Je viens de finir Sucker Punch et je suis dans le doute. Au premier abord, j'ai perdu deux heures de vie. Enfin perdu, pas tout à fait, j'ai quand même vu des filles magnifiques découper des robots au katana et affronter un dragon avec un fusil d'assaut.

Et finalement, si tout le cœur du film était ailleurs ?

Viens, je m'appelle Sucker Punch, et je vais te vriller le cerveau. 

Ceux qui ont lu mon précédent article de blog savent déjà que l'histoire paraît simple : la pauvre Babydoll subit une lobotomie qui lui fait revivre dans un flashback fantasmé sa vie dans l'asile où elle est internée. Dans son imagination délirante au moment de s'éteindre, elle rêve qu'une seule de ses amies, Sweet Pea, a réussi à s'évader grâce au sacrifice de ses compagnons d'infortune, elle-même inclu.

 

Sweet Pea, dont la voix ouvre et ferme le film.

 

Sweet Pea.

 

S.P

 

Sucker Punch...

Et si elles ne faisaient qu'une... ?

 

Cette phrase qui me trotte dans la tête. Cette phrase essentielle dans la bouche de Babydoll, lorsqu'elle comprend qu'elle doit se sacrifier pour que Sweet Pea puisse s'évader : « Depuis le début, c'est toi le personnage principal »... Cette phrase énigmatique, lâchée dans un moment de grande tension, à laquelle on ne prête finalement qu'assez peu attention parce qu'elle n'est pas mise en scène, et que Snyder nous a habitué à surligner et expliquer à outrance l'histoire et ses rebondissements.

Volontairement ou non, cette phrase qui est certainement le pivot du film, n'est pas traitée comme un twist. Pas de musique pompeuse, pas de flashback pour tout remettre en perspective, l'histoire continue à se dérouler. Et la plupart oublie ce qui change tout.

Babydoll n'est pas le personnage principal. C'est Sweet Pea. C'est Sweet Pea la voix off. C'est elle qui s'évade. C'est elle qui ouvre et qui ferme le film. C'est elle qui porte ses initiales, et qui porte en elle, dans son nom, la lobotomie qu'elle va subir.

Et cela pour une raison simple : Babydoll n'existe pas, pas plus que Rocket, Amber ou Blondie. Parce que seule Sweet Pea existe. 

Reprenons depuis le début, parce qu'en réalité, en y regardant attentivement, de nombreux indices confirment cette hypothèse. Tout le film est un jeu de mirroir, à l'image de cette magnifique scène dans les coulisses du cabaret où l'on passe d'un côté à l'autre du reflet...

 

 

Babydoll, un reflet dans le mirroir imaginaire de Sweet Pea ?

 

Il faut pour bien comprendre revenir aux premières minutes du film.

Le film s'ouvre sur une jeune fille de dos, censée être Babydoll. On voit la nuit de la mort de sa mère et de sa sœur sans aucune parole prononcée, sur la musique d'Eurythmics. Comme dans un rêve, ou dans une histoire qu'on se raconterait.

Je pars du principe que cette histoire, c'est Sweet Pea qui l'invente. C'est pour cela qu'on voit la jeune fille de dos, qui est Sweet Pea avant de devenir Babydoll. Parce qu'en réalité, elle est sur la scène du « théâtre », dans l'asile, elle-même assise sur un lit, et que le Docteur Gorski lui demande d'inventer une histoire pour affronter son traumatisme. Pour cela, le Docteur Gorski la rassure, en lui rappelant qu'elle est maître du monde qu'elle créé. Et lui met de la musique. Eurythmics.

 L'ouverture du film : Babydoll pleure apeurée sur son lit...

... renvoie directement au travail psychologique que Sweet Pea fait sur la scène du théâtre, confirmant que Babydoll n'existe que dans son imagination.

 

Cet exercice fonctionne : Sweet Pea imagine Babydoll. A partir de ce moment-là, on est dans le rêve de Sweet Pea : elles sont danseuses dans un cabaret et Babydoll est une nouvelle arrivante. C'est pourquoi dans le film, on passe dans le « monde cabaret » lorsque le regard des deux jeunes filles se croise. L'exercice fonctionne. Sweet Pea s'invente un monde dans lequel elle est la star de la revue, elle a encore sa petite sœur et elle va tenter de s'évader avec Babydoll.

On imagine que Sweet Pea va réellement subir une lobotomie, en raison des magouilles de l'infirmier, qui par ailleurs abuse d'elle ou vend ses plaisirs à des personnes peu scrupuleuses.

Dans le « monde cabaret », l'infirmier devient donc Blue, le tenancier de l'établissement, violent, prostituant ses danseuses à ses clients. Sweet Pea est la star du spectacle.

 

Sweet Pea rappelle au Dr Groski, devenue meneuse de revue, et à l'infirmier, devenu Blue, que c'est elle la star du show. A partir de ce moment, tout le film se déroule dans son imaginaire, dans lequel elle vient de faire entrer Babydoll. 

 

Babydoll représente sa volonté de s'en sortir. Comme Sweet Pea, elle a perdu sa petite sœur mais elle veut s'évader.

Rocket n'existe pas ailleurs que dans le « monde cabaret ». Elle est sa petite sœur imaginaire, qui n'est pas morte. Sweet Pea va devoir affronter sa mort lors d'une des « missions ». Affronter son traumatisme comme le lui demande le Docteur Gorski. Mais en s'échappant quand même. En le surmontant.

Amber est le courage dont Sweet Pea va avoir besoin pour passer les obstacles, les fameuses missions. Et Blondie est la franchise, la vérité qu'on doit regarder en face, celle qui va la trahir. Blue va les tuer, comme l'infirmier a tué, détruit son courage et sa capacité à affronter la vérité.

Babydoll, Rocket, Amber et Blondie ne sont rien d'autres que des facettes de la personnalité troublée de Sweet Pea.

C'est pourquoi le basculement dans le « monde cabaret » se fait lorsque Babydoll croit imaginer sa lobotomie : elle s'aperçoit que c'est un spectacle du cabaret, Amber, Rocket et Blondie jouent le chirurgien et les infirmières et Babydoll est interprétée par... Sweet Pea !

 

Babydoll imagine sa lobotomie...

 

 ... mais au dernier moment, on bascule dans le "monde cabaret", et c'est Sweet Pea qui tient son rôle.

 

Encore une fois, il n'est pas anodin que Sweet Pea  refuse de tenir ce rôle de lobotomisée, et rappelle que c'est elle le rôle principal.

Dans le monde réel, Sweet Pea a donc imaginé les monde cabaret et missions, dans un exercice d' « exorcisme » de son traumatisme.

Elle a inventé Babydoll. Mais si elle veut s'en sortir, s'échapper de la folie qui la guette, elle doit sacrifier Babydoll. C'est pourquoi les personnages disparaissent les uns après les autres. Pour ne laisser que Sweet Pea, qui parvient enfin à se libérer.

Et la libération, ce sera finalement d'être lobotomisée, de ne plus avoir à subir les agressions de l'infirmier et de ses « clients », de ne plus être torturée par la culpabilité. Cette lobotomie, elle finit par la désirer. D'où son regard qui interloque le chirurgien. On notera qu'on revient dans la réalité, le « monde asile » au moment précis où le chirurgien perfore de le cerveau de Sweet Pea, mettant fin à son monde imaginaire où existe Babydoll. 

Cette lecture du film est confirmée par un dernier élément : comme aux premières secondes du film, on ne voit plus le visage de Babydoll dès lors que la lobotomie a été pratiquée. En réalité, vous l'aurez compris, je pense que c'est Sweet Pea qui est assise sur le fauteuil. Et quand on voit enfin son visage, c'est celui de Babydoll, mais intact, sans la moindre trace de la lobotomie. Pourquoi ? Parce que l'acte chirurgical a libéré Sweet Pea. Le Sucker Punch a fait que Babydoll a pris sa place dans l'asile, et qu'elle peut s'échapper par l'esprit. Dans le monde qu'elle peut désormais s'imaginer sans limite, elle monte dans le bus conduit par le Sage, et elle s'évade vers un monde qui est le sien, dans lequel elle pourra retrouver sa mère et vivre libre.

 

Après la lobotomie, Sweet Pea laisse Babydoll prendre sa place dans l'asile, et elle peut s'échapper dans son monde imaginaire, auquel elle a désormais seule accès.

 

Tout ça, je pense qu'on aurait dû le comprendre plus clairement lorsque Babydoll indique qu'elle n'est pas le personnage principal de l'histoire.

Est-ce par volonté de laisser à chacun le soin de chercher, de conserver des aspects mystérieux ou par pure maladresse ? Evidemment je n'en sais rien. Mais je reste persuadé que ce film est beaucoup plus profond qu'il n'y parait.

J'en viens à un dernier point qui pour moi confirme mon hypothèse : la version longue du film contient une scène essentielle, dans laquelle le High Roller (qui est donc le chirurgien dans la réalité) discute longuement avec Babydoll (donc Sweet Pea). Il va coucher avec elle, lui prendre sa virginité, mais lui indique que si elle ne ment, si elle se donne à lui volontairement, il la libèrera sans condition. Ce qu'elle fait, dans une scène évidemment dérangeante. Ces thèmes du sexe, de la liberté, de la soumission, de la possession et même de la virginité sont très présents dans le film. On comprend que Sweet Pea a subi des atrocités pendant son internement. Qu'elle a été violée, et qu'elle ne peut se libérer des traumatismes qui sont devenus une prison pour elle. Elle doit accepter d'éteindre son cerveau, seule échappatoire pour s'en sortir.

Cette noirceur, ces couches de compréhension, font de Sucker Punch un film beaucoup plus intéressant qu'il n'y paraît. Loin du blockbuster pour geek boutonneux qu'on pourrait voir au premier abord.

Ce film continue de me faire réfléchir. Sa noirceur ne me quitte pas.

C'est le signe des grands. Avec de grands défauts, certes, mais des grands quand même.

 

 

NB : pardon pour la mise en page dégueu initiale, j'ai publié en croyant que c'était resté en brouillon... Je tiens également à préciser que je n'ai pas regardé les bonus du BR, ni écouté les commentaires de Snyder. Si d'autres sont arrivés à la même conclusion que moi, c'est sans se concerter, et personnellement, ça me conforte dans mon opinion. Le film a au moins le mérite de pousser à la réflexion ! Constater que nous sommes plusieurs à arriver à la même théorie tend à démontrer que c'est la bonne, et par conséquent qu'elle était voulue par Snyder. Dans tous les cas, on saluera son courage à proposer ce type de scénario dans ce genre de production !