Ce texte est un assemblage de plusieurs réflexions et/ou réponses écrites ici et là sur les forums et statuts que j'ai enfin pris le temps de rassembler en un billet.

Ce n'est pas réellement une critique du jeu.

J’ai entendu beaucoup de gens se plaindre du manque de fun dans RDR2. Qu’il ne méritait tout simplement pas sa place de GOTY, car il n’était pas fun. Et comme dans jeu vidéo, il y a jeu… CQFD. Argumentaire imparable. Il serait peut-être temps dès lors de redéfinir le jeu-vidéo. En effet, cela fait plusieurs années que le « jeu-vidéo » s’est petit à petit éloigné du simple jeu pour lorgner, parfois, vers une œuvre artistique en bonne et due forme. Cherchant à trouver sa place auprès de la littérature, du cinéma ou de l’art visuel. Est-ce que la littérature est-elle toujours fun ? Est-ce que le cinéma est-il toujours fun ? Est-ce que l’art visuel est-il toujours fun ? Non. Le jeu-vidéo-fun n’est qu’une branche, un cas particulier de ce qu’on pourrait appeler un « environnement virtuel interactif », lui-même faisant partie d’une branche plus large encore : les médias interactifs. Ce dernier englobant tous médias sur lequel le spectateur aurait un certain contrôle. RDR2 est donc un ENvironnement Virtuel Interactif (ENVI). Ainsi, la dernière production de Rockstar à toute sa place à côté d’autres ENVI plus fun. Et, d’une pierre deux coups, cette redéfinition permet à cette industrie d’embrasser enfin sa maturité qui lui fait tant défaut. Mais soit... car là, en effet, je fantasme tout seul dans mon coin...

Red Dead Redemption II n’est pas une œuvre à commencer par dessous la jambe. Beaucoup de joueurs ont attaqué le titre comme s'ils allaient voir Blade Runner 2049 avec le même état d'esprit que quand ils vont voir un Marvel. Parce que oui, il a tous les codes du blockbuster. Ou du moins, le service marketing a utilisé les mêmes codes. Parce qu'il a le même budget. Raccourcis facile mais complètement foireux. Il ne faut pas s’étonner alors que les spectateurs en ressortent déçus et frustrés… L’habit ne fait pas le moins. Pire que ça, le budget n’est pas un genre. RDR2 est un de ces titres au budget pharaonique, mais avec un réalisateur. Soit un auteur qui a une vision claire de ce qu’il veut proposer. C’est une oeuvre d’un studio indépendant. Un ENVI d’auteur (ouais, je sais...). Dans le sens noble du terme. Une œuvre avec une proposition singulière forte. Je dirais alors plutôt : RDR2 est un de ces titres au budget pharaonique, mais avec un réalisateur qui a une vision claire de ce qu’il veut imposer. Et ça, le joueur va le recevoir en pleine gueule. Et d’autant plus parce que l'assistanat des jeux à gros budget est, aujourd’hui, une directive de gameplay presque universelle. Ne surtout pas frustrer le joueur. Ne surtout pas le contraindre. Ne surtout pas lui imposer quelque chose. Pourquoi ? Parce qu’il ne faudrait surtout pas qu’il délaisse le titre pour un autre. Il faut dès lors que la carte soit remplie de marqueurs qui popent dans tous les sens, sans cesse. Les développeurs se mettent la pression pour constamment solliciter le joueur, éviter à tout prix qu’il s’ennuie. RDR2, c’est tout le contraire. Pas parce qu’il fait confiance au joueur – comme l’avait très bien fait Zelda: breath of the wild – non, simplement parce que RDR2 s’en fout du joueur. Et ça, l'air de rien, bordel, ça fait du bien. Ne plus être tenu par la main. Le titre va où il a décidé d’aller, avec ou sans le joueur. L’auteur a un parti-pris et il a une histoire à raconter. Ce parti-pris ira jusqu’à mettre des bâtons dans les roues du joueur avec une maniabilité qui n'est pas des plus intuitives, ok, mais cohérente. Pas cohérente avec elle-même, mais avec le majeur tendu qu'il fait au joueur. Mais, chose folle, après une bonne dizaine d’heures, le joueur s’y est fait. Si par contre, il a toujours du mal malgré tout ce temps, alors c’est que le joueur doit faire le triste constat qu'il rejette cette proposition. Il passera à côté du titre qui continuera sans lui. Tant pis pour lui. Il ne le mérite pas. Accepter les contraintes du titre rendra l’expérience incroyable. C’est au joueur de se plier au titre et pas l’inverse (comme le fait la majorité des autres AAA de plus en plus impersonnels). Il faut obligatoirement passer par ce lâcher-prise pour profiter pleinement de la proposition. Cette longue phase d’adaptation est un apprentissage humble qui ira jusqu’à déconstruire les vieux réflexes de joueurs. Le titre s'impose au joueur par une multitude de mécaniques et, surtout, par son rythme. 

La vraie question à se poser, c’est qu’est-ce qui restera de ce jeu après l’avoir terminé ? La maniabilité compliquée ? La lourdeur du personnage ? Ou la force narrative et contemplative du titre qui aura été, en fin de compte, sublimé par cette maniabilité et cette lourdeur ?