Le jeu vidéo cherche à briser ses
codes, à se libérer de ses propres chaînes, comme nous avons pu le voir
récemment avec la tentative Heavy Rain. A la recherche d'une
reconnaissance ou plus simplement à l'affut de nouvelles façons de
conter une histoire, ce média se risque une nouvelle fois à proposer
"plus" qu'un jeu vidéo.
Alan Wake est le dernier né de Remedy, le studio à l'origine
de Max Payne 1 et 2. Ces titres ont bénéficié d'une solide réputation en matière de savoir-faire de la part du développeur, même s'ils ne m'ont
pas laissé de souvenir impérissable. Ce petit placement dans le contexte effectué, je préfère entrer dans le vif du sujet: Alan Wake est une
déception presque totale.
Je serais malhonnête de dire que j'attendais ce jeu comme le messie
ou comme un quelconque fils spirituel de Silent Hill, mais tout de même, j'avais été alléché par les premiers trailers. J'avais envie de croire
que ce titre serait une sorte de Heavy Rain de l'horreur, que les
hommages à King, Lovecraft ou autres seraient bien exploités, mais il
n'en est rien.
Si toute la partie technique n'est pas remise en doute, bien
qu'après cinq ans de développement elle soit quand même faible face aux
gros standards des consoles dites "HD", le gameplay est un ratage total. Le propos du jeu est de vous mettre dans la peau d'un chétif écrivain
qui n'a que la lumière et un flingue pour se débarrasser de possédés. Le faisceau de votre lampe de poche sert à dépouiller les ennemis de leur
ombre pour les rendre vulnérables aux balles. Voilà une idée originale,
sauf que Remedy a totalement oublié de varier les plaisirs durant les
douze heures de l'aventure. Ce que l'on a fait les quinze premières
minutes de jeu, on le refera inlassablement jusqu'au bout, avec toujours la même mise en scène: arrivée de grappes de quatre ou cinq ennemis ou
objets, de temps en temps un boss et c'est tout.
Il y a bien les variantes comme le pistolet d'alarme, les feux à
main, la carabine, les phares de voiture ou les générateurs mais c'est à peu près tout. On aurait aisément pu imaginer des trouvailles avec
l'essence, briquets, bombonnes de gaz et compagnie, mais non. Ne
serais-ce que des dégâts localisés... ça aurait au moins permis de
varier les plaisirs. C'est pour le réalisme il paraît. J'aimerais
abonder dans ce sens, et oublier tous les défauts grâce au prétexte du
réalisme, mais ce n'est pas possible.
Comment un jeu réaliste pourrait-il foutre des thermos en plein
milieu de la forêt? Des thermos manifestement placés là pour faire
plaisir aux aficionados des achievements. Comment justifier ces pages de romans hyper mal intégrées au gameplay et donc rébarbatives à lire?
Pourquoi ne pas avoir créé une animation avec les pages dans les mains
de Wake? Désolé mais devoir passer par le menu pour lire des écrans ça
me sort du trip. Le jeu est bourré de détails de ce genre, comme le fait qu'Alan passe son temps à perdre et à trouver des flingues en pleine
forêt. De même, il trouve souvent des munitions juste à côté d'un
personnage mourant ou d'un endroit qui mérite de l'intérêt. Le fait de
placer ces munitions là et pas ailleurs tend à prouver que Remedy s'est
dit qu'à ce moment précis le joueur serait plus réceptif à l'aspect
ludique plutôt qu'à l'immersion dans l'histoire. On se focalise sur les
munitions, la survie et on passe à côté de scènes ou ambiance
importantes.
Tout cela me fait non seulement sortir sans cesse de l'aventure,
mais pire encore, n'arrive jamais à vraiment m'y plonger. On est
toujours en train de pester sur quelque chose. Quand ce n'est pas ça
c'est à cause de la gestion de la course, calamiteuse. Alan Wake ne
semble pas capable de courir plus de six secondes d'affilée. Même moi,
ex fumeur, je fais mieux. Je le ferais d'autant mieux en étant
pourchassé par des ombres avec des haches en pleine forêt. On me
répondra que si on pouvait courir de lampadaire en lampadaire il n'y
aurait de challenge. Du coup je ne comprends pas: ce n'est pas vraiment
un jeu car c'est censé être un récit interactif, mais ce n'est pas
vraiment un récit interactif non plus car il n'a rien de réaliste ou de
profondément immersif. Du coup qu'est Alan Wake?
Je pense que Remedy a du se poser la question longtemps et n'a
peut-être pas osé aller au bout de sa logique. Après tout on a beaucoup
critiqué David Cage et sa vision du jeu vidéo, mais toujours est-il
qu'il a osé aller au bout de sa démarche. Dans Alan Wake, seuls deux
chapitres (sur six) sont réellement bons. Les autres ne sont que
d'affreuses successions de promenades dans la forêt qui se ressemblent
toutes: objectif point A point B, passage de lampadaire en générateur
avec attaques de groupes de possédés tout du long. De temps en temps on
visite une maison, puis on repart jusqu'au passage scénarisé se passant
souvent de jour.
Les lieux traversés sauf peu inspirés mis à part deux-trois, et on
sent que l'équipe a eu du mal à dépasser ses inspirations pour oser
faire quelque chose de totalement original. Du coup Alan Wake, qui
aurait pu être le renouveau du survival "psychologique" à la Silent Hill est non seulement un sous-Silent Hill mais également un sous-Heavy
Rain.
J'ai conscience que ce point de vue est totalement subjectif et n'a
pas de vocation de valeur absolue, tout dépend de la façon dont vous
abordez les jeux et de ce que vous en attendez. Pour ma part, chercher
des thermos dans un Silent Hill like ça me fait sortir du trip. Je ne
suis donc plus dans le thriller psychologique mais je n'arrive pas non
plus à le prendre comme un "simple" jeu parce que la maniabilité accuse
presque une décennie de retard. Même un vieux Resident Evil 4 proposait
plus poussé comme le dégagement, les actions contextuelles, QTE, etc.
Difficile de sortir après des jeux comme Bioshock ou Uncharted 2 qui ont su prouver qu'on pouvait allier à la fois une bonne narration et un gameplay au top.
Si Remedy avait choisi d'aller complètement d'un côté (roman
interactif) ou de l'autre (survival horro) il en serait certainement
sorti quelque chose de génial, mais en l'état, il ne reste qu'un soft un peu bâtard mais pourtant pas totalement daubé. En effet Remedy a une
certaine culture qui fait que la mise en scène est léchée et les
références nombreuses. Les jeux de lumière sont également fabuleux,
comme l'impression d'immensité de la forêt, même si ça ne reste qu'une
impression, des couloirs plus ou moins ouverts s'imposant vite à nous.
En définitive, Alan Wake ne m'a pas marqué. Il ne révolutionne rien, ni la narration, ni la mise en abîme, et encore moins les mécaniques du jeu vidéo, qu'il exploite jusqu'à l'écoeurement alors qu'il s'en
défend.