La première partie de notre test est partie du postulat fait par la majorité des critiques sur le net, qui ont jugé un peu hâtivement le dernier-né des Allemands de Pluto 13, alias Piranha Bytes, sans toujours creuser derrière une interface d’un autre âge, un système de combat rigide, des animations passables et un début laborieux. Or, c’est en dépassant ces premiers atours que l’opus s’ouvre de manière spectaculaire pour proposer rien de moins qu’une des meilleures expériences Piranha Bytes : un monde ouvert et riche laissant largement la place à l’exploration, une écriture non-manichéenne où bien et mal coexistent, des quêtes laissant toute latitude pour le contournement, le changement d’objectifs au cours de routes et la trahison d’un ou plusieurs donneurs de quêtes, et un système de progression intéressant, couplé à une difficulté qui reste légendaire pour un RPG. Voyons cela plus en détail.
I. Un monde en miettes
a) L’elex, minerai de la discorde
Après une exposition assez mal faite dont nous vous avons déjà parlé, vous vous retrouvez, si tout s’est bien passé, dans la capitale des Berserkers, une des quatre factions principales qui se partagent un monde dévasté et profondément divisé. Au milieu des ruines de bâtiments modernes, de carcasses de chars et d’anciens poteaux électriques vidés de leur signification, vous arpentez des paysages souvent sinistres, et parfois un peu génériques lorsque les maisons que vous visitez dans un même secteur se ressemblent toutes plus ou moins. A l’origine, une météorite arrive sur votre terre, et c’est la panade : destruction en masse, coupure électrique et technologique. Mais ça n’aurait rien été sans le matériau bleu dont vous allez entendre le plus parler durant votre aventure : l’Elex. Cette matière extraterrestre s’insinue dans les sols, pollue la terre, la rend stérile, et fait muter les hommes et les animaux qui s’en approchent un peu trop.
Quatre factions ont émergé de ces cendres : les Clercs, qui utilisent l’elex comme carburant technologique et vénèrent un dieu de la connaissance ; les Berserkers, qui raffinent l’elex pour en faire du mana, rejettent toute technologie, suivent un corpus de lois rigide et essayent de purifier le sol ; les Hors-la-loi, qui font leur beurre sur la détresse d’autrui, pratiquent intensivement le commerce et la trahison, et utilisent l’elex pour confectionner des drogues de combat ; les Albs enfin, qui consomment l’elex, ce qui décuple leur force, les rend disciplinés, dépendants, et sans émotions, sans pour autant les transformer en mutants décérébrés. Pour Jax, l’ancien Alb que vous dirigez, et qui découvre le monde des hommes après avoir été trahi et abattu par ses pairs, c’est le moment de partir en quête de réponses.
Repères, téléporteurs, verdure et désert.
b) Une difficulté légendaire
Vous vous rendez vite compte que le monde est vivant. A vous de l’explorer de fond en comble, de fouiller les ruines, de rencontrer de petits groupes de personnes tâchant de survivre, et d’activer des points de téléportation. Ceux-ci, loin de briser l’immersion, sont très utiles pour rejoindre des parties d’un monde qui reste massif, sachant qu’on ne disposera ni de montures, ni de véhicules. Leur découverte est donc toujours un petit moment de joie, surtout quand on a fui une dizaine de monstres pour y arriver.
Un conseil : courez. Et oui, nous sommes dans la zone du début du jeu.
Car il y aura de la fuite, surtout au début du jeu. Certains testeurs n’ont pas hésité à critiquer la difficulté du titre, qui vous poussera à vous balader dans la zone de départ pour rencontrer des monstres abordables qui vous enlèvent déjà la moitié de votre vie à chaque coup, et surtout des abominations que vous ne pouvez combattre qu’après avoir pris une dizaine de niveaux. Mais depuis Gothic, c’est le cas. Et puis, grâce à votre jetpack qui rend l’exploration possible dans les trois dimensions, et grâce à la vitesse de course de votre gus, vous pouvez survivre, si tant est que vous fassiez des sauvegardes rapides très souvent : avant un combat, après avoir passé deux minutes sur les routes sans combat, avant de parler à un PNJ pour remplir une quête, avant d’accepter une quête qui vous implique de vous déplacer immédiatement pour éviter d’être surpris par la difficulté, etc. Sauvegardez !
Vos compagnons pourront vous épauler…si l’intelligence artificielle ne fait pas des siennes.
II. La vengeance est un plat qui se mange à coup d’épée tronçonneuse
a) Une progression complexe…
Heureusement, vous aurez des dizaines et des dizaines de quêtes intéressantes à faire pour obtenir un maximum d’expérience. Outre les toutes premières quêtes assez basiques, vous en aurez de toutes les sortes : des quêtes à objectifs multiples, vous forçant à prendre parti, et dont certains choix impacteront le scénario, comme celles de la ville « libre » qui vous forcera à choisir un des camps, pouvant résulter en un massacre généralisé. L’écriture, l’absence de manichéisme et des objectifs qui font sens vous pousseront aussi à prendre un parti entre deux tendances : votre froideur d’ancien Alb, et votre partie émotive. Le problème est que ce système, qui a un réel impact sur le scénario, apparaît un peu artificiel, avec des réponses préformatées pas toujours évidentes pour aller de l’un à l’autre.
