En 1963, James Bond n’est pas encore une franchise fructueuse du cinéma et pour cause, seul ‘Docteur No’ est sorti l’année précédente. Devant le succès surprise de l’adaptation du héros de Ian Fleming, une suite est rapidement mise en chantier avec toujours Sean Connery dans le rôle principal. Et c’est donc ‘Bons Baisers de Russie’ qui est cette fois choisi pour être porté à l’écran. Cinquième roman mettant en scène l’espion britannique, la version livresque sortie en 1957 dans la langue de JFK (qui déclara en 1961 que le livre faisait parti de son ‘Top Ten’) est un succès de librairie. Son pendant cinématographique connaîtra le même destin auprès du  grand public.
Des décennies plus tard, une autre adaptation voit le jour, vidéoludique cette fois-ci. Piloté par le futur studio ‘Visceral Games’ (encore EA Redwood Shores à cette époque) pour le compte d’Electronic Arts, on y retrouve l’acteur écossais dans le rôle qui marquera sa vie pour une relecture à peu près fidèle de cette aventure stambouliote.
Cet article va donc revenir en premier lieu sur le film pour se poursuivre sur le jeu, que j’ai tout deux (re)découvert il y a peu. Allons-y 007, il y a de la besogne.


Avec Plaisir...

Le film de Terrence Young - 1963

Assez surprenant pour ma part de voir que ‘From Russia with Love’ est grandement apprécié, même de nos jours. Car si j’arrive à comprendre que ‘Docteur No’ conserve un certain charme suranné, la seconde mission de Bond sur la toile est d’une platitude assez marqué, voir d’un grand ennui. Le réalisateur s’attarde sur des plans insignifiants et expédie des scènes qui auraient gagné à être plus exposées. J’estime pour cela le film bien trop long, et qu’il gagnerait en rythme si son montage était plus dynamique.


Combien d'hommes sur Terre sont un soir rentré chez eux pour découvrir une  superbe femme inconnue les attendant dans leur lit? Oui on est bien d'accord... Le genre de 'scénario' qui ne passerait plus du tout désormais, et c'est loin d'être un mal dans ce cas là...

Je perçois cependant bien l’idée derrière cette lancinante mise en scène: ‘Bons Baisers de Russie’ est avant tout une ‘véritable’ histoire d’espionnage, plus psychologique que physique. Les face-à-face sont pesants, pleins de faux-semblants et de non-dits. James n’est pas ici pour sauver le monde mais pour récupérer le ‘Lektor’, un décodeur russe qui serait très précieux pour les britanniques en ces temps de Guerre Froide. L’ambiance passe donc avant tout dans les rapports de force et de séduction entre les personnages, et de ce point de vue là c’est une franche réussite.

Un repas amical mais plein de révélations (photo de tournage)

Car le casting tient foutrement bien la route. Que ce soit le très sympathique Pedro Almendàriz dans la peau du tout aussi sympathique contact turc Kerim que le charismatique agent du Spectre Red Grant, joué lui par la montagne blonde qui en impose grave Robert Shaw. Du coté féminin nous faisons la connaissance de Tatiana Romanova, sublimé par la charmante Daniela Bianchi. Malheureusement son rôle de greluche servant d’appât pour l’espion de Sa Majesté est assez limité et elle méritée clairement mieux que ce à quoi elle a droit ici. L’autre femme du métrage, c’est la Colonel Rosa Klebb, joué par Lotte Lenya, une ancienne du SMERSH (le contre-espionnage russe durant la Seconde Guerre Mondiale) au service désormais de Spectre et de son mystérieux chef au chat blanc classieux. Un rôle là aussi caricaturale mais qui marquera les mémoires et sera par la suite fréquemment citée ou parodié.

Kerim se venge de son agresseur à la manière forte. Pedro Almendàriz se suicidera 10 jours après la fin des prises de vue, fortement affaibli par un cancer sur lequel il lutta durant toute la durée du tournage...

