Deuxième round de User Test à Londres.
Les User Tests constituent la forme la plus moderne de torture. Elle consiste à vous enfermer dans une pièce derrière une vitre sans teint et d'observer des gens jouer à votre jeu par groupes de dix pendant une journée. On les voit ne rien comprendre, faire n'importe quoi, rester bloquer vingt minutes sur des actions qui normalement en prennent une. On les voit ne pas lire les indications, ne pas se souvenir de ce qu'ils ont fait la scène d'avant, faire tout sauf ce qu'ils sont sensés faire. Alors on hurle derrière la vitre insonorisée, on les insulte, on les maudit, on bave, on dépérit, on supplie de vous laisser sortir.
Comme si ça ne suffisait pas, on va ensuite les écouter parler du jeu, toujours derrière une vitre sans teint (dans le plus pur style FBI). Et là, on entend tout et n'importe quoi, des compliments généreux, des critiques fondées, des joueurs touchés et ceux qui se sont trompés de jeu, ceux qui ont cru pendant dix scènes qu'ils contrôlaient un seul personnage, ceux qui ont raté toutes les séquences mais on trouvé le jeu facile, ceux qui ont adhéré à l'histoire et aux personnages, ceux qui auraient voulu qu'Ethan ait une arme. On entend vraiment tout et n'importe quoi dans ce genre de tests, je suppose que c'est d'ailleurs le but. Pas facile de faire le tri dans tout ça, entre les choses qui ne fonctionnent effectivement pas et le reste...
Globalement, retour positif sur l'histoire, les personnages, l'interface et les séquences d'action. Je me contente de ça, c'est déjà pas si mal. Drôle d'histoire d'ailleurs, ces séquences d'actions... J'aurais passé un an à m'en justifier à chaque occasion, et voilà que les user tests les listent régulièrement dans les scènes préférées des joueurs.
L'autre point amusant a été le sentiment de certains joueurs que leurs actions n'avaient pas d'impact sur l'histoire, en clair que quoi qu'ils fassent, la même chose se passe. Beaucoup ont évoqué ce point dans les entretiens one to one, puis dans la round table où tous les joueurs confrontaient leurs avis. C'est en en parlant qu'ils ont réalisé qu'ils avaient vu des choses très différentes des scènes, à leur grande surprise... Parce que le joueur fait des choix sans s'en rendre compte, ils n'ont pas réalisé que leurs actions avaient des conséquences logiques et donc qu'elles impactaient l'histoire. Il aura fallu que les joueurs se parlent pour qu'ils s'en rendent compte.
Autre remarque étrange : tout le monde a trouvé le jeu facile, même les gens qui ont raté la moitié des scènes et l'intégralité des scènes d'action. Il m'a fallu quelques jours pour comprendre ce qui s'était passé. Dans HR, il n'y a pas de vies ni de game overs. Le joueur ne recommence jamais une scène parce qu'il a échoué ; rater une course-poursuite se conclut par le fait qu'on n'arrive pas à rattraper le suspect, mais on ne recommence pas la séquence et l'histoire continue. Du coup, certains utilisateurs ne se sont même pas rendus compte qu'ils avaient échoués dans la poursuite puisque le jeu ne s'est pas arrêté, et du coup ils ont pensé qu'on ne pouvait pas le rattraper.
Vraiment étrange à quel point certains codes du jeu vidéo peuvent être profondément ancrés.
Nous avons mis en place nos user tests en interne à Quantic pour pouvoir en faire plus régulièrement (tous les trois jours) en petits groupes de trois et en essayant un accès direct permanent aux utilisateurs pour voir comment ils jouent, ce qu'ils font, ce qu'ils aiment et ce qu'ils détestent. Le feedback global sur le jeu est excellent. Tant mieux, après les semaines de doutes profonds qu'on vient de traverser...
Même retour des salons auxquels le jeu est montré et des présentations que je suis amené à faire. Ce week-end, Eurogamer à Londres (présentation et interview toute la journée), le dimanche User Tests à Londres encore, le lundi présentation au Micromania Game Show à Paris, puis retour au développement... J'ai pris ma soirée le lundi suivant pour voir mes enfants... Je ne les avais pas vu depuis une semaine et je commençais à sentir monter le vent de la colère... « Papa, c'est pas parce que t'as beaucoup de travail que tu dois plus voir tes enfants » (mon fils de 9 ans).
C'est vrai, mon fils, tu as bien raison. Papa va essayer d'être un peu plus raisonnable.
J'ai croisé mon regard dans un miroir après deux semaines à dormir trois heures par nuit. Je me suis fait peur.
Des joueurs testant la scène Mad Jack au salon Eurogamer
Présentation Eurogamer à Londres. Dix minutes avant, la salle est vide. Je me dis que je vais avoir une présentation calme... Je regarde par la fenêtre et voilà ce que je vois. Le salon n'était juste pas encore ouvert. Le salon et ma présentation feront salle comble...