En explorant un peu, vous pouvez tomber sur de petits groupes d’individus tâchant de survivre.
Pour certains testeurs, on manque d’argent, les monstres donnent peu d’expérience et on ne peut pas rejoindre certaines zones au début : c’est normal. L’argent se trouve si vous prenez les bonnes compétences, comme la chasse, permettant d’extraire tout un tas de matériel sur les mutants et monstres pour les revendre à prix d’or. Les quêtes donnent énormément d’expérience, et ne réclament pas tout le temps des combats, loin de là. Quant aux zones non abordables, c’est comme ça que Piranha Bytes fonctionne : certains chemins seront difficiles à prendre, d’autres seront à découvrir au fur et à mesure de votre expérience, et enfin la combinaison entre fuite et sauvegarde rapide devrait vous permettre de vous en sortir.
b) …profonde
A chaque niveau, vous obtenez dix points d’attribut que vous pouvez placer directement, et un point de compétence que vous pourrez vous attribuer auprès d’un maître. Et la première chose que je dois vous conseiller si vous découvrez les jeux Piranha Bytes, c’est d’attendre d’avoir de réels besoins avant de dépenser les points d’attribut : la plupart des armes, des armures et des compétences demandent un certain nombre de points dans un ou plusieurs attributs, et la complexité d’Elex et d’un RPG PB, c’est le fait de devoir différer votre dépense en points et de prévoir votre feuille de personnage un peu en amont pour ne pas vous retrouver en manque au moment où vous avez besoin de ces points.
Au niveau 13, je ne savais pas encore où mettre mes points. Puis j’ai décidé d’améliorer mon arme de corps-à-corps.
Car sans prévision, il va vous être difficile de rejoindre facilement une des trois factions et d’utiliser en même temps les armes qu’il vous faut, au vu des prérequis parfois lourds. Vous disposez ainsi de cinq attributs, de quatre catégories de compétences générales (49 en tout !), et de trois catégories de compétences (14 par catégorie) liées à la faction que vous aurez choisi : une pour les Clercs, une pour les Berserkers, une pour les Hors-la-loi. En bref, vous aurez à choisir entre 63 compétences différentes, dont certaines peuvent être montées en plusieurs niveaux. Dans la catégorie combat, vous pourrez améliorer vos dégâts avec différentes types d’armes et contre différents ennemis, ou faire une attaque par jetpack. En survie, vous retrouverez la chasse, les points de vie, l’armure et les résistances diverses. En artisanat, vous aurez de quoi faire vos propres potions et améliorer vos propres armes si vous êtes du genre à ramasser tout ce que vous trouvez, mais aussi pour forcer les coffres ou hacker avec des mini-jeux sympathiques. En personnalité, vous développerez vos compétences de groupe, vos compétences en discussion pour trouver de nouvelles options de dialogue.
Les compétences de factions proposent beaucoup de techniques actives.
c) …mais gratifiante
Vous allez passer un certain temps à dompter le système de combat, qui fait sens au bout d’un certain temps, à explorer pour trouver les précieux points de téléportation ainsi que des quêtes, et à vous perdre dans la forêt des Berserkers, les plaines des gens libres, le désert des Hors-la-loi et le volcan des Clercs, en évitant soigneusement au départ la zone glaciaire des Albs. Vous monterez vos attributs petit à petit, au départ pour manier de bonnes armes (ce qui sauve la vie), ensuite en vue de rejoindre une faction (ce qui simplifie la vie). La difficulté du titre fait que c’est un plaisir extrême de trouver une armure (très rare hors faction) ou une nouvelle arme, et quand vous retrouvez les monstres qui vous mettaient en pièces dix niveaux plus tôt, vous avez l’impression d’avoir réellement progressé…avant de tomber sur d’autres créatures encore plus fortes.
Il faudra à un moment choisir à qui donner votre allégeance.
Cela implique de faire un certain nombre de choix. Destiné à rejoindre les Clercs, après la chasse, le craft et les compétences de combat pour survivre, ainsi que les attributs en force et en dextérité pour avoir mon arme de corps-à-corps améliorée, je me suis préparé à les rejoindre en étudiant leurs compétences, les prérequis, et en essayant de maintenir équilibre entre la survie et le futur moment du choix. Lorsque j’ai enfin rejoint les Clercs au niveau 21, j’avais encore des dizaines de points d’attribut et même sept points de compétences en attente, pour obtenir ce qu’il me fallait pour passer de fuyard d’élite à tueur psy (oui oui, après 20 niveaux et une vingtaine d’heures de jeu). Et y a pas à dire : une armure, de nouvelles armes, et des tas de nouvelles compétences, c’est là que le sentiment de progression prend tout son sens, comme dans tous les jeux Piranha Bytes.
