le but de nous faire oublier que l'on est devant notre console, une manette à la main. Certains jeux se suffisent donc a eux même dans un simple run unique, comme par exemple Heavy Rain que j'ai déjà abordé sur mon blog. L'intérêt de rejouer le jeu est faible, puisqu'il a tendance a désacraliser la mécanique de narration. Je suppose qu'il doit en être de même pour Walking Dead que je n'ai pas encore eu le plaisir de jouer. Mais si on se place en « chasseur de succès », on se retrouve dans l'obligation de rejouer le jeu une multitude de fois pour voir chaque embranchement ou presque. Le jeu, nous « oblige » tout simplement a faire ce que l'on avait pas, à première vue, envie de faire dans le seul but de voir la petite fenêtre de trophée s'afficher en haut à droite de l'écran. La récompense va donc a l'encontre totale de l'ambition première de David Cage de nous faire vivre une expérience unique. Qui a dit contradiction ? On retrouvera donc ce défaut conceptuel dans tous les jeux ou l'on doit faire un choix dans la personnalité de notre personnage, comme Mass Effect, ou encore Red Dead Redemption (pour ne citer qu'eux). Quel plaisir vais-je prendre a ficeler un passant aux rails d'un train si j'avais pour ambition de faire de mon John Marston un exemple de vertus ? En quoi ramasser des plumes a la pelle dans Assassin's Creed ou des thermos dans Alan Wake renforce l'immersion du jeu ? Réponse ? En rien... Ca à même tous simplement l'effet inverse !
De mon coté, la ou je ressens le pouvoir du gamerscore sur mon attitude de joueur, c'est lorsque je dois choisir la plateforme d'un de mes jeux. J'ai la chance d'avoir une multitude de console de jeu comme vous avez pu le voir sur mon blog, et j'ai donc l'embarras du choix lorsque je dois choisir la plateforme d'un jeu multi. Mais finalement, vu que ma console lead de la génération a été la 360, lorsqu'il a fallu choisir sur quelle console prendre le dernier Assassin's Creed, je l'ai pris sur 360. Bien sur je pourrais dire que c'est pour la manette, ou pour le mode multi vu que j'ai plus d'amis sur 360 que sur PS3, mais c'est aussi parce que je savais que je ferais le jeu dans son intégralité niveau succès et que la ou je suis intéressé par le gamerscore de la 360, celui de la PS3 m'intéresse peu puisque je n'ai que très peu de jeu dessus. La PS3 ayant l'exclusivité de certaines missions, gratuitement, le choix logique aurait dû être celui de la PS3, ce ne fut pas le cas... Bref même si la meilleure version du jeu est sur PS3, les succès deviennent un paramètre parmi d'autres qui me font choisir la version 360 alors que lorsque j'achete un jeu retro, je ne me demande qu'une seule chose : sur quelle plateforme il est le meilleur...
En discutant avec certains amis, j'en suis même arrivé à me demander si on jouait encore vraiment uniquement pour le plaisir du jeu, ou pour faire gonfler ce fameux gamerscore... Deux de mes amis il y a encore quelques mois s'étaient lancé un défi concernant ces fameux succès. Le délire était bon enfant, ils se tiraient la bourre et au final le résultat était positif puisque ca les obligeaient à retourner les jeux au maximum pour repasser devant, le portefeuille n'étant pas extensible. Puis l'un des deux a fini par acheter ces fameux jeux a succès faciles, juste pour repasser devant, inutile de vous dire que le délire était déjà beaucoup moins fun, ca n'avait plus aucun intérêt, ni pour leur défi, et encore moins pour le coté ludique de ces fameux jeux... Certains en arrivent même à truquer l'obtention de ces récompenses via des logiciels pirates. Mais pourquoi ? Tu penses vraiment obtenir une certaines reconnaissances ? Pathétique...
Pour finir ; parce qu'encore une fois j'ai été long, bien plus que je ne le voulais, mais avec cette désagréable impression que j'aurais pu l'être encore plus et que je n'ai pas pu développer tout ce que je voulais dire sur ce vaste sujet (parce que si je le suis plus, de toute façon, je ne serai pas lu, malheureusement...) ; je vais en venir à ce qui m'a finalement poussé a écrire cet article. L'anecdote ultime. L'histoire qui m'a fait dire à un moment donné qu'il fallait vraiment que je décroche de ce système addictif. J'ai un ami qui est vendeur de jeux vidéo dans une grande enseigne. Il a donc pu avoir la Wii U a prix très intéressant à sa sortie. Après moins d'un mois, il l'a revendu en faisant au passage une belle plus value. Je lui ai demandé pourquoi il l'avait revendu, si les jeux ne lui avaient pas plu. Et il m'a répondu que si, les jeux étaient bien, que Zombie U était un très bon jeu, mais que rien ne lui donnait envie de retourner y jouer sans la présence de succès. En gros il n'appréciait plus la progression simple dans un jeu si celle-ci n'est pas récompensée. Ca m'a choqué, je ne lui ai pas dit, mais j'ai trouvé ca triste. D'où cette réflexion qui m'a poussé à écrire ce roman qui en découragera plus d'un.
J'aurai encore pu parler des sites qui ont fait leur spécialité des guides de succès/trophées, ou encore une multitude d'anecdotes pour appuyer ma thèse selon laquelle l'addiction aux succès/trophées a fini par nuire au jeu en lui-même, au lieu de simplement l'aider à mettre en lumière des points de gameplay, ou augmenter intelligemment la durée de vie et la replay value ; mais ca n'aurait plus été un billet de blog! Loin de moi l'idée de diaboliser complètement le système, beaucoup d'entre vous n'ont surement pas appréhendé ces récompenses de façon addictive ou en ont même rien à faire, qui sait (surement même) et grand bien vous en fasse. Mais force est de constater que ce système recèle des cotés pervers aussi bien chez le joueur que chez les développeurs qui savent en profiter. Lorsque les succès deviennent un outil pour augmenter artificiellement la durée de vie famélique d'un jeu, ou que ceux-ci vont à l'encontre même de l'ambition d'immersion du jeu, ils deviennent un problème. Et que dire lorsque ceux-ci prennent le dessus chez le joueur, sur le simple plaisir de jeu...