Passons désormais aux aveux en ce qui concerne le rôle principal tenu par Sir Sean Connery: je n’aime pas son James Bond. Et là normalement j’ai à la lecture de ces mots une bonne dizaine de contrats qui sont mis sur ma tête de par le monde.
Trop froid, trop misogyne, trop sur de lui. Je le trouve vulgaire et condescendant, et montant le reste du temps. Aucune subtilité dans son jeu, il est juste exécrable et méprisant, prenant tout le monde de haut et les traitant comme de vulgaires pions, ne s’attachant à personne d’aucune manière. C’est sur que quand Georges Lazenby le remplace dans ‘Au Service Secret de Sa Majesté’ le décalage est énorme. Et en faveur de l’acteur australien, bien plus touchant et sincère dans son interprétation de l’espion venu d’Albion. Sans parler de Daniel Craig qui offrira une profondeur et des nuances au personnage au travers de ses yeux bleus azur, de son ironie et de son sarcasme. Connery lui se contentera de petites phrases assassines et d’un regard arrogant et orgueilleux. Je n’ai aucun affect pour de tels individus, c’est comme çà.


La mission de Tatiana (dites Tania) est de faire croire qu'elle 'veut passer à l'Ouest' après être tombé amoureuse de James Bond...en le découvrant sur une photo! C'est tellement stupide que même au sein du film personne n'y croit.

Revenons au film et évoquons ses quelques grandes séquences: tout d’abord l’affrontement entre Grant et Bond dans l’Orient-Express. D’abord verbal puis mano-à-mano, la scène marque par sa dureté et sa longueur (en bien comme en mal). Âpre combat que James remporte sur le fil… Il y a ensuite tout le passage dans le camp gitan, parenthèse surprenante qui sort le récit de sa torpeur pour un petit quart d’heure. Elle n’apporte strictement rien au scénario en dehors d’une conclusion visuellement assez belle avec cette immense affiche qui dissimule une sortie secrète, où Kerim attendra de pied ferme celui qui attenta plusieurs fois à sa vie. Enfin la séquence finale dans la chambre d’hôtel vénitienne, que l’on croirait toute droit sortie d’un OSS 117 avec Dujardin tellement elle est ringarde tout en étant hilarante malgré elle.
On peut évoquer la course-poursuite à la frontière également, entre hélicoptère tenace et bateaux inflammables mais là aussi c’est interminable pour pas grand-chose. La réalisation y est efficace toutefois.


Le SPECTRE est vraiment un club de joyeux drilles...

Voilà en gros ce que j’ai pensé de ce ‘Bons Baisers de Russie’, sorti en 1963. Une grande question se posa à moi quand se déroula le très court générique de fin: pourquoi adapter cet épisode en particulier en jeu vidéo 42 ans plus tard ? Pour son récit clairement défini et facilement découpable en ‘niveau’ ? Pour le fait que le scénario se déroule en grande partie à Istanbul, ce qui réduit des coups de production en n’ayant pas à devoir créer plusieurs villes et textures différentes? Parce que quelque part un type aux commandes adorait ce film et voulait absolument y apporter sa lecture personnelle ? Allez savoir… Quoi qu’il en soit sortait en 2005 le jeu vidéo tiré du film, ce qui en fait sans doute le produit dérivé vidéoludique le plus en retard de l’histoire de l’industrie…

"Il y a quoi là-dessus, James?" "Tes meilleures souvenirs de femme, Tania!"

Le jeu vidéo de EA Redwood Shares - 2005

Le jeu s’ouvre sur une séquence qui n’existe pas dans le film: une attaque de l’organisation terroriste Octopus sur le parlement anglais. Autant frapper fort dès le début. Et dès le tutoriel on comprend que la version jouable de cette aventure prendra de grandes libertés par rapport au matériau d’origine.
Commençons par le plus remarquable: L’agent au permis de tuer possède la célèbre Aston Martin DB5 que dans la version cinématographique il n’obtiendra que dans le métrage suivant - Goldfinger (1964). Ensuite le niveau se termine sur un passage en jetpack - qui lui ne sera présent que dans Opération Tonnerre (1965). Ha ouais d’accord, allons-y carrément ! Pourquoi pas après tout ?

Un début d'aventure tonitruant autour de Big Ben

Plus prosaïquement, nous voilà aux commandes d’un TPS assez classique, avec le ciblage sur la gâchette gauche et le tir sur la gâchette droite. Un système de couverture assez sommaire est également présent mais il se révèle plus aisé d’esquiver les tirs en zigzaguant tout en canardant les malandrins. Il peut arriver en revanche à Monsieur Connery d’en faire quand il se mélange les pinceaux à la sélection des armes ou qu’une rudesse le gagne lors de ses déplacements, pas toujours très gracieux.  Voilà pour les niveaux standards auxquels s’ajoutent des niveaux en véhicules. Ceux en voiture, avec l’Aston Martin la plupart du temps mais pas que; quelquefois des phases en bateau et enfin les séquences en jetpack qui se révèlent plutôt cool après un petit temps d’apprentissage du contrôle de la bestiole.


Un jeu de tir à la troisième personne somme toute assez classique

La progression est composée de 14 niveaux pour l’histoire principale, et de quatre niveaux bonus déblocables en fonction de nos points amassés. En effet tout un tas de récompenses sont à récolter au travers des stages au vu de nos trouvailles et de nos actions. Un total de points est calculé dans un tableau de fin de niveau qui récompensera nos performances par rapport au barème établi (temps, astuces, collectibles, armes idoines etc…). Nos gains seront ensuite dépensés pour débloquer archives de l’équipe de développement ou améliorer notre équipement (armes et gadgets). Qu’il s’agisse de mettre la main sur des dossiers secrets, débloquer des mallettes via un mini-jeu de réflexe, d’effectuer des actions ‘007’ dignes de notre héros ou d’achever nos ennemis promptement (au corps-à-corps ou avec une visée précise), tout cela participe à l’accumulation de points, fort utile pour bien évoluer dans les niveaux de difficulté supérieurs.

Bond devra protéger Tatiana sous peine de voir sa mission échouer. Alors il y met les moyens!

Techniquement et graphiquement il tient toujours debout malgré parfois un peu de cafouillage du coté de la caméra, rien de bien méchant (sauf quand on se fait truffer de plombs sans contre-champ…). Par contre le mappage des touches posera parfois problème, surtout lors des phases de conduite ou le système est à l’ancienne. C'est-à-dire A pour avancer et B pour freiner/reculer tandis que les gâchettes servent à usiter des armes de la bagnole (là ou je suis plus habitué au système inverse). Je vous raconte pas les méprises et les prises de tête lors les courses-poursuite dans les rues d’Istanbul, à foncer dans les murs quand je souhaitais tirer ou à s’en prendre plein le buffet quand je voulais me faire la belle. Sans compter sur le coté un peu savonnette de la belle carlingue.


007 est en avance sur le planning officiel en prenant le volant de la DB5 avant sa rencontre avec Auric Goldfinger

Du coté des visages des acteurs il faut être honnête le travail est là: on reconnaît instantanément les personnages des films. Que ce soit M, Tatiana, Grant, Q ou les autres, les modèles sont basés sur leurs comédiens respectifs et cela fait plaisir. Au casting initial de 1963 s’ajoutent toutefois deux nouvelles têtes: celles de Maria Menounos et de Natascha Bedingfield. La première sera un lieutenant de Red Grant et servira de prétexte à l’ajout de plusieurs niveaux à la fin du récit de base.  La seconde prêtera son joli minois à la fille du Premier Ministre Britannique qui sera prise en otage dans le prologue. Soyons clair, les deux femmes n’apportent absolument rien au jeu et ne seront engagées que pour servir lors de la promotion de celui-ci, les acteurs originaux n’étant plus disponible pour assurer la publicité du produit. Leur temps de présence à l’écran ne doit pas excéder une minute au total des deux protagonistes, et Eva Adara que ‘joue’ Miss Menounos est même complètement ridicule de bout en bout (sa mort, mais sa mort… Ha Ha Ha !). On aurait clairement pu s’en passer mais il fallait bien de ‘jolie pépés’ à mettre en avant pour vendre au chaland… comme si la licence seule de James Bond ne suffisait pas, période Sean Connery de surcroît.


Ces deux charmantes demoiselles ne tiennent pas de grands rôles dans le jeu...Elles furent pourtant grandement mises en avant à l'époque de sa sortie! Là encore quelque chose qui ne passerait plus du tout dans le monde actuel.

Tant qu’on évoque des faits qui on attrait à l’aspect pécunier, j’en profite pour parler des problèmes de droit que connait l’adaptation: interdiction d’utiliser le terme ‘Spectre’, qui sera donc remplacer par ‘Octopus’ (il faudra attendre ‘Spectre’ justement, le film de 2015 pour que la MGM puisse réutiliser le terme). Et le nom SMERSH sera quand à lui remplacé plus simplement par KGB, sigle qui parle plus au public d’aujourd’hui.

On revient à la scène du diner, mais cette fois-ci Tania ne fait pas partie des convives...

Retour à la mission en cours. Lors de notre périple dans la ville du Bosphore, l’agent le moins secret du monde n’usera pas seulement ses armes mais aussi ses gadgets. Avec entre autre la ceinture qui servira de corde de rappel (pour monter et descendre certaines parois définies), la montre-laser (grand classique) et le Q-copter, une espèce de drone avant l’heure (en fait totalement un drone avant l’heure) qui prends donc la forme d’un tout petit hélicoptère de poche. Attention car bien souvent le jeu ne précise pas quand utiliser les inventions du Quartier-Maitre ingénieux et il faudra alors bien observer l’environnement pour déceler les conduits d’aération (ou passera le mini-hélico) ou les éléments de décor atteignables par le faisceau de lumière concentré. Une loupiote bleue par contre indique clairement les points d’accroche pour la ceinture-corde.


Le célèbre jetpack, ici lors d'une partie multijoueurs

Pour reparler des différents niveaux, la plupart reprendront la trame du film, en y ajoutant pas mal d’action et d’événements inattendus. D’autres seront par contre de pures inventions qui étofferont l’intrigue (notamment ‘grâce’ à Eva donc, comme évoqué plus haut). L’usine ou la base d’Octopus par exemple. Quelques-uns demanderont de protéger Tatiana, qui ne possèdera pas tant une barre de santé qu’une barre de peur (si elle se remplie c’est perdu) et il y aura même des séquences spécifiques où il faudra se servir du fusil de précision pour couvrir Kerim parti dessouder lui-même ses opposants.


James couvre les arrières de Kerim (visible entre le feu de camp et le muret) avec son fusil à lunette lors de l'assaut sur le camp gitan

Pas mal de diversité donc qui émailleront agréablement un jeu de tir assez bateau de prime abord. En parlant bateau justement, je signale une phase ignoble dans cet engin lors du passage dans les souterrains (anciennement voie d’eau sous Constantinople) au cours du niveau ‘Sous Terre’. Il s’agira là du seul moment où le titre m’aura fait rager, le reste de l’aventure étant relativement simple (pas fait en difficile je le précise).


Plusieurs types d'ennemis se dresseront sur notre chemin, dont les colosses surarmés tel que celui-ci. Mais la visée précise permet de cibler les zones de fragilité (symbolisé par les cercles) pour les abattre bien plus rapidement. Ne pas hésiter à en abuser.

Drôle de titre qui se cache derrière ‘Bons Baisers de Russie’* étant donné qu’à aucun moment cette aventure ne se déroule en Mère-patrie mais en grande partie à Istanbul avant de s’en éloigner pour finir à Venise (Paris dans le roman). Du moins dans le film car le jeu lui dévie plus loin que la Cité des Doges pour finir sur la sempiternelle ‘île secrète’ abritant la base des méchants.
Du coté du grand écran j’avoue ne pas avoir été séduit par la proposition, bien trop lente et lorgnant parfois dans le hors-sujet pour rallonger la sauce. Il s’en sort grâce à une distribution de haute tenue, avec en tête une Daniela Bianchi touchante et solaire. Du coté des consoles, le rythme est bien plus enlevé et le récit plus captivant. Bien que se permettant des écarts plus ou moins appréciables, le résultat se révèle meilleur que le métrage dont il s’inspire. Seul bémol avec le rajout au casting de deux figures féminines ne servant qu’à ‘vendre’ le jeu lors de sa promotion, mais en soi cela ne le dessert pas, fort heureusement.
Malgré une légère lourdeur dans la jouabilité à pied et une conduite un peu trop glissante en voiture le tout est très plaisant à jouer, et il faut bien avouer qu’il est rare de contrôler Sean Connery en jeu vidéo (il est jouable en tant qu’Henry Senior dans le mode 2 joueurs du jeu Indiana Jones « Le Sceptre du Roi » ainsi que dans les Lego Indy) et que cela peut constituer en soi pour les fans de 007 une raison suffisante de s’essayer à cette adaptation tardive.

*publié initialement en France sous le titre « Échec à L’Orient-Express »

 


Sean Connery et Terrence Young entourent Daniela Bianchi sur cette photo de tournage que je trouve glauquissisme