Qu’il est bon de sentir la puissance des Clercs.
III. L’univers atypique
a) Une cohérence ?
Il est au départ difficile de concilier le Moyen-Âge Berserker, le style post-apocalyptique des hors-la-loi, et celui futuriste des Clercs, le tout dans les ruines d’un monde qui rappelle le XXIe siècle. En arpentant dans tous les sens les territoires des uns et des autres, on aperçoit tout de même la cohérence scénaristique : les informations sur le passé et le présent sont savamment distillées, parfois de manière un peu bavarde car les PNJ parlent beaucoup, et on en apprend de plus en plus au fil des quêtes et de l’histoire, renseignant aussi bien notre personnage semi-amnésique et nous-même. Les graphismes restent en ce sens correct, ainsi que les bruits d’ambiance et les musiques, quoiqu’un peu trop éthérées à mon goût.
C’est surtout au niveau de vos choix que vous vous retrouverez dans cet univers. C’est un plaisir immense de pouvoir rejoindre une des trois factions. Le souci principal, que soulèvent certains testeurs, c’est que le nombre de quêtes propres à chaque faction est assez limité, un peu comme dans Gothic premier du nom où rejoindre les uns ou les autres n’influaient que très peu sur le déroulement de l’histoire…
La désolation des hors-la-loi.
b) Le choix des factions
Quoi qu’il en soit, rejoindre les Clercs vous permettra d’avoir des armes laser ou plasma, des armures futuristes, et des pouvoirs psy permettant de manipuler les gens, les ennemis, et de créer des trous noirs capables d’engloutir vos ennemis. Les Berserkers vous proposeront une maîtrise de l’archerie et des armes tranchantes, et une magie puissante permettant d’invoquer des esprits. Les Hors-la-Loi se borneront eux à vous fournir des plans de construction de drogues capables d’améliorer toutes vos compétences en combat, et en étant capables de pratiquer l’artisanat sur un nombre immense de choses, avec des pétoires un brin moins futuristes que celles des Clercs.
Une fois arrivé dans la faction, vous serez au rang le plus bas, et il vous faudra gravir les échelons internes pour obtenir armures, armes et nouvelles prérogatives. C’est cette deuxième partie du jeu qui est la plus gratifiante pour le joueur qui a eu le courage d’arriver jusque-là. C’est le moment où tous les éléments scénaristiques font sens, et où vous êtes enfin libres (plus ou moins) d’explorer Magalan.
Conclusion
On voit donc en définitive se dessiner les contours d’un jeu réussi. Après des débuts laborieux, je trouve que Piranha Bytes a réussi son pari en créant un nouvel univers, une nouvelle série, et en utilisant ses propres codes du RPG : progression complexe et gratifiante, difficulté, choix entre les factions, importance des compétences, un scénario non-manichéen. Mieux, le scénario est mieux mis en scène que dans les précédentes séries, les compagnons ont une vraie place, et les téléporteurs facilitent le déplacement dans un monde vaste et riche.
Les trous noirs contre la difficulté.
Toutefois, le jeu n’est pas exempt de défauts. Outre les débuts laborieux, la technique faible, et les combats, au corps-à-corps ou à distance, qui ne sont pas encore débarrassés de leur lourdeur habituelle, il est regrettable que les professeurs vous enseignant les compétences connaissent une catégorie entière, au lieu de connaître seulement une ou deux compétences, ce qui serait davantage logique et proche des précédentes séries. Aussi, le choix des factions devrait impliquer davantage de quêtes inédites. Enfin, contrairement aux premiers Gothic, l’univers est un peu moins vivant. Comprenez-moi bien, les PNJ vaquent à leur occupation, se déplacent, discutent, réparent des choses, patrouillent, dorment, se retrouvent au coin du feu le soir, font pipi (oui oui). Mais il manque un semblant de vie malgré tout, surtout quand les déplacements sont un brin erratiques et sans aucun sens pour l’intelligence artificielle…
Partir à la découverte des factions est un des plaisirs du jeu.
Quoi qu’il en soit, Elex est une petite pépite encore mal dégrossie. Si vous passez les premières heures, nul doute que vous risquez de découvrir comme moi son côté addictif. Il est regrettable que la plupart des critiques se soient focalisées sur ce début poussif. Reste qu’il est plutôt étrange de critiquer Elex sur sa difficulté ou son système de progression, très proche des précédents opus. Au vu de la qualité de cet opus, on finit par se rappeler qu’à son époque, les premiers Gothic avaient été assez mal notés, et on comprend qu’il y aura toujours un décalage entre un jeu Piranha Bytes et un public contemporain. A bon entendeur, salut